Le directeur de la Banque centrale hongroise tire la sonnette d’alarme
Depuis quelques semaines, le quotidien pro-gouvernement Magyar Nemzet ouvre chaque lundi ses colonnes au directeur de la Banque centrale hongroise (Magyar Nemzeti Bank – MNB), György Matolcsy, qui y fait part de ses remarques sur la situation économique hongroise, européenne et internationale. Les considérations de cet homme au parcours atypique au sein de l’appareil gouvernemental et connu pour sa relative liberté de ton ne sont pas dénuées d’intérêt.
« Le budget de l’inflation »
Selon le directeur de la MNB, le vote d’un budget déficitaire de 5,9% pour l’année 2022 par le Parlement hongrois, est une erreur et facilite l’inflation, dans un contexte où le risque d’inflation importée grandit à vue d’œil, l’écrasante majorité des autres pays européens et les États-Unis ayant également fait le choix de poursuivre leur chemin sur une pente (très raide depuis mars 2020) d’expansion monétaire et de déficit budgétaire.
Matolcsy s’oppose à ce budget car, selon lui, la reprise hongroise a déjà eu lieu, rendant ainsi l’accroissement du déficit inutile et dangereux. Il n’hésite pas à mentionner d’éventuelles attaques financières contre la Hongrie. Le directeur de la Banque centrale est ainsi en désaccord avec le ministre des Finances, Mihály Varga, qui soutient totalement ce budget déficitaire et était par le passé plus rigoriste que Matolcsy — le banquier central hongrois va même jusqu’à disputer le monopole de la politique économique à Mihály Varga et expliquer qu’il préfère la monnaie centrale au budget comme principal outil de cette politique.
Le directeur de la MNB ne peut ignorer que le vote de ce budget intervient dans un contexte politique tendu pour le gouvernement hongrois et que 2022 sera une année décisive pour la coalition au pouvoir (notons qu’avant les échéances de 2014 et de 2018, aucun grand changement budgétaire n’avait cependant eu lieu). Même s’il est vrai que nombre de projets financés par ce budget 2022 ne débuteront qu’après le résultat des élections,
il est clair que le gouvernement se serait exposé à des attaques politiques en faisant passer un budget austère — ce qui arrivera sans doute juste après les élections, indépendamment du résultat de ces dernières.
Hormis en raison de cet aspect de politique interne, pourquoi le gouvernement a-t-il fait le choix de continuer à creuser le déficit budgétaire ? Deux hypothèses se dessinent, bien qu’elles procèdent en réalité du même problème. Au mieux, ce déficit doit permettre, en ayant à l’esprit la potentielle baisse des fonds européens arrivant en Hongrie, de payer le prix du Covid passé — qui rappelons-le a consisté à accompagner (monétairement et budgétairement, et donc de plus en plus fictivement) la purge de certains secteurs économiques. Au pire, ce déficit a été voté pour continuer à surfer sur la vague du Covid à la rentrée sans avoir à assumer le prix politique d’un amendement à l’automne du budget voté au printemps (un prix potentiellement élevé car l’austérité évoque les noms de Gyula Horn, Péter Medgyessy, Ferenc Gyurcsány et Gordon Bajnai, tous anciens premiers ministres classés à gauche).
En définitive, ces deux hypothèses se rejoignent et semblent bien plus correspondre à ce que Matolcsy nomme des « attaques internationales ».
Par ce terme, le directeur de la MNB entend-il non seulement des sautes d’humeur sur les marchés financiers mais aussi un climat européen, que l’opposition hongroise relaie constamment, poussant à la prise de « mesures restrictives » ?
C’est pour contrecarrer ce danger que György Matolcsy a entamé un cycle de hausse des taux directeurs destiné à enrayer une inflation galopante — inflation, qui, en bout de course, procède toujours de la subvention de dépenses qui ne rapportent rien avec de l’argent qui n’existe pas (Jacques Rueff), ce qui correspond bien à la définition économique et monétaire du Covid.
Les dirigeants hongrois ont bien conscience que la dégradation de la valeur de la monnaie est la partie la plus concrète et sensible du Covid, et donc une bombe à retardement politique, qui, si elle éclate avant avril 2022, risque d’emporter le gouvernement.
