3 janvier 2025

Le rexisme vu de Flandre : entretien avec Bruno Cheyns qui publie Rex ter zege

Par Lionel Baland

Le rexisme, mouvement politique nationaliste belge dirigé par Léon Degrelle, a traversé, tel une étoile filante, le paysage politique belge, réalisant, lors des élections législatives de 1936, une forte percée électorale, avant de connaître un déclin puis de s’abîmer dans la collaboration, d’abord limitée, puis illimitée. Alors que de nombreux ouvrages ont paru en français sur le sujet, les publications néerlandophones se font plus rares. Lionel Baland a interrogé pour Eurolibertés, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Rex ter zege. Léon Degrelle en Rex in Vlaanderen 1935-1945 (Rex vaincra. Léon Degrelle et Rex en Flandre 1935-1945) qui apporte de nombreux nouveaux éléments sur le sujet, le spécialiste flamand du rexisme Bruno Cheyns.

(propos recueillis par Lionel Baland)

Bruno Cheyns.

Parmi les trois mouvements d’Ordre nouveau nationalistes belges, Rex apparaît chronologiquement en dernier. Si les Jeunesses nationales de Pierre Nothomb et la Légion nationale de Henri Graff puis de Paul Hoornaert sont clairement des mouvements d’Ordre nouveau n’hésitant pas à recourir à la violence politique et aux affrontements physiques, Rex ne semble pas être, au départ, de cette tendance. À partir de quand Rex est-il devenu d’Ordre nouveau ? 

Bien que Rex ne se soit jamais explicitement affirmé en tant que représentant de l’Ordre nouveau durant l’entre-deux-guerres, le mouvement politique autour de Léon Degrelle a été, dès le début, assez critique à l’égard de la démocratie parlementaire. Par exemple, Rex voulait démanteler le Parlement et s’efforçait d’instaurer un système autoritaire dirigé par le roi Léopold III. La critique du parlementarisme n’était pas seulement très forte parmi les catholiques conservateurs et les nationalistes belges, mais était également partagée par une partie de l’Église catholique et une petite faction au sein du parti socialiste de l’époque, dénommé Parti ouvrier belge (POB). Certains de ces catholiques conservateurs, dont plusieurs figures de proue du mouvement rexiste, ont été influencés, au cours des années 1920, par les idées de Charles Maurras, ainsi que de Benito Mussolini et d’autres idéologues fascistes du monde de langues latines. Bien que Léon Degrelle ait parlé positivement des réalisations de l’Italie fasciste à plusieurs reprises pendant l’entre-deux-guerres, Rex ne s’est jamais présenté comme un parti fasciste. Alors que la plupart des historiens belges s’accordent à dire que Rex est devenu un mouvement fasciste dès 1937, nous devons nuancer quelque peu ces propos. Le parti n’était pas seulement dirigé de manière décentralisée – ce qui était très atypique pour un mouvement fasciste – mais était aussi un adversaire du corporatisme d’État, qui était certainement l’une des pierres angulaires de l’État fasciste. Rex n’était pas non plus opposé aux élections et préconisait même l’introduction d’un droit de vote familial basé sur le nombre d’enfants, ainsi que le droit de vote pour les femmes. À partir de 1941, Rex s’est prononcé sans équivoque en faveur de l’Ordre Nouveau et il n’y a plus eu de doute, à partir de cette époque, à propos du tournant idéologique que le mouvement avait pris.

Comment le rexisme a-t-il géré la question flamande au fil du temps ? La section flamande de Rex et la direction de Rex étaient-ils sur la même longueur d’onde ?

Léon Degrelle développait déjà une certaine sympathie pour la question flamande pendant ses années d’études, ce qui se traduisit en 1928 par son ouvrage intitulé Les Flamingants, au sein duquel il appelait les francophones à faire preuve de plus de compréhension à l’égard de la sensibilité flamande à propos de l’utilisation du néerlandais dans la vie publique. Cependant, Rex était resté un mouvement nationaliste qui œuvrait pour un renforcement de la structure de l’État unitaire et s’opposait à toute tendance séparatiste. La nomination du dramaturge flamand Paul De Mont à la tête de Rex-Vlaanderen (Rex-Flandre) durant l’été 1936 s’est avérée être un point de rupture crucial. Sous l’influence de De Mont, Rex-Vlaanderen s’est efforcé d’introduire une structure étatique fédérale. Comme cette question était assez sensible dans la partie francophone de la Belgique, Rex a fait valoir que l’État fédéral offrait les meilleures garanties pour un renforcement de la Belgique en tant qu’entité politique. D’autres positions controversées, comme le monolinguisme de la Flandre ou l’arrêt de la francisation de Bruxelles, étaient beaucoup plus difficiles à digérer pour les partisans traditionnels du rexisme. Rex-Vlaanderen et Rex n’arrivaient, en matière communautaire, absolument pas à accorder leurs violons.

