12 décembre 2022

Les « hontes pour la France »

Par Philippe Randa

La joie française quasi unanime à la suite de la qualification de son équipe nationale contre celle de l’Angleterre pour la demi-finale de la coupe du monde de football est néanmoins quelque peu atténuée, dans beaucoup de commentaires, par la perspective d’avoir à affronter désormais l’équipe du Maroc. La partie sera rude pour l’emporter, estime-t-on, mais c’est le jeu, n’est-ce pas et que le meilleur l’emporte, bien sûr… Mais c’est « l’après » qui semble des plus inquiétants.

En cas de victoire ou de défaite – qu’importe ! – d’une équipe ou d’une autre, ce sont les supporters marocains qui hantent les esprits de certains bien plus sûrement que les exploits sportifs des joueurs : n’a-t-on pas assisté, après la qualification marocaine en quart de finale, à des commentaires qui peuvent parfois laisser perplexes, tel celui de la radio France Bleu : « à Paris, Toulouse, Marseille, Strasbourg, Avignon, Tours, Nice ou encore Dijon, l’exploit a été célébré dans les rues, sans incident majeur. Vingt-deux personnes ont été interpellées dans le pays et six policiers ont été blessés. »

C’est vrai, qu’est-ce donc, pour les journalistes de France Bleu que « vingt-deux interpellations et six policiers blessés » (chiffres évidemment minorés, il y en a eu bien davantage, sans compter les dégradations de mobilier urbain ou de véhicules),(2) sinon quantité négligeable ou, pire, phénomène tellement habituel qu’il en est donc devenu parfaitement acceptable.

Qu’importe, sans doute, pour de tels observateurs, si lors de la prochaine demi-finale France-Maroc les « interpellations » de manifestants ou les « blessés » dans les forces de l’ordre devaient se compter en multiple de cent… On ose imaginer ce que pourrait être la manifestation de la colère des supporters marocains si France et Maroc ne s’affrontaient pas en demi-finale, mais en finale… et que la France l’emportait…

Finalement, les habituels débordements de supporters – et pour certains esprits chagrins de supporters aux origines particulièrement exotiques – ne sont-ils pas finalement inévitables ? Qu’y faire, n’est-ce pas ?

Loin de moi la prétention d’avoir la solution idéale et l’outrecuidance de la proposer ; d’ailleurs, que l’on soit bien assuré, n’est-ce pas ! que le souvenir que je vais rapporter dans les lignes qui vont suivre me peine…

C’était dans les années quatre-vingt du siècle dernier, un professeur d’arts martiaux – karaté, kung-fu, jiu-jitsu, krav-maga, boxe française, MMA ou autres, je ne m’en souviens plus – me rapporta l’histoire suivante.

Un grand magasin sur les Champs-Élysées, soit la plus belle avenue du Monde (quoique quelque peu dangereuse passé 22 heures, le RER en provenance du « 9-3 » y déversant directement son quota de racailles) se voyait chaque fin de semaine visité par une bande qui venait y faire ses courses, rançonnant au passage sa clientèle, d’où un chiffre d’affaires en berne… et une clientèle qui prenait la poudre d’escampette !

Voici ce que ce professeur me confia :

— Le directeur m’a contacté sur les « conseils » des responsables policiers du secteur, totalement impuissants à régler la situation : à nous d’intervenir comme nous l’entendions, sachant que nous étions assurés que le jour de notre intervention, toutes les forces de polices seraient occupées ailleurs et plus loin encore : quoi qu’il se passe, un seul impératif : ni vu, ni connu, aucune trace… Aussi, au jour dit, nous étions une vingtaine dans le magasin dont la clientèle (enfin ce qu’il en restait) avait été priée d’aller flâner ailleurs… Les « chances pour la France » sont entrées et… les portes ont été fermées, les rideaux de fer baissés, les panneaux de sécurités baissés. Toutes les racailles sont reparties en vie, c’était le deal, tout de même… Euh, ressortis, oui, bon, d’accord, mais pas par les portes… À l’époque, il y avait de gros (très gros) conduits pour les poubelles à chaque étage qui déversaient ce qu’on y jetait directement à l’intérieur de grosses bennes dans les sous-sols… Voilà comment le problème du grand magasin a été résolu.

— Il n’y a eu aucune plainte ?

— Tu sais, de toi à moi, les flics sont assez routiniers… Quand des honnêtes gens viennent se plaindre d’incivilités, de vols, d’agressions, on leur répond souvent que leur affaire va suivre son cours… Mais à mon avis, tu vois, les racailles qui sont reparties chez elles via les conduits à ordures n’ont pas vraiment jugé utile d’aller « porter le pet » (1)… Va savoir pourquoi !… Ah, au fait, n’en tire pas de conclusion inappropriée : dans l’équipe qui est intervenue ce jour-là à mes côtés, il y avait des Blacks, des Blancs, des Beurs, des Jaunes… tous très en colère contre ceux qu’ils appelaient des « hontes pour la France ».

Notes

(1) dénoncer, porter plainte en langage (très) familier.

(2) «  Lille, 13 policiers ont été blessés lors des débordement», rapporte entre autres Breizh infos.

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