19 mai 2018

Penser le don avec Marcel Mauss par Olivier Masclef

Par admin

Olivier Masclef est docteur en sciences de gestion. Titulaire de la chaire du « Management du Travail Vivant » à l’Ircom, il présente dans un langage accessible la théorie du don de Marcel Mauss. Les disciplines étudiées par ce dernier sont principalement l’ethnologie et l’anthropologie. Neveu d’Émile Durkheim, adhérant très tôt au Parti socialiste, Mauss milite parmi les dreyfusards, fréquente Jean Jaurès, prend part en 1904 à la fondation du journal L’Humanité. Son étude sur le don lui ouvrit de nouvelles perspectives politiques. Mauss pensait le don comme projet politique. Ainsi, il voulait « revenir à de l’archaïque » dans le but de créer une société non pas égalitaire mais plus juste.

Penser le don avec Marcel Mauss par Olivier Masclef (Nouvelle Cité)

Penser le don avec Marcel Mauss par Olivier Masclef (Nouvelle Cité)

Dès les premières lignes de l’ouvrage, Masclef rappelle que « pour ceux qui le connaissent ou ont déjà entendu parler de lui, Marcel Mauss est le penseur du don par excellence. L’Essai sur le don, le travail qui l’a rendu célèbre, a eu une influence déterminante sur la sociologie française et la philosophie ». L’auteur poursuit son analyse : « malgré la célébrité de son Essai et de son auteur, la pensée de Mauss sur le don est mal connue, pour beaucoup, elle se résume à la triple obligation donner-recevoir-rendre ».

Il est donc important de comprendre les raisons objectives pour lesquelles les pensées de Mauss sur le don sont méconnues. Le professeur en management donne la réponse suivante : « paradoxalement il est peu lu. Il est vrai que l’Essai sur le don est un texte mal écrit au regard de nos canons académiques modernes. Comme son nom l’indique, c’est un essai. Bien que volumineux et très riche (trop ?) de notes de bas de page multipliant commentaires et bibliographie, le texte semble avoir été écrit rapidement : trop de phrases, complexes, peuvent être interprétées de façons différentes ; des passages semblent se contredire ; d’autres sont difficilement compréhensibles. »

Nonobstant ces défauts révélés par l’auteur, l’Essai sur le don influence une partie du monde intellectuel. Masclef précise que Mauss « foisonnait d’idées géniales », mais lorsqu’il « avait à peine commencé une recherche, il imaginait déjà la suivante. Quand certains de ses contemporains et amis produisaient des travaux achevés – le grand exemple étant les ouvrages très charpentés de Durkheim – lui avait du mal à finir et à mettre en forme les siens ».

Cependant, les travaux de Mauss proposent des réflexions très intéressantes, notamment en les mettant en lien avec notre époque. Elles permettent de comprendre – entre autres – ce que nous avons perdu (ou gagné). En effet, « le don n’est plus le fait social total qui constitue notre société moderne. Il est devenu un mode de régulation sociale parmi d’autres. Ensuite, le don, de contrainte et intéressé est devenu, avec le temps, libre et gratuit. »

Néanmoins, la gratuité absolue et sans contrainte est-elle réellement un progrès ? Nous ne le pensons pas.

Nos sociétés consuméristes, comme chacun sait, promeuvent l’individualisme et l’immédiateté. Or « dans les sociétés analysées par Mauss, tous les individus sont ainsi imbriqués, mélangés sans être fusionnées les uns aux autres. Le collectif est la référence unique ». Toutefois, Masclef précise cette idée en expliquant que le collectif comprend « la famille, le clan ou la tribu, mais il s’étend aussi aux ancêtres, aux esprits, aux dieux, aux forces de la nature, aux totems ». En réalité, les groupes étudiés par les ethnologues ou les anthropologues ne comprennent pas que les individus sous leurs yeux. Effectivement, le groupe analysé « présuppose trois cercles concentriques : d’abord le groupe actuel composé des autres individus vivants, ensuite le groupe passé composé des individus morts mais qui sont toujours présents et agissants (ancêtres, esprits des morts, etc.) et enfin le groupe composé de forces strictement cosmiques (dieux, esprits de la nature, animaux shamaniques, totems, etc.) ».