Rex, nationaliste belge, et le VNV, nationaliste flamand, étaient-ils en concurrence électorale auprès de certains électeurs ?

Bien que les deux partis aient vécu d’un mécontentement latent parmi les électeurs, Rex et le VNV n’étaient pas concurrents car les deux partis puisaient dans des segments différents de l’électorat. En Flandre, Rex était particulièrement populaire auprès de la bourgeoisie francophone et de la classe moyenne, ce qui y a fait de ce parti un phénomène principalement urbain. Dans des villes comme Anvers (Antwerpen), Gand (Gent) et Bruxelles, les rexistes ont obtenu un score plus élevé que le VNV grâce au soutien de la classe moyenne. Au niveau communautaire également, les deux partis avaient des points de vue différents : alors que Rex-Vlaanderen s’était converti au fédéralisme, le VNV rêvait toujours d’un Groot-Dietsland (« Grand Pays thiois »), une alliance politique qui inclurait les Pays-Bas, la Flandre, une partie du nord de la France et l’Afrique du Sud. Le VNV était particulièrement populaire dans les campagnes flamandes, où une grande partie de la population agricole s’était détournée du Parti catholique après les scandales au sein du Boerenbond (Ligue des paysans, de tendance chrétienne). Les partisans du VNV étaient des intellectuels nationalistes flamands de la petite bourgeoisie et du clergé. L’influence que ce groupe de notables locaux a exercée sur la population rurale flamande ne doit certainement pas être sous-estimée, car ceux-ci ont répandu le nationalisme flamand au sein d’une partie plus large de la population au cours des années 1920-1930. Un groupe important d’anciens combattants flamands de la Première Guerre mondiale s’est également avéré très sensible à la démagogie du VNV.

Quelles ont été, en Flandre, les réactions à l’accord Rex-VNV survenu en octobre 1936 ? Que disait ce texte ?

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le texte intégral de l’accord entre les deux partis n’a été publié qu’en avril 1937. Bien que les modalités exactes de l’accord de coopération soient restées longtemps inconnues, les réactions politiques à gauche de l’échiquier politique ont été carrément négatives, Rex et le VNV s’érigeant aux antipodes d’un front de gauche sur le modèle français. Dans les cercles les plus conservateurs de Flandre, l’accord a été considéré comme un premier pas vers la formation d’un front de droite et une possible restauration de l’hégémonie catholique en Belgique. Il est frappant de constater que, en Belgique francophone, il y a eu une réaction carrément négative à la coopération avec les nationalistes flamands, ce qui a sans aucun doute causé beaucoup de dégâts électoraux à Rex. Lorsque le texte de l’accord a été publié à la veille des l’élection partielle de 1937 à Bruxelles opposant Léon Degrelle au Premier ministre, les partisans traditionnels de Léon Degrelle ont réagi avec fureur. Le plaidoyer en faveur du monolinguisme néerlandais de la Flandre était tout simplement inacceptable pour l’électorat majoritairement francophone du parti.

Quelles étaient les relations entre Rex et le Verdinaso de Joris van Severen ?

Le Verdinaso se présentant comme un mouvement élitiste se tenant au-dessus de la politique, la relation avec Rex a été problématique dès le départ. N’oublions pas que Joris Van Severen était un farouche opposant au fédéralisme et qu’il visait même la réunification avec les Pays-Bas. Ses ambitions étaient en contradiction avec le programme des rexistes. Bien que Joris Van Severen fût d’accord avec la critique rexiste de la démocratie parlementaire, il considérait la montée des partis opposés au système tels que Rex comme la meilleure preuve de la faiblesse de la démocratie. Il est frappant que, à l’automne 1936, de nombreuses personnalités éminentes au sein du Verdinaso étaient prêtes à se joindre au partenariat entre Rex et le VNV, mais que Van Severen lui-même a habilement conduit ces tentatives à l’échec en divulguant aux médias les conversations et en attaquant de front le VNV dans la presse francophone. Ce n’est qu’après la mort de Joris Van Severen en mai 1940 qu’un nouveau rapprochement a eu lieu entre le Verdinaso et Rex afin d’offrir un contrepoids au VNV, qui était alors l’interlocuteur privilégié de l’occupant allemand.

