« Pour les pirates maures, au début, la piraterie est plus une forme de djihùd,
une sorte de guerre sainte maritime contre les chrĂ©tiens, quâune source de profits »
Entretien avec Roland Courtinat, auteur de « La piraterie barbaresque en MĂ©diterranĂ©e XVIe-XIXe siĂšcle », prĂ©face dâĂvelyne Joyaux. (Ă©ditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Comment est apparue la piraterie barbaresque ?
AprĂšs la chute de Grenade en 1492, la Reconquista est terminĂ©e. Je montre comment beaucoup de Maures refusent de vivre dans un monde chrĂ©tien et se rĂ©fugient en Afrique du Nord, base de dĂ©part de leurs ancĂȘtres, le cĆur rempli de haine contre la chrĂ©tientĂ©. Ils nâont quâun seul dĂ©sir : celui de se venger. Sur place, le peuple berbĂšre souffre de la dĂ©faite de lâislam andalou. LâĂ©motion berbĂšre, attisĂ©e par les marabouts, explique la piraterie, car faute de pouvoir lever des armĂ©es Ă la reconquĂȘte de lâAndalousie, les navires maures vont semer la terreur et la dĂ©solation sur les cĂŽtes ibĂ©riques.
Vous dĂ©montrez quâinitialement, leur objectif nâĂ©tait donc pas le simple brigandage ?
Pour les pirates maures, au dĂ©but, la piraterie est plus une forme de djihĂąd, une sorte de guerre sainte maritime contre les chrĂ©tiens quâune source de profits. Jâen apporte les preuves. Ce nâest que plus tard, sous lâimpulsion des Turcs, que la piraterie deviendra brigandage et les soldats de lâislam des pirates. Lâessor pris par la piraterie Ă©tant devenu redoutable, les pirates sâassocient entre eux, puis avec le souverain turc dâAlger. Câest lâĂšre de la piraterie barbaresque. Avec lâaccord du souverain concernĂ©, la piraterie devient alors une guerre maritime de prééminence religieuse entre lâislam et la chrĂ©tientĂ©. Mais ce nâest pas la seule motivation, car apparaĂźt aussi la notion de profit. La RĂ©gence dâAlger ne possĂšde aucune Ă©conomie publique et ne peut subsister que par la piraterie qui lui procure lâĂ©quilibre de son budget par la vente des marchandises capturĂ©es sur les navires arraisonnĂ©s, et, bien sĂ»r, la vente des esclaves.
Vous dĂ©crivez Ă©galement ce quâĂ©tait la RĂ©gence dâAlger ?
Au dĂ©but du XVIe siĂšcle, le Maghreb est une mosaĂŻque de roitelets plus ou moins indĂ©pendants. Certains mĂȘme payent tribut Ă lâEspagne. AprĂšs bien des pĂ©ripĂ©ties, Kheir-ed-Din, lâun des frĂšres Barberousse se rend maĂźtre dâAlger. TrĂšs habilement, il offre au sultan de Constantinople la souverainetĂ© de son nouveau territoire. Le sultan accepte dâautant plus aisĂ©ment que cette suzerainetĂ© lui permet de mettre un pied dans le bassin mĂ©diterranĂ©en occidental. Câest ainsi quâAlger devient la RĂ©gence dâAlger, possession turque, qui le restera jusquâen 1830, soit 312 ans plus tard.