L’avenir nous dira dans quelle mesure la Banque centrale hongroise et le gouvernement auront réussi, par des outils de politique monétaire et budgétaire, à (relativement) neutraliser cette bombe. À l’heure actuelle, les prévisions en matière d’inflation — qui doivent toujours être revues à la hausse en raison d’une pratique internationalement répandue de maquillage des paniers que comprend l’indice des prix— ne sont pas réjouissantes, mais elles ne semblent pas encore ouvrir la voie à des conséquences politiques lourdes pour le gouvernement, et resteront probablement supportables si le taux croissance trimestriel annualisé se maintient sans rupture entre 3 et 5%, ce qui, en cas de nouvelles mesures de restrictions à l’automne tombera à l’eau.
Matolcsy note que la Hongrie est un des rares pays à avoir récemment fait le choix d’entamer un cycle de hausses des taux. Selon lui, c’est la preuve que la Hongrie dispose encore de leviers de souveraineté, que les pays de la zone euro ne peuvent actionner.
« Le piège de l’euro »
Le directeur de la MNB est implacable sur la question. Pour lui, la monnaie unique, après vingt années d’existence, est un échec considérable et une perte majeure pour « les pays du Sud » de la zone euro (Espagne, Portugal, Italie, Grèce et France). Seuls l’Allemagne et les Pays-Bas ont profité de l’introduction de l’euro, qui, rappelons-le, consiste tout simplement en
l’instauration d’un taux de change fixe entre des pays aux économies structurellement divergentes, ce qui, en l’absence de convergence politique et de centralisation des budgets, ne dépassera jamais le stade de l’absurdité monétaire et économique.
Sans trop s’y attarder, Matolcsy évoque la passion pour l’euro de l’opposition hongroise. En effet, le Momentum se prononce régulièrement en faveur d’une adhésion de la Hongrie à la zone euro en cas de victoire de l’opposition au printemps 2022. Peu d’explications sont données par ce parti pro-Bruxelles sur la pertinence économique et monétaire d’un tel projet, qui participe plus d’une démarche psychologique et politique que d’un choix économique rationnel.
Ce parti de la jeunesse woke budapestoise veut surtout laisser l’impression que l’existence du forint en 2021 montre le retard hongrois sur l’Europe de l’Ouest, et crée une idée selon laquelle le forint serait un écueil au progrès voire un objet de honte suscitant un complexe d’infériorité par rapport à tous ces européens développés ayant le privilège d’utiliser l’euro au quotidien.
Que ces aspects soient une réalité dans la frange la plus europhile de la population hongroise est indéniable, lorsqu’on sait que cette frange n’aurait probablement rien contre l’idée que la Hongrie soit dirigée directement et totalement depuis une capitale étrangère, pensant que leur petit pays serait alors mieux loti que dans le contexte actuel de souveraineté (très) limité dont dispose Budapest. Dans un contexte d’absence totale de souveraineté nationale, l’euro peut se justifier. Pas sûr en revanche que l’électorat en question maitrise ces éléments d’économie monétaire.
György Matolcsy plaide pour une scission de la zone euro en deux, qui donnerait des outils de politique monétaire aux pays du Sud de la zone leur permettant de renouer avec une politique fiscale, industrielle et sociale correspondant à leur modèle économique.
Cette scission serait permise par une digitalisation de la monnaie qui faciliterait l’introduction de deux cours et serait une condition de réussite économique pour la décennie qui s’ouvre, ou du moins un choix enrayant un cycle d’échecs économiques pour les pays du Sud de la zone.
Ce cycle qui dure depuis l’introduction de l’euro aura fait perdre 4300 milliards d’euros à l’Italie et 3600 milliards à la France, tout en faisant les choux gras de l’économie allemande mais aussi, par ricochet, des pays du V4, devenus des partenaires plus importants que l’Europe du Sud pour Berlin. Matolcsy constate que la crise de 2008, et plus largement les vingt dernières années, a été surmontée avec moins de difficultés par les pays ne faisant pas partie de la zone euro : les Suédois (les seuls de l’UE à ne pas avoir mis le doigt dans l’engrenage des « mesures sanitaires » et à ne pas avoir monétisé le Covid) et les Danois plus facilement que les Finnois ; les Polonais, les Tchèques et les Hongrois mieux que les Espagnols et les Grecs.
Il va même plus loin en affirmant que l’Allemagne et les Pays-Bas auraient encore eu de meilleurs résultats sans la monnaie unique, qui empêche les autres pays de la zone de mener une politique monétaire autonome, et donc de disposer de plus de leviers permettant une meilleure santé économique.