Pourquoi Paul de Mont a-t-il été choisi comme dirigeant de Rex-Flandre ? Quelles étaient ses positions par rapport à la question flamande ?

Le choix de Paul De Mont comme chef de Rex-Vlaanderen n’a pas été facile pour Léon Degrelle. Initialement, il avait porté son dévolu sur le professeur gantois Jacques Pirenne. En 1918, cet historien avait été l’un des fondateurs du Comité de politique nationale (CPN) [désirant réaliser une grande Belgique incluant une partie des Pays-Bas et de l’Allemagne ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg] de Pierre Nothomb et était connu comme étant un opposant farouche à la lutte flamande pour l’émancipation. Par exemple, il était contre la néerlandisation de l’Université de Gand et il a fait campagne pour le bilinguisme néerlandais-français de la Flandre, alors que plus de 90 % de la population y était néerlandophone. Lorsque Jacques Pirenne rejeta finalement l’offre de Léon Degrelle, ce dernier choisit Paul De Mont, qui était idéologiquement à l’opposé de Jacques Pirenne. De Mont n’était pas seulement pro-flamand, mais aussi partisan d’une Belgique fédérale. Il œuvra également pour le monolinguisme de la Flandre et voulu mettre un terme à la francisation de Bruxelles. En outre, Paul De Mont était également un partisan de la formation d’un front conservateur et catholique, à la suite de quoi sa candidature a été fortement soutenue par une partie importante de l’élite culturelle flamande. Avec la nomination de Paul De Mont, Léon Degrelle vit l’occasion de rallier également à Rex l’électorat catholique plus modéré.

Au printemps 1937, alors que la question de l’amnistie des collaborateurs flamands de la Première Guerre mondiale est à l’ordre du jour politique, pourquoi Rex-Flandre prend-il position en faveur de cette mesure, alors que Rex y est opposé ?

La direction de Rex-Vlaanderen était composée en grande partie d’intellectuels flamands qui avaient combattu du côté belge sur le front de l’Yser pendant la Première Guerre mondiale et étaient donc capables de comprendre les choix faits par des militants nationalistes flamands se trouvant en zone occupée par les Allemands de collaborer avec ces derniers. Sur le front, il était devenu douloureusement clair que les soldats flamands étaient souvent traités comme des citoyens de seconde zone par leurs supérieurs hiérarchiques francophones. Au cours des années 1920-1930, ce concept s’est également développé au sein d’un segment plus large de l’opinion publique flamande. C’est surtout Paul De Mont, lui-même grand invalide de la Première Guerre mondiale, et son successeur Eugène Mertens de Wilmars qui se révéleront être, dans les rangs de Rex, d’ardents partisans de l’amnistie. En Belgique francophone, on observe surtout une incompréhension à l’égard des revendications flamandes qui sont souvent perçues comme une tentative de démantèlement de l’État belge. En Wallonie et à Bruxelles, Rex pouvait encore compter sur le soutien de groupes d’anciens combattants tels que les fraternelles et les Croix de Feu, qui ont réagi avec beaucoup d’émotion à l’amnistie de militants nationalistes flamands ayant collaboré avec les Allemands. Rex ne voulait pas mécontenter cet important groupe d’électeurs, de sorte que le débat sur l’amnistie a inévitablement conduit à une scission au sein du mouvement rexiste.

Pourquoi Rex et le VNV rompent-il leur accord fin septembre 1937 ?

