Le pseudo-rĂ©fĂ©rendum illĂ©galement organisĂ© le dimanche 1er octobre par le gouvernement rĂ©gional de la Catalogne espagnole, sâest achevĂ© dans la confusion et le ridicule. La GĂ©nĂ©ralitat a, toutefois, gagnĂ© la bataille des images, et câest important vis-Ă -vis de lâopinion publique locale et internationale. On connaĂźt, selon le slogan dâun cĂ©lĂšbre magazine parisien, « le poids des mots, le choc des images. »
Les photos et les films de policiers chargeant des manifestants, sâemparant dâurnes ou empĂȘchant des Ă©lecteurs « dâaccomplir leur devoir » sans mĂ©nagement aucun â mais connaĂźt-on une police qui agirait avec des « gants de velours » ? â, ont tournĂ© en boucle ce mĂȘme dimanche 1er octobre, tant sur les rĂ©seaux sociaux que sur les chaĂźnes dâinformations en continu. Ă noter que les membres des forces de lâordre Ă©taient surtout des Gardes civils ou des policiers nationaux rameutĂ©s de tout le pays â pour la petite histoire logĂ©s sur des bateaux en rade de Barcelone, les hĂŽtels Ă©tant complets ou refusant de les hĂ©berger ! â, plutĂŽt que des hommes appartenant Ă la police rĂ©gionale, les Mossos dâEsquadra (1).
Manque de confiance, risque de collusion, mauvaise volontĂ© dans lâexĂ©cution des ordres ? Sans doute un peu tout cela mon gĂ©nĂ©ral !
Madrid ne peut pas accepter un prĂ©cĂ©dent qui ferait Ă©clater lâEspagne !
AprĂšs la chute du rĂ©gime franquiste par la disparition de son fondateur Francisco Franco Bahamonde, lequel avait assurĂ© pendant presque quatre dĂ©cennies la stabilitĂ© dans un pays ravagĂ© par la guerre civile de 1936 Ă 1939, lâintroduction dâun rĂ©gime dĂ©mocratique « à lâoccidentale » qui se substituait Ă celui de la « dĂ©mocratie organique », permettait aux provinces espagnoles dâaccĂ©der Ă lâautonomie interne. Avec, toutefois, des statuts diffĂ©rents et un degrĂ© de compĂ©tences variable dâune rĂ©gion Ă lâautre, Galice, Catalogne et Pays Basque Ă©tant en pointe en raison, dâabord, de leur langue locale. Mais est-ce Ă dire que chaque peuple ayant un idiome, un dialecte, voire une langue spĂ©cifiques, aurait automatiquement le droit dâaccĂ©der Ă lâindĂ©pendance ?
Dans ce cas, ce nâest pas 194 pays membres que compterait lâOrganisation des Nations Unies, mais 1000, 2000, 3000 et plus ! Rien que lâInde et la Suisse, cette derniĂšre nâĂ©tant quâobservatrice Ă lâONU, auraient respectivement droit, alors, Ă 18 et 4 siĂšges, un par « Ătat linguistique » ! Et que dire de la Russie ou du continent africain ! Le morcellement des Ătats-Nations en diverses entitĂ©s politiques nâest pas sĂ©rieux, câest mĂȘme un facteur dangereux de divisions entre les peuples et un encouragement donnĂ© aux forces de la finance mondiale prĂȘtes Ă sâemparer dâentitĂ©s au format plus modeste, donc plus faibles Ă rĂ©sister.
DĂ©jĂ , « on » nous dit que lâunion des pays europĂ©ens est une nĂ©cessitĂ© vitale pour pouvoir faire face Ă la concurrence des grands empires, Inde, Chine, Ătats-Unis, Russie, alors que penser de micro-Ătats, mĂȘme si, dans le cas catalan, nous avons Ă faire face Ă un « pays » de 7 millions dâĂąmes, grand comme la Belgique ?