Vous parlez dans votre livre de la TaĂŻffa des RaĂŻsâŠ
La plupart de ces capitaines-pirates, les raĂŻs, sont des renĂ©gats issus des provinces misĂ©rables du pourtour mĂ©diterranĂ©en. Dâorigine chrĂ©tienne ayant reniĂ© leur foi, ils sont recrutĂ©s par leurs aĂźnĂ©s, souvent leurs ravisseurs. Le frĂšre bĂ©nĂ©dictin de HaĂ«do, lui-mĂȘme captif Ă Alger, dĂ©nombre en 1612, parmi les 35 principaux raĂŻs dâAlger, 24 dâorigine chrĂ©tienne. Ils sont rĂ©unis dans une corporation, la TaĂŻffa, qui, avec lâOdjak de la milice des janissaires, forment les deux institutions dominatrices dans la RĂ©gence turque dâAlger. Câest la TaĂŻffa qui, par ses prises, entretient la prospĂ©ritĂ© de la ville et de ses finances. Câest la TaĂŻffa qui Ă©lit ou exĂ©cute Ă sa guise les deys dâAlger.
Dans votre livre vous prĂ©sentez lâesclavage comme le corollaire de la piraterieâŠ
Il nây a pas dâesclavage sans piraterie. Le pirate fait des prisonniers quâil vend ensuite sur le marchĂ© des esclaves ou quâil garde dans sa part de prise pour complĂ©ter les rameurs de sa chiourme. En 1580, de HaĂ«do estimait Ă 25 000 le nombre dâesclaves chrĂ©tiens dĂ©tenus Ă Alger. Le pĂšre trinitaire Dan en dĂ©nombrait 30 000 en 1634. Qui le rappelle de nos jours ?
Quand disparaßt la piraterie barbaresque ?
Le dernier acte de piraterie remonte Ă 1823. LâEurope ne pouvait plus supporter la piraterie et lâesclavage en MĂ©diterranĂ©e, champ dâaction propice aux rapines, Ă la traite des femmes, au trafic des esclaves que je nâhĂ©site pas Ă rappeler dans mon livre. Presque toutes les interventions navales contre la RĂ©gence dâAlger sâĂ©taient soldĂ©es par des Ă©checs. Ce nâest quâĂ la rĂ©union des puissances europĂ©ennes Ă Aix-la-Chapelle en 1819, que le congrĂšs mandate les gouvernements anglais et français pour notifier au dey dâAlger la volontĂ© de lâEurope de voir supprimĂ©e la piraterie. Le dey dâAlger se moque de cet ultimatum. AprĂšs le « coup de lâĂ©ventail » donnĂ© au consul de France Ă Alger en 1827, le gouvernement français dĂ©cide dâune intervention militaire. Contrairement Ă lâimagerie dâĂpinal quâon veut bien lui donner, lâexpĂ©dition française nâest donc pas un honteux prĂ©texte pour coloniser une contrĂ©e paisible et sans dĂ©fense.
Reste-t-il encore des traces de ces pirates ?
La prĂ©sence française sâest faite en AlgĂ©rie avec des gĂ©nĂ©raux qui avaient servi dans les armĂ©es de la RĂ©volution, puis de lâEmpire. De Cadix Ă Moscou, ces soldats français libĂ©raient les peuples opprimĂ©s dâEurope au nom de la LibertĂ© et des Droits de lâHomme. ArrivĂ©s Ă Alger, leur premier acte a Ă©tĂ© de dĂ©truire les quartiers pĂ©nitentiaires tristement cĂ©lĂšbres, se souciant peu de la conservation de vestiges qui symbolisaient Ă leurs yeux la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale quâils avaient partout combattu.
En revanche, les pirates se sont durablement installĂ©s en Provence pendant la totalitĂ© du Xe siĂšcle. On leur doit le Cannet des Maures, le massif des Maures, la forĂȘt des Maures. Leur nĂ©faste influence est Ă©galement palpable dans un pays comme lâItalie Ă vocation maritime avec un immense balcon, tant sur la MĂ©diterranĂ©e que sur lâAdriatique, et qui a finalement renoncĂ© Ă cause de la piraterie.
La piraterie barbaresque en MĂ©diterranĂ©e XVIe-XIXe siĂšcle, Ă©ditions Dualpha, collection « VĂ©ritĂ©s pour lâHistoire », dirigĂ©e par Philippe Randa, 348 pages, 35 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.