Lors de l’élection partielle du 11 avril 1937 à Bruxelles opposant Léon Degrelle et le Premier ministre Paul Van Zeeland, il était devenu clair que l’accord de coopération avec le VNV était éloigné des opinions de nombreux électeurs patriotes de Rex. Dans les milieux francophones en particulier, on frissonnait devant le rapprochement entre Rex et les nationalistes flamands. De plus, l’accord s’était avéré être resté lettre morte car Rex et le VNV n’avaient pas réussi à convaincre le Parti catholique et le Verdinaso de faire partie de ce front de droite. Afin de convaincre l’électeur bruxellois de son patriotisme, Léon Degrelle s’en était également pris violemment, lors de la campagne électorale pour l’élection législative partielle à Bruxelles en 1937, à August Borms, un ancien militant nationaliste flamand collaborateur durant la Première Guerre mondiale qui jouissait d’un grand respect parmi les partisans du VNV. Staf De Clercq, le leader du VNV, avait, en conséquence, eu beaucoup de mal à convaincre ses électeurs de voter pour Léon Degrelle lors de ce scrutin. L’accord n’était donc plus qu’un symbole. Avec sa suspension, les deux partis avaient à nouveau les mains libres pour fixer leur propre direction à suivre.

Léon Degrelle.

Lors des élections communales de 1938, dans certaines villes flamandes, des coalitions entre Rex, le VNV et des catholiques voient le jour. N’est-ce pas idéologiquement antagoniste ?

La montée du socialisme et du communisme menaçait plusieurs majorités catholiques lors des élections municipales de 1938. Dans les villes wallonnes en particulier, il y avait un risque que les partis de gauche puissent former des majorités anticatholiques avec le soutien des libéraux. Sous la menace du soi-disant « danger rouge », les différences idéologiques ont été mises de côté dans de nombreuses villes et communes et des listes de cartels conservateurs ont été présentées. Les lignes de fracture politique que nous connaissons aujourd’hui étaient, avant 1960, différentes. En effet, deux blocs idéologiques s’affrontaient : les partis cléricaux – qui comprenaient le VNV et Rex en plus du Parti catholique – et les partis non cléricaux. De ce point de vue, la formation d’un front de droite était un choix logique pour protéger les majorités catholiques locales. Cela s’était déjà produit après les élections provinciales de 1936. Par exemple, l’exécutif, appelé députation permanente, de la province d’Anvers, se composait de catholiques et de nationalistes flamands, ensemble minoritaires, avec le soutien de Rex.

Lors de ce scrutin, Rex semble obtenir de meilleurs résultats en Flandre ? Comment cela s’explique-t-il ?

Rex-Vlaanderen était beaucoup mieux organisé que la section francophone. La direction de Rex-Vlaanderen était donc très sélective et ne présentait des listes que dans les villes et les communes où le parti était fortement ancré localement et pouvait s’appuyer sur des personnalités populaires. De cette façon, Rex-Vlaanderen a pu utiliser les ressources de la campagne de manière très efficace, de sorte que le parti a obtenu d’assez bons scores dans diverses communes. Grâce à l’attitude cohérente de la direction de Rex-Vlaanderen lors du débat sur l’amnistie, le mouvement dans le nord du pays a également pu compter sur une certaine sympathie au sein de la population. C’était beaucoup moins le cas en Belgique francophone, où le débat sur l’amnistie avait laissé de profondes cicatrices. De plus, de nombreux électeurs patriotes avaient également tourné le dos aux rexistes, ce qui avait considérablement réduit le soutien au parti en Wallonie et à Bruxelles.

Pourquoi Paul de Mont, alors qu’il n’était déjà plus le dirigeant de Rex-Flandre, a-t-il quitté Rex en février 1939 ? Pourquoi de nombreux élus rexistes de Flandre ont-ils, en conséquence, quitté Rex ?

La raison de la démission de Paul De Mont était l’opposition de Léon Degrelle et de l’aile francophone du parti à la nomination du docteur Adriaan Martens comme membre de l’Académie flamande de médecine. Pendant la Première Guerre mondiale, Martens avait été membre du Conseil des Flandres, une sorte de parlement fantoche qui avait proclamé l’indépendance de la Flandre le 22 décembre 1917. Rex a officiellement pris position contre la nomination de Martens et s’est ainsi opposé directement à la direction de Rex-Vlaanderen. Lorsqu’un vote de confiance a eu lieu au Parlement, le gouvernement a survécu grâce au vote d’un rexiste flamand qui, à l’encontre les instructions de Léon Degrelle, a confirmé sa confiance envers le gouvernement. Léon Degrelle a, en conséquence, désapprouvé l’attitude de cet élu dans une tribune publiée dans Le Pays Réel. Paul De Mont et d’autres rexistes flamands ont ensuite démissionné, mécontents de cette réprimande publique du député dissident. Il était devenu clair pour eux que la direction de Rex ne soutiendrait jamais la cause flamande.

