L’empereur est nu, vive Eman !
Hécatombe est un recueil des coups de gueule de Xavier Eman.
Tout le monde a ses petits plaisirs coupables bien à soi et de plus en plus, si l’on se fie aux statistiques, ceux-ci se réalisent sur la toile. C’est bien mon cas, mais pas nécessairement comme certains pourraient se l’imaginer : lorsqu’un article s’embourbe ou lorsque mes recherches durent plus longtemps que de raison, je me permets à l’occasion d’aller perdre quelques minutes de mon temps sur les réseaux sociaux, mais non pas pour voir les vidéos de chats « hilarants » ou « trop mignons », mais pour aller zieuter la page de Xavier Eman et pour y lire ses dernières réflexions, toutes plus mordantes les unes que les autres, surtout lorsque la soirée avance et que le rouge diminue dans la coupe.
Tout le monde sait bien que l’empereur est nu, mais Eman ne s’en tient pas à cette simple constatation : il ramène ceux qui crient à l’empereur sa nudité à une vérité fort simple ; ils sont souvent aussi nus que celui-ci, se berçant en outre d’illusions, de mensonges et de désillusions.
« Ce qu’il y a de bien avec notre époque, écrit-il, c’est qu’elle est le règne de la mesure et de l’intelligence. »
Et les réseaux sociaux en sont souvent le miroir, chacun y allant de ces petits commentaires de « gérant d’estrade » comme on dit de ce côté de l’océan. Mais alors, pourquoi éditer un recueil de « messages Facebook » ? N’est-ce pas là une énième preuve de l’égocentrisme moderne ? Y a-t-il une réelle différence entre celles qui se photographient dix fois par jour, croyant que le monde se portera mieux de les voir sous tous les angles et Eman qui publie une anthologie de ses meilleurs messages sur les réseaux sociaux ?
Bien sûr ! C’est que ces messages auraient fait un excellent recueil d’aphorismes, à la façon de Robert Poulet, mais qu’au lieu de les conserver précieusement dans un calepin en attendant une éventuelle publication, Eman les livre à chaud sur le web pour un public sans cesse grandissant. Bien que je suive avec une attention particulière sa page, je fus l’un des premiers à me ruer sur le site de la Nouvelle librairie pour acheter mon exemplaire, question de tout relire avec du recul, mais aussi de découvrir ceux que j’aurais ratés.
Dans sa préface joliment ficelée, David L’Épée souligne le côté sombre d’Eman, ce qui se dégage rapidement de ses phrases lancées à brûle-pourpoint. Mais, malgré ce qu’on peut croire, Eman n’est pas totalement cynique, s’il s’en prend si souvent et si ardemment à son propre camp, c’est qu’il n’a pas totalement perdu espoir : il espère que ses lecteurs prendront acte et cesseront d’adopter certaines positions aussi ridicules que logiquement intenables. Il espère mieux, non pas du système, duquel il est sans illusion, mais de ceux qui disent le combattre.
Après tout, comme il le martèle sans relâche, ce n’est pas tant leur force qui nous a mis dans la position qui est actuellement la nôtre, mais ce sont ces mille et un petits abandons quotidiens, ces lâchetés qu’on ne voit même plus tant elles sont devenues communes. « Entre celui qui n’est plus catho parce qu’il a vu passer une photo du pape en train d’embrasser les pieds d’un Noir, l’autre qui n’est plus antilibéral parce que Bouygues va filer trois poutrelles pour Notre-Dame et le dernier qui “renonce au militantisme” parce que sinon bobonne menace de lui sucrer sa pipe bimensuelle, y’a pas à dire notre époque, c’est du solide ! » Rien à ajouter !
Xavier Eman, Hécatombe. Pensées éparses pour un monde en miettes, préface de David l’Épée, illustrations de Gallic, coll. « La peau sur la table », Éditions La nouvelle librairie, 2021, 171 p.
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