Que faire pour l’armée ?
Le célèbre colonel contrerévolutionnaire Château-Jobert donne quelques conseils posthumes à l’armée
Après des années à couper dans les dépenses militaires et à se limiter à faire le strict nécessaire, parfois moins, la majorité des gouvernements occidentaux a soudainement pris conscience de l’importance d’une armée forte, déployable rapidement et en ordre de marche. Il a fallu que la Russie envahisse l’Ukraine pour que l’Occident comprenne qu’une guerre pouvait encore être déclarée et que contrairement à ce que Francis Fukuyama clamait, le monde n’a pas arrêté de tourner et l’histoire continue de s’écrire.
À la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, le Canada s’est empressé de dresser l’état des lieux au niveau de l’armée. Dans ce bilan, on ne vit pas les lacunes pourtant évidentes de notre défense qui repose sur le vœu pieux que personne ne voudrait nous attaquer. Ce qu’on « découvrit » dans cet exercice était idéologiquement cohérent avec la « gouvernance Trudeau » : une armée plus diversifiée serait plus efficace et de plus il faudrait éradiquer cette trentaine de militaires ayant fait des publications critiques de l’immigration. Une fois ces deux mesures impératives prises, nous aurions la « meilleure armée au monde ». Voilà un plan de rehaussement de la défense digne du « woke » en chef.
Tous les dirigeants ne sont pas aussi caricaturaux que Justin Trudeau et plusieurs se demandent quoi faire pour avoir une armée plus efficace, plus combative. Davantage d’argent, d’équipement, certes, mais au-delà de l’aspect matériel, comment améliorer l’armée ?
C’est là où la brochure Bagarre pour une armée, un inédit du colonel Château-Jobert prend tout son sens. Ce pamphlet rédigé en 1958, après la défaite de Dien-Bien-Phu et durant la tourmente algérienne, se base sur l’expérience et les observations de cet officier réputé qui préféra déserter et rejoindre l’OAS plutôt que de se renier.
Les historiens et les aficionados de l’Algérie française peuvent y voir à raison un document historique sur la période trouble qui rendit l’auteur célèbre, mais au-delà de cet intérêt mémoriel, la brochure offre des recommandations simples qu’il faudrait impérativement écouter et adopter, du moins en partie.
L’un des premiers points soulevés par Chateau-Jobert est la nécessité d’avoir un corps d’officiers et de sous-officiers jeunes et connectés au terrain. Les sous-officiers doivent être aussi combatifs que leurs hommes et, sur le terrain des opérations, la jeunesse et la fougue sont des atouts dont une armée ne peut se priver.
De même, il faut cesser l’approche dogmatique basée sur les théories, pour adopter une approche souple fondée sur le réel. L’expérience et le concret doivent primer sur le champ de bataille.
Tout cela ne pourra que renforcer l’autorité de la hiérarchie, mise à mal au moment où le colonel écrivait. Le problème ne s’est pas nécessairement estompé, quoique au Canada, les militaires suivent leur chef par obéissance aux règles, davantage que par adhésion et estime pour les officiers qui les commandent.
Une meilleure gestion matérielle doit également être instaurée, ce que tous ceux qui ont enfilé un uniforme admettront aisément. Il n’est pas rare que certaines choses manquent là où on en a besoin, alors qu’ailleurs, on les retrouve sans les utiliser. Une bonne intendance peut favoriser une réduction des coûts ou une maximisation des sommes investies en s’assurant de la répartition logique des armes, munitions et autre matériel.
Il ajoute aussi qu’il est temps que le droit de parole soit accordé aux militaires, souvent traités avec moins d’égards que les civils de par leur uniforme, qui leur sert de bâillon. On imagine qu’il aurait défendu les signataires de la lettre ouverte parue dans Valeurs Actuelles le 21 avril 2021. L’armée « doit pouvoir s’exprimer pour exprimer autant sa rénovation interne que les mesures externes lui donnant la possibilité de vaincre, » mais aussi pour mettre en garde sur des menaces intérieures éventuelles.
Le dernier point, avec lequel on peut être en désaccord, c’est l’urgence de cesser l’hypocrisie et les bons sentiments. La dissuasion ne gagne pas des conflits : seule une mentalité de victoire peut octroyer la victoire. Il faut selon lui appliquer aux ennemis les mêmes méthodes qu’ils appliquent, aussi brutales puissent-elles être, ce qui fut reproché aux soldats français, mais jamais aux fellaghas, pourtant adeptes des tortures et excisions. « Le paradoxe est le suivant : pour faire triompher nos idéaux, il faut adopter provisoirement des méthodes en apparence non conformes à nos idéaux. La contradiction n’est qu’apparente » explique-t-il. Il propose donc de combattre « salement » ces ennemis qui se comportent sans eux-mêmes suivre les règles établies. Voilà qui a le mérite d’ouvrir un débat de fond hautement plus significatif que les fameux « débats d’idées » auxquels nous sommes habitués.
On ne peut que le concéder : malgré les années écoulées, plusieurs des maux soulignés par le colonel en son temps affligent toujours les armées tant françaises que canadiennes pour ne citer que ces deux exemples. Ce qu’il manque également, c’est cette volonté claire de vaincre. Les gouvernements se contentent du déploiement minimum, comme en Afghanistan ou au Mali, pour prouver qu’ils agissent, sans s’investir réellement dans la recherche d’une victoire rapide et définitive, ce qui épargnerait de nombreux militaires.
Bagarre pour une armée, Pierre Chateau-Jobert, Éditions de Chiré, 62 p., 2022. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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