 Des organes de presse rexistes ont existé dans les trois langues de Belgique – néerlandais, français, allemand. Les positions de la presse rexiste néerlandophone étaient-elles différentes, voir parfois contradictoires, de celles de la presse rexiste francophone ?

Bien que les rédacteurs de De Nieuwe Staat aient initialement principalement inclus des articles précédemment parus dans Le Pays Réel, le journal a progressivement fixé sa propre ligne idéologique, souvent en désaccord avec les positions prises par le reste du parti. Nous avons déjà abordé la question de l’amnistie et de la crise politique entourant la nomination du docteur Adriaan Martens, mais cette différence a également été perceptible dans d’autres domaines. Il suffit de penser, par exemple, aux problèmes rencontrés par la classe moyenne, qui ont été beaucoup plus souvent mis en avant en Flandre que dans la partie francophone du pays.

Vous écrivez que Rex a obtenu de hauts scores auprès des juifs d’Anvers (Antwerpen) lors des élections législatives de 1936. Comment expliquez-vous cela ? Quelles étaient les positions de Rex à ce sujet et ont-elles évolué au cours des années suivantes ? Les Belges juifs rejetaient-t-ils les étrangers juifs arrivant de Pologne, d’Union soviétique et d’Allemagne ?

Les scores élevés obtenus par Rex lors des élections de 1936 dans les deux quartiers à majorité juive de la ville sont très frappants. L’historien Bruno De Wever a interprété ce résultat comme un rejet par les Anversois de souche de la forte présence juive dans ces quartiers. Cependant, il ne faut pas oublier que, lors des élections de 1936, Rex n’était pas connu comme un mouvement antisémite. Les nationalistes flamands du VNV, qui avaient tenu une forte rhétorique antijuive, n’ont reçu presque aucune voix dans ces districts. Le succès peut simplement s’expliquer par le fait que de nombreux juifs de la ville portuaire étaient actifs dans le commerce. Ils se sont donc sentis particulièrement attirés par le programme de Rex fortement orienté vers la classe moyenne. Bien que Rex-Vlaanderen ait d’abord été assez positif à l’égard des juifs d’Anvers et de Bruxelles, cette position changea fondamentalement à partir de 1938 et le parti devint un catalyseur de l’antisémitisme. Bien que Rex se fût prononcé contre l’antisémitisme racial propagé par les nationaux-socialistes en Allemagne, le parti fit valoir que la Belgique devrait fermer ses frontières aux nouveaux immigrants juifs. Une telle forme d’antisémitisme ne se retrouve pas seulement chez les rexistes, mais aussi chez les nationalistes flamands du VNV et dans une large partie du Parti catholique.

Si, après la IIe Guerre mondiale, la collaboration était mal vue, tant en Flandre qu’en Belgique francophone, au fil des années, la situation a semblé évoluer différemment en Flandre. Comment expliquez-vous cela ?

La collaboration et la répression ont causé un traumatisme historique dans les deux parties du pays. Celui-ci y a, cependant, été traité d’une manière différente. Alors que le processus de remise en cause avait déjà commencé en Flandre au cours des premières décennies qui ont suivi la IIe Guerre mondiale, en Belgique francophone, il n’était tout simplement pas question d’aborder le sujet de la collaboration. Cela a créé la perception erronée que, en Belgique, il y avait principalement une coopération avec les Allemands du côté flamand, tandis que la Résistance s’était développée en Wallonie et à Bruxelles. En Flandre, la collaboration a été remise à l’ordre du jour politique par les nationalistes flamands dès les années 1950, de sorte qu’il y avait aussi beaucoup d’intérêt dans les cercles universitaires à dépouiller la collaboration de toute émotion et à la comprendre d’une manière plus scientifique. Cela a progressivement créé une image plus nuancée de la collaboration, ce qui a finalement également profité au processus de gestion du passé. En Wallonie, la collaboration a été presque complètement étouffée, d’abord par honte, mais peu à peu aussi pour des raisons politiques. La plupart des partis politiques wallons craignaient qu’une attitude plus nuancée à l’égard de la collaboration ne puisse à nouveau faire le lit de l’« extrême-droite ». Il était donc dans leur intérêt de maintenir en vie l’épouvantail, ce qui a très bien fonctionné. À ce jour, la Wallonie est l’une des seules régions d’Europe occidentale où l’« extrême droite » n’a tout simplement aucune possibilité de percer.

