21 avril 2017

Avant que le coq ne chante

Par Pierre de Laubier

Ce qui est intéressant, chez les historiens du XIXe siècle, c’est qu’ils oublient que l’historien regarde vers l’arrière. Mais ceux qui vivent l’histoire, si l’on ose employer cette expression pompeuse, c’est-à-dire ceux qui vivent, regardent vers l’avant. Ils ne savent pas ce qui va se passer après. L’homme de Cro-Magnon ne savait pas qu’il allait devenir gaulois, ni les Gaulois qu’ils allaient devenir romains, ni les Gallo-Romains qu’ils allaient devenir francs, puis français. Mais un historien comme Malet, collaborateur de Lavisse, inventeur du « roman national », et auteur d’un célèbre manuel scolaire continué après lui par Isaac, a l’air de croire que la Gaule a existé de toute éternité, la France républicaine et cocardière n’étant que l’ultime avatar dans lequel elle était destinée à s’incarner.

Malet donne à la Gaule les limites de la province conquise par César. « C’est là, dit-il, ce qu’on a appelé les frontières naturelles de la France. »

Il fait remarquer : « Les rois de France ont longtemps rêvé d’étendre le royaume jusqu’à ces limites et, selon le mot du cardinal de Richelieu, de « mettre la France partout où fut l’ancienne Gaule ». Ce fut l’idée directrice de leur politique extérieure et qui inspira beaucoup de leurs guerres. »

Et il souligne avec émotion que « le rêve fut, il y a un siècle, réalisé pour vingt ans par les généraux de la révolution. »

Toutefois, Richelieu ne donnait à la Gaule que des frontières historiques. Les « frontières naturelles » servirent de prétexte aux révolutionnaires pour annexer la Belgique et une partie de la Hollande, provoquant l’ire de l’Angleterre et vingt années de guerres ruineuses. Cette définition des « limites de la Gaule » néglige le fait que le monde celtique s’étendait jusqu’à l’Espagne à l’ouest, et de l’autre côté du Rhin jusqu’aux Carpathes. Et qu’il avait disparu sans laisser de traces pour laisser place à la civilisation latine.

Mais l’important, pour Lavisse, Malet et leurs émules est de faire de la France une entité « une et indivisible » non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps.

Ce qui fait naître, sous la plume de Malet, des phrases étonnantes. Il écrit ainsi : « Les mêmes montagnes qui s’élèvent aujourd’hui sur notre sol se dressaient au centre et à l’est de la Gaule. »

Voilà une manière singulière de chanter la France éternelle. La Gaule, c’était la France… La preuve : on y trouvait les mêmes montagnes !

Malet fait comme si jamais rien n’avait existé sur le territoire de la Gaule avant les Gaulois eux-mêmes. À ses yeux, l’homme de Cro-Magnon, le Gaulois ou le Franc tendent à devenir français comme le têtard tend à devenir grenouille. La France préhistorique, il l’appelle la Gaule, et il indique qu’« on y trouvait le mammouth, énorme éléphant aux défenses recourbées ». Mais ce noble mammifère s’est éteint il y a quinze mille ans, tandis que les Celtes ne sont arrivés en Gaule que six siècles avant notre ère.

Sans doute Malet imaginait-il le jardin d’Éden sous la forme d’un parc à la française, et Adam sous les traits d’un guerrier au visage encadré de tresses qui, ayant croqué la pomme, inventa la recette du cidre avant de chausser des braies pour cacher sa nudité à Yahvé courroucé. Yahvé qui n’est autre, bien entendu, que le pseudonyme de Toutatis.

 Cette chronique de l’abominable histoire de France a été diffusée sur Radio Libertés dans l’émission « Synthèse ».

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Philippe Randa,
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