LâEspagne est un vieux pays dâEurope, qui sâest un peu construit comme la France, autour dâun noyau central â Madrid et la Castille â par la volontĂ© dâune dynastie. La volontĂ© dâunion du peuple espagnol ne fait aucun doute et mĂȘme les rĂ©sidents de Catalogne ne sont pas unanimes derriĂšre les sĂ©paratistes du PrĂ©sident du gouvernement rĂ©gional, Carles Puigdemont. Les sĂ©cessionnistes, regroupĂ©s au sein dâune coalition « Ensemble pour le Oui » qui va des extrĂ©mistes de gauche dâEsquerra rĂ©publicana aux « modĂ©rĂ©s » de la droite et du centre de Convergence et Union (CIU), totalisent 83 siĂšges sur 135 au Parlement de Catalogne, un vaste bĂątiment Ă la façade rose ajourĂ©e dâarcades. Lâopposition ou « unionistes » est composĂ©e de reprĂ©sentants des partis nationaux traditionnels, Parti populaire de Mariano Rajoy, Parti socialiste (PSOE) et les centristes libĂ©raux/libertaires de Ciudadanos. Un sondage rĂ©alisĂ© en novembre 2016 par lâinstitut CEO donnait 44,9 % de Oui, 45,1 % de Non et 10 % dâindĂ©cis.
Un mois plus tard, lâĂ©cart se creusait encore un peu plus entre les « sĂ©paratistes » et les « unionistes ». La vĂ©ritĂ© nous oblige Ă reconnaĂźtre que, juridiquement, le gouvernement de Madrid est dans son droit, la loi espagnole ne prĂ©voyant pas de rĂ©fĂ©rendum « dâautodĂ©termination » pour ses provinces. Les autoritĂ©s catalanes, par ailleurs, nâont pas facilitĂ© la publicitĂ© en faveur du Non, favorisant exclusivement la propagande pour le Oui. Elles ont mĂȘme placardĂ© des affiches reprĂ©sentant le gĂ©nĂ©ral Franco disant « ne votez pas le 1er octobre » ou « Non », pensant sâen servir comme dâun repoussoir. Il y eut mĂȘme ici, en France, sur les ondes de la chaĂźne CNews le samedi matin 30 septembre, la curieuse prestation de lâambassadeur dâEspagne prĂ©sentant face aux camĂ©ras une photo du mĂȘme gĂ©nĂ©ral remettant un trophĂ©e au Barça, le club sportif catalan qui est, on le sait « mas un club », « plus quâun club », une vĂ©ritable institution Ă Barcelone. Pour « culpabiliser » les Barcelonais ?
Les rĂ©sultats, plus ou moins 90 % de votes positifs Ă lâheure oĂč ces lignes sont Ă©crites, ne sont absolument pas le reflet de lâopinion catalane, la consultation sâĂ©tant dĂ©roulĂ©e dans les conditions que lâon sait, et les partisans du Non lâayant boycottĂ©e. Cette consultation ne peut avoir aucune valeur juridique. Si Madrid entrebĂąillait la porte pour ce type de « plĂ©biscite », la pĂ©ninsule risquerait de voler en Ă©clat et la dĂ©mocratie reprĂ©sentative avec lâarmĂ©e, la Guardia civil et toutes les forces hispaniques centralisatrices ne lâaccepteraient pas.
La Catalogne pourrait-elle vivre toute seule ?
On a soulevĂ© lâhypothĂšse dâune dĂ©claration unilatĂ©rale dâindĂ©pendance par le Parlement rĂ©gional et, dans la foulĂ©e, celle de la « RĂ©publique ». Dâabord cet Ătat ne serait pas reconnu par ses voisins immĂ©diats ni par les autres partenaires de lâUnion europĂ©enne. Quant Ă lâĂ©conomie catalane si florissante parait-il, nâoublions pas que ces 4 provinces du nord-est de lâEspagne ont une dette de 7,5 milliards dâEuros, soit 35,7 % du PIB, et que ce nouveau « pays » importerait plus quâil nâexporterait (si ses frontiĂšres nâĂ©taient pas bloquĂ©es par les pays voisins, comme celles du Kurdistan le sont et qui est un peu dans le mĂȘme cas par exemple, par rapport au pouvoir central).
