15 mai 2020

L’Homme est mortel

Par Richard Dessens

Comment une pandémie qui ferait quatre fois moins de morts que la « grippe de Hong Kong » de 1969 – et dont personne ne se souvient –, ou un équivalent de deux grippes classiques saisonnières, ou beaucoup moins de morts que d’autres maladies virales ou bactériennes tous les ans dans le monde ; comment le Covid-19 peut-il donc mettre le monde occidental sens dessus dessous au point de remettre en cause – du moins en paroles larmoyantes, éphémères et de circonstances – l’ordre mondial et sa splendide économie ultralibérale mondialisée ?

Coronavirus Pandémie.

Coronavirus Pandémie.

Cette pandémie ne touche très majoritairement que les pays occidentaux – le reste est négligeable – et encore dans des proportions telles qu’on vient de les rappeler. En outre elle n’affecte principalement que les pays riches aux PIB dans le top vingt, mais par le ricochet de la mondialisation tout le monde est finalement concerné.

Much ado about nothing ? (William Shakespeare « beaucoup de bruit pour rien »). Pas pour les milliers de malades en détresse pendant des semaines ou qui en meurent, mais comme dans beaucoup d’autres affections virales dont on ne parle jamais. Statistiquement, le Covid-19 est presque banal et quasi négligeable en pourcentage. Rappelons qu’il y a 1700 morts par jour en France en temps normal… Alors pourquoi un tel décalage entre les mesures prises et la réalité chiffrée d’une maladie somme toute limitée ?

Certains chiffres sont intéressants : les moins de 50 ans ne sont quasiment pas touchés…et les moins de 40 ou 30 ans encore moins concernés. En revanche les cas graves et les morts commencent après 50 ans et s’accélèrent après 65/70 ans pour culminer au-delà de 80 ans. Les plus concernés par cette pandémie sont par conséquent les moins actifs de la population (après environ 60 ans) et la maladie ne devrait pas affecter les forces vives des États à quelques exceptions très marginales. Pourquoi alors arrêter toutes les économies pour protéger une population pas ou très peu concernée, en tout cas à la marge, par la pandémie ? Illogique, incohérent…sauf si on attache un brusque intérêt d’une part à des personnes très âgées en maison de retraite – personnes souvent abandonnées par leurs familles qui les voient une ou deux fois par an en réalité, et dans de nombreux cas assez mal traitées dans ces institutions, n’en déplaise aux chiffes et déclarations officielles –, et d’autre part à la génération des 65/75 ans.

Or, cette génération est celle du baby-boom, très nombreuse, celle de mai 68, celle qui a donné le ton à l’idéologie libertaire de nos sociétés occidentales et qui a été accoutumée à dominer, à imprégner de toute son influence les politiques, la culture, les comportements sociétaux, depuis 50 ans.

Le Covid-19 apparaît ainsi d’un certain point de vue comme une manifestation de ce que Pareto appelait le « renouvellement des élites » qui s’opère toujours dans des bouleversements majeurs (guerres, révolutions, troubles… aujourd’hui virus ?) tant ceux qui détiennent le pouvoir, et surtout celui des idées dominantes, s’y accrochent désespérément. La seule solution, d’après Pareto est leur élimination. Dont acte.

La génération baby-boom vient de comprendre que son temps était passé et que de jeunes loups de type « macronien » les poussaient dehors, parfois au prix d’une idéologie pire encore que la leur ! Mais une autre tendance générationnelle – celle des mal nommés « populistes » – aussi, avec une autre pensée, celle-ci dite « incorrecte ».

Pourtant, la place encore centrale de la génération des baby-boomers, surtout aux plans économiques et culturels, en fait une caste privilégiée, protégée, dramatisée, même si elle est devenue avec le virus intouchable au sens qu’il revêt en Inde !

Tant qu’une maladie ou un phénomène touchait les personnes très âgées, on en parlait peu : la grippe saisonnière fait autour de 10000 morts par an chez les plus de 80 ans ; la canicule de 2003, au moins 15000 morts en deux semaines (beaucoup plus que le Covid-19 dans la même tranche de population et sur une période beaucoup plus courte).

La vérité repose sur l’utopie de l’immortalité – et de la sacralisation aberrante de la vie humaine – d’une génération d’après-guerre qui a causé beaucoup de mal aux sociétés occidentales et qui est atterrée par une maladie dont elle est une des principales cibles. En outre, nos sociétés, à son image, ont rejeté l’idée de la mort au rang des risques qui ne concernent que la Nature dont elles pensaient être découplées et supérieures depuis que la Nature a été maîtrisée par la science et le sacro-saint progrès. La Nature rappelle à ces hommes qui se croyaient déifiés qu’ils devraient reconsidérer avec une grande humilité les idéologies qui les placent au-dessus de la Nature et accepter qu’ils ne soient qu’une partie d’un grand Tout mortel. Oui, l’homme est mortel.

La génération de 1968 est enfin en train de disparaître, non dans la mort qui reste tout de même assez marginale, mais dans sa prise de conscience que son influence vient de livrer un dernier baroud de déshonneur en révolutionnant encore une fois l’Occident pour préserver à tout prix son intégrité bouleversée par un virus insolent et irrespectueux de son pouvoir.

Le renouvellement des éternelles « élites » soixante-huitardes est-il enfin en cours ?

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