La collaboration des nationalistes flamands membres de divers organismes et celle des nationalistes belges de Rex y est-elle perçue différemment ? Vous mettez en avant le fait que des éléments rexistes – comme Hubert d’Ydewalle, Xavier de Grunne, Raphaël Sindic, Eugène Mertens de Wilmars, le Mouvement National Royaliste (MNR)/Nationale Koninklijke Beweging (NKB), … – se sont retrouvés dans la Résistance. Comment expliquez-vous que ce phénomène ait été peu mis en avant par l’historiographie au cours des dernières décennies ?

Je vois deux raisons à cela. Pendant l’occupation, le gouvernement belge en exil avait une relation très problématique avec la Résistance. L’Armée secrète et le MNR/NKB étaient tous deux très critiques à l’égard de la démocratie parlementaire et avaient vivement critiqué l’attitude du gouvernement. Les deux mouvements étaient en faveur d’un régime autoritaire dirigé par le roi Léopold III et voulaient réduire les pouvoirs du Parlement. Le gouvernement belge avait donc tout intérêt à neutraliser le plus rapidement possible la puissance de la Résistance. Afin d’apaiser la Résistance de gauche, le premier gouvernement d’après-guerre a compris trois ministres communistes qui entretenaient un lien avec la Résistance. Au bout de deux mois, cependant, les communistes se sont retirés du gouvernement. Une Résistance héroïque mais antidémocratique ne s’inscrivait tout simplement pas dans le récit des décideurs politiques d’après-guerre.

Rex, pourtant nationaliste belge, a été accusé d’avoir été soutenu avant la guerre par l’Allemagne. Existe-t-il, selon vous, des éléments permettant d’étayer ce genre d’accusation ?

Bruno Cheyns : Il existe de nombreuses sources directes et indirectes qui confirment que Rex a reçu un soutien financier assez important de l’Allemagne à partir de 1936. Au total, le montant en jeu s’élevait à 250 000 RM (1,14 million d’euros actuels). Comme les devises allemandes n’étaient pas autorisées à être exportées, cette somme a été mise à disposition sous forme de papier journal payé par le ministère allemand de la Propagande. De nombreux rexistes éminents, tels que Hubert d’Ydewalle et Gustave Wyns, étaient au courant de cette construction financière et ont laissé des témoignages à ce sujet. En outre, il existe une correspondance abondante entre Wyns et diverses autorités allemandes au sujet des commandes passées en Allemagne. De telles formes d’ingérences politiques étaient assez courantes à cette époque. En Europe, divers partis étaient soutenus par des puissances étrangères. Les socialistes et les communistes étaient également généreusement aidés par Moscou.

L’arrestation de Léon Degrelle et de quelques rexistes en 1940 par l’État belge a-t-elle été un des éléments qui a conduit à la collaboration de Rex ?

Les déportations effectuées en mai 1940 sur ordre du gouvernement belge n’ont pas eu d’influence sur la décision de la direction du parti de collaborer avec l’occupant allemand. Pour Léon Degrelle, son arrestation a été une preuve supplémentaire de la dépravation du gouvernement belge, qui s’est enfui en France peu après l’invasion allemande. Au cours des premiers mois de l’occupation, la plupart des politiciens ont supposé que la Belgique serait à nouveau en mesure de mettre en place son propre gouvernement à relativement court terme sous la direction du roi. Ce n’est que lorsqu’il devint clair qu’Adolf Hitler n’avait pas, à cette époque, l’intention de soutenir un gouvernement belge que Léon Degrelle changea de ligne et affirma son soutien à une Europe nationale-socialiste dirigée par l’Allemagne.

Vous écrivez que le roi Léopold III et le dirigeant du parti socialiste Henri De Man avaient une fascination pour le régime national-socialiste (p.303-304). Si cela est indéniable pour Henri De Man, quels éléments vous permettent-ils d’établir cela pour Léopold III ?