LâEldorado catalan nâest pas aussi brillant que ses « thurifĂ©raires » veulent bien le dire, le taux de chĂŽmage est tout de mĂȘme de 14,85 %, et nombre de capitaines dâindustrie songeraient Ă sâexiler en cas de sĂ©paration avec lâEspagne. Les indĂ©pendantistes dĂ©montrent leur indĂ©niable force populaire avec la grĂšve gĂ©nĂ©rale et la floraison de drapeaux rouge et jaune qui Ă©maillent les cortĂšges. Mais la majoritĂ© â ou minorité ? â silencieuse ne descend pas forcĂ©ment dans la rue, mĂȘme si, ici ou lĂ , des patriotes espagnols ont courageusement exprimĂ© leur refus dâun divorce.
Un rĂ©fĂ©rendum peut en cacher dâautres
En AmĂ©rique du Nord, les QuĂ©bĂ©cois se sont exprimĂ©s dĂ©jĂ deux fois sur leur « souverainetĂ©-association ». La majoritĂ© des Ă©lecteurs, dans les deux cas, ont dit non Ă la sĂ©paration dâavec le reste du Canada. En Ăcosse aussi, le peuple sâest prononcĂ© sur la sortie du Royaume-Uni, lĂ aussi pour dire Non. Il y a une Ă©tonnante caractĂ©ristique qui rĂ©unit tous ces partis : ils sont, dans leur ensemble, de tendance social-dĂ©mocrate et rĂ©solument immigrationnistes.
Le Parti QuĂ©bĂ©cois ne considĂšre-t-il pas quâest QuĂ©bĂ©cois tout rĂ©sident parlant le français ? Madame Sturgeon Ă Edimbourg, leader du SNP et Premier ministre local, considĂšre Ă©galement quâest Ăcossais tout habitant de lâĂcosse et les « rebelles » catalans ne se fĂ©licitent-ils pas dâavoir 500 000 musulmans sur leur sol ? On est loin du sentiment identitaire qui devrait caractĂ©riser, logiquement, tous ces mouvements sĂ©paratistes.
Toutes ces entitĂ©s provinciales europĂ©ennes, comme lâUlster, la Flandre, la Wallonie ou les rĂ©gions italiennes Ă statut spĂ©cial, bĂ©nĂ©ficient dâune large dĂ©centralisation et dâune capacitĂ© Ă se gouverner elles-mĂȘmes dans de nombreux domaines. Tout peut ĂȘtre amĂ©liorĂ© dans le sens dâune plus grande autonomie encore, mais il est une ligne rouge Ă ne pas franchir. Câest ce que les multiples partis ou organisations sĂ©paratistes refusent dâadmettre, Ă commencer, chez nous, par les ultra-minoritaires partisans dâun Ătat corse.
Il existe au septentrion de lâEurope un archipel tranquille, qui flotte entre ciel et mer, qui aurait pu ĂȘtre au dĂ©but du XIXe siĂšcle le prĂ©texte Ă une guerre terrible entre la SuĂšde et la Finlande naissante. La sagesse et le pragmatisme lâont emportĂ©. Les populations suĂ©doises de lâarchipel des Ăles Ă land ont Ă©tĂ© politiquement rattachĂ©es Ă la Finlande, mais les Alandais jouissent dâune autonomie totale dans TOUS les domaines, Ă lâexception de la monnaie, des affaires Ă©trangĂšres et de la dĂ©fense.
Dans les CaraĂŻbes, le statut de Porto-Rico est Ă©galement Ă mĂ©diter : lâĂźle a toujours refusĂ© lâindĂ©pendance tout en souhaitant rester associĂ©e au grand frĂšre amĂ©ricain. Bien plus loin encore, les Ăles Cook dans lâocĂ©an Pacifique sont heureuses de leur statut dâĂtat associĂ© Ă la Nouvelle-ZĂ©lande. Toute disposition permettant Ă un peuple de rĂ©aliser pleinement son identitĂ© tout en respectant lâintĂ©gritĂ© dâun cadre national, est la bienvenue. Cela nous entraĂźne bien loin de lâEspagne, certes, mais ne serait-ce pas une piste pour solder, par exemple, le dossier nĂ©o-calĂ©donien ?
Note
(1) Force créée en juillet 1983 dont lâorigine historique remonterait au XVIIIe siĂšcle. Ses 17 000 à 18 000 hommes assurent les fonctions dâune police civile classique â circulation, enquĂȘtes criminelles, protection. Elles ne se substituent pas, toutefois, Ă la police nationale ou Ă la garde civile qui restent les piliers policiers de lâĂtat espagnol.
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.