Ce point peut être débattu : n’est-ce pas plutôt justement l’affaissement de l’Europe du Sud et sa mise sous tutelle monétaire qui ont permis à la zone Nord de maintenir son industrie ?
Vouloir remettre de la cohérence monétaire paraît être une chose louable. Expliquer le décrochage des pays d’Europe du Sud suite à l’introduction de l’euro se tient. Mais dans le contexte des projets d’économie verte, digitale et inclusive que les institutions européennes ont pour leurs citoyens, n’est-il pas anachronique de parler de politique industrielle facilitée par des instruments monétaires ? Cette distension est le moteur d’un potentiel et grand choc économique et financier.
« La probabilité d’une nouvelle et forte crise financière de l’économie mondiale est de plus en plus grande »
Selon György Matolcsy, la question n’est pas de savoir si une nouvelle crise financière aura lieu, mais de savoir quand et comment, la « nouvelle guerre de trente ans » débutée en 2001 entrant dans une phase critique en raison des révolutions technologiques qui impactent les secteurs financier, énergétique et militaire, ainsi dans ceux de la data et de l’alimentation.
Il est difficile de prévoir l’ampleur que prendra ce choc, mais pour l’instant, aucune réponse concrète n’est apportée au problème de la coexistence d’une masse monétaire immense par rapport à ce qui est produit.
À la lecture des documents de la Commission européenne et en faisant le bilan des récessions Covid des premiers confinements (chute de 15 points, donc en réalité de 30, étant donné que les revenus du secteur privé financent le secteur public, qui représente environ la moitié des économies européennes), on comprend que
cette nouvelle économie verte et inclusive entend bien se passer de 25 à 30 % de la production ante-Covid, tout en maintenant des niveaux de masse monétaire délirants au regard de cette baisse.
La survie d’une telle contradiction est tout bonnement impensable sur le moyen/long terme, et le krach inévitable, si ce nouveau paradigme économique ne s’accompagne pas d’une ou plusieurs innovations technologies profondes susceptibles de déboucher sur un regain réel de la production et une rémunération réelle de cette dernière, choses que la trottinette et la voiture électriques ne risquent pas d’apporter.
Matolcsy n’a de cesse de répéter dans ses colonnes hebdomadaires que la Hongrie, et peut-être faut-il inclure dans son propos les pays du V4, arrive à un moment où elle doit refaire son retard économique et technologique sur ses partenaires occidentaux, au risque de tomber dans ce que les économistes appellent « le piège du revenu intermédiaire » (middle income trap), c’est-à-dire un plafond de développement qu’un pays ne parvient pas à dépasser.
L’on pourra objecter au directeur de la Banque centrale hongroise que ce n’est pas simplement l’Europe centrale qui risque de tomber dans ce piège, mais bien l’ensemble des pays — en l’occurence les pays appartenant à l’OTAN — qui tenteront de faire passer au forceps cette nouvelle économie, qui, à peine à ses débuts, ressemblent déjà aux
moments les plus grotesques de l’économie soviétique, qui avait érigé en art le paiement en monnaie de singe de travailleurs ne produisant rien.
Le fameux rattrapage économique (catch-up en anglais) de l’Europe de l’Ouest, que prônent les élites hongroises et centre-européennes depuis des décennies, n’est donc plus simplement une illusion mais devient un contre-sens quand les économies à rattraper risquent de violemment décrocher dans les années à venir.
Fortement dépendante et peu dotée en capitaux à fort à potentiel d’innovation et de croissance, la Hongrie ne dispose pas à court et moyen termes d’éléments objectifs qui lui permettraient d’échapper à ce décrochage. C’est d’ailleurs ce qui ressort des inquiétudes de Matolcsy quand il parle de relever le défi de la décennie à venir. Selon lui, la solution réside dans la compétitivité, la diminution du poids de l’État, l’innovation et la numérisation. Il prend pour exemple des pays comme Singapour et la Corée du Sud (des « miracles » économiques sur lesquels il y aurait beaucoup à dire et à redire), en ayant parfaitement à l’esprit que le potentiel de développement ouest-européen touche à sa fin.
Il rêve d’une Hongrie et d’une Europe centrale à la pointe de l’innovation et de la technologie, mais est assez évasif sur les conditions qui permettraient d’atteindre cet objectif — notamment la remise en cause d’une dépendance économique qui est loin d’être récente, puisqu’elle s’est fixée dans la deuxième partie du XIXe siècle et dispose ainsi d’une inertie culturelle peu encline au changement.
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