Léopold III et son père Albert Ier nourrissaient tous deux une certaine fascination pour les régimes autoritaires qui ont émergé en Europe à partir des années 1920. Comme tant d’Européens, ils ont constaté que les régimes fascistes ont réussi à maintenir leurs pays respectifs en dehors de la crise économique. Le fait que les dirigeants de ces pays n’aient pas été ralentis par un Parlement navigant à contre-courant était attirant pour Léopold III, car le roi avait toujours eu une relation très difficile avec le monde politique et regardait avec nostalgie la période d’avant la Première Guerre mondiale. Albert Ier avait parfaitement compris que la démocratisation de la société belge était devenue inéluctable après la fin de la Première Guerre mondiale et avait même forcé l’introduction du suffrage universel, acte par lequel il a probablement sauvé le trône belge. Son fils avait moins de maturité politique et avait donc une relation très problématique avec ses gouvernements. Le fait que Léopold III ait pris des mesures à l’été 1940 pour former un gouvernement alternatif qui serait en grande partie composé de sympathisants du national-socialisme est révélateur. Il est également très difficile de trouver des sources primaires qui dressent un tableau de l’attitude de Léopold III pendant l’occupation, car les archives royales de cette période ont été brûlées par le chef d’état-major du roi juste avant la Libération.

Le sujet de la collaboration semble avoir été moins tabou en Flandre. Comment expliquez-vous cette situation ? Le journaliste Maurice De Wilde a-t-il joué un rôle de brise-glace en Flandre avec ses émissions de télévision ? Si vous étiez un Wallon et si vous aviez réalisé un travail similaire, aurait-il été accueilli de la même manière en Wallonie ?

Les différentes séries documentaires de Maurice De Wilde n’étaient, en fait, qu’une étape intermédiaire dans un processus beaucoup plus large qui avait commencé en Flandre depuis les années 1950, visant à retravailler intellectuellement le passé collaborationiste. En 1981, le Conseil flamand, prédécesseur du Parlement flamand, a décidé de mettre en place un groupe de travail chargé d’enquêter sur les conséquences de cette législation répressive. Lorsque le gouvernement Martens VIII a pris ses fonctions en 1988, la déclaration du gouvernement a appelé à des mesures visant à la réconciliation. Les documentaires de De Wilde répondaient ainsi à un intérêt plus large de l’opinion publique pour la collaboration et la répression de celle-ci. À l’occasion de la publication de mon premier livre [consacré à Léon Degrelle], des universitaires m’ont très souvent fait remarquer qu’il serait tout simplement impensable qu’un tel ouvrage soit publié en Wallonie. Je traite la figure de Léon Degrelle de manière relativement objective et scientifiquement étayée, ce qui est encore très difficile en Wallonie, car le sujet y reste très sensible.

Au vu des résultats des élections fédérales et régionales de juin 2024 en Flandre, le rejet des trois partis du système – socialiste, démocrate-chrétien héritier du catholicisme et libéral – n’est-il pas nettement plus grand de nos jours qu’en 1936 ?

Bruno Cheyns : Le paysage politique belge a considérablement évolué au cours des dernières décennies au détriment des trois piliers traditionnels. Cette rupture s’était en fait manifestée depuis les années 1980, mais elle était moins visible puisque les trois partis traditionnels ont encore fait office de réceptacle et de vases communicants pendant quelques décennies : le déclin électoral des socialistes et des démocrates-chrétiens a été compensé par une croissance parallèle des libéraux. Depuis 2007, on constate que l’électeur tourne massivement le dos aux partis traditionnels, en Flandre principalement au profit des partis nationalistes flamands Vlaams Belang et NVA. Lors des élections de juin 2024, les trois partis du système ont remporté ensemble moins de 35 % des voix, ce qui constitue un niveau très bas. Les historiens ont tendance à se concentrer sur les élections de 1936 [au cours desquelles Rex a percé] et de 1991 [qui ont vu la percée du Vlaams Blok, l’ancêtre du parti nationaliste flamand Vlaams Belang] et, bien que ces élections aient eu un effet choc, leurs conséquences politiques ont été très limitées. Même en 1936, les partis politiques ont pu former un gouvernement en quelques semaines. C’est un scénario dont la Belgique ne peut que rêver en ce moment.

Bruno Cheyns, Rex ter Zege. Léon Degrelle en Rex in Vlaanderen 1935-1945, Ertsberg, Aalter, 2024.

 

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