L’auteur prend le soin de rappeler ces faits, car les lecteurs doivent savoir que « les réflexions de Mauss sur le don portent sur ce type de sociétés ». Dans celles-ci, « l’être humain y est incapable de se définir seul, de se penser seul, de vivre seul ». Masclef précise que « l’individu à proprement parler n’a que très peu de valeur. Seuls la famille, la tribu, le clan, et les clans voisins ont de la valeur. Seul le groupe fait vivre, et on vit et on meurt pour lui ». Ainsi, les liens très étroits et les obligations envers les membres d’un même groupe, au sens strict ou élargi, renforcent la coercition sociale. Cette dernière permet de mieux comprendre l’obligation du don, de sa réception et l’inévitable retour d’ascenseur. Dans les sociétés archaïques pratiquant le don, il demeure fondamental de rendre, d’une manière ou d’une autre, ce qu’on a reçu afin de préserver le caractère positif de cette action.

Ce triptyque donner-recevoir-rendre, que nous qualifions de vertueux, annule de fait les dérives que nous connaissions tous, notamment avec les associations caritatives contemporaines. En effet, elles encouragent, de manière consciente ou non, l’assistanat. Dans nos sociétés de consommation, ou la jouissance immédiate fait figure de valeur primordiale, celui qui reçoit le don ne se trouve nullement obligé de le rendre. En conséquence, il n’a plus à se soucier du lendemain, ni de celui qui donne. Il ne cherche pas non plus à comprendre les motivations du donateur. Tout ceci renforce l’irresponsabilité. Assistanat et irresponsabilité forment à nos yeux un couple corrupteur. La philosophie du don permet de mieux découvrir les organisations humaines passées et les liens forts qui existaient alors entre les individus.

Rappelons que l’Essai sur le don, sous-titré forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, est paru en 1923-1924 dans l’Année Sociologique (1).

Déjà, Mauss voyait les dérives de « la société moderne qui se déploie sous ses yeux. L’être humain n’a eu de cesse que de s’émanciper de presque tout ce qui fait justement le cœur de la théorie du don chez Mauss : la norme, la loi du groupe, le poids de la famille, le rôle des traditions, l’injustice des punitions et des sanctions, la religion ». Aussi curieux que cela puisse paraître, cette pensée peut être qualifiée de traditionnelle. Toutefois, Masclef défend une idée à laquelle nous ne souscrivons pas : « ce n’est pas seulement lié à la société marchande, moderne ou au libéralisme. C’est une lame de fond qui transforme l’histoire de l’Occident depuis deux mille ans ». Nous aurons peut-être l’occasion d’en discuter avec l’auteur (2).

Le don reste omniprésent dans nos sociétés « car malgré les efforts menés par la Modernité pour s’affranchir des normes anciennes et des contraintes communautaires, le don maussien survit dans les replis de nos sociétés : invitations données et rendues, cadeaux diplomatiques, échanges de politesses et règles de bienséance, etc. ». En dépit de ce constat, l’auteur, il semble même le regretter, expose que « le don n’est plus ce phénomène qui engage toutes les dimensions de la vie humaine et qui produit tout le groupe ».

Dans son étude, une excellente entrée en matière, Masclef revient sur les différents systèmes – potlatch et kula par exemple – en expliquant leurs fonctionnements. Il évoque, brièvement, les fondamentaux de ces sociétés primitives qui pratiquaient le don comme mode d’organisation sociale. L’auteur maîtrise très bien son sujet et sa pédagogie ravira les lecteurs. Les enseignements délivrés permettent de déflorer le vaste et important sujet du don. Ils donnent également envie de creuser cette question du don dans notre société moderne, écrasée par l’individualisme et le consumérisme. À bien y réfléchir, n’y a-t-il pas plus de bonheur à donner qu’à recevoir, comme il est écrit dans les Actes des Apôtres (20, 35) ?

Notes

(1) L’Année sociologique est une revue semestrielle française de sociologie fondée en 1896 par Émile Durkheim, qui en fut également le directeur. Elle a été publiée annuellement jusqu’en 1925, puis a recommencé sa parution sous le nom d’Annales sociologiques entre 1934 et 1942. Après la IIe Guerre mondiale, elle a à nouveau été publiée sous son premier nom l’Année sociologique.

(2) Nous renvoyons à notre neuvième ouvrage, Les Crises, auto-édition, octobre 2016.

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