11 juillet 2017

Populisme : crise du politique ou politique de la crise ?

Par Aristide Leucate

Phénomène proprement politique, le populisme peut-il être appréhendé sur le plan géopolitique ? C’est, en tout cas, le pari effectué par les divers contributeurs de la dernière livraison de l’excellente revue Conflits qui s’interroge sur les diverses « vagues » populistes ayant recouvert, ces derniers temps, les rives de plus en plus érodées du « système » politico-médiatique mondial. D’ailleurs, est-il frappant de constater qu’à l’insaisissabilité herméneutique du terme « populisme » répond l’indétermination sémantique de son corollaire négatif, le « système ». Comme le souligne pertinemment Pascal Gauchon, rédacteur en chef de la revue, dans son éditorial, le mot « système » « paraît encore plus vague que celui de ‘‘populisme’’, il permet aux critiques d’assimiler ce dernier à un mouvement inconsistant qui part à l’assaut d’une chimère à coups d’arguments approximatifs et grossiers – une sorte de Don Quichotte monté sur Sancho Panza. »

Disons que si les mots semblent incapables de refléter la réalité, existe-t-il, à tout le moins, une coalescence d’intérêts, de groupes et de personnes que l’on unifie sous la bannière des « élites », tandis que s’opposent à elles des factions nombreuses et contestataires mais divisées et désorganisées, nourrissant le ressentiment sourd d’être toujours plus déclassées et toujours moins entendues (ou représentées), auxquelles on accole péjorativement le vocable de « populiste ».

Il convient d’analyser le populisme, ici caractérisé par son aversion rabique du « système » et de ses acteurs, comme une pathologie de la démocratie entendue comme pouvoir de délibération collective par le plus grand nombre, dans un but politique et directement à son bénéfice. Lorsque cette délibération est le fait de quelques-uns, il y a place pour l’oligarchie, soit le gouvernement d’un petit nombre au risque d’une privatisation, voire d’une captation de la décision politique. Là seulement, surgit l’acmé populiste interprétée alors comme une injonction de répétition de l’indu démocratique, le peuple réclamant impérativement de recouvrer sa compétence décisionnelle qu’il estime injustement confisquée ou illégitimement détournée.

Cependant, entre crise indéniable de la représentation d’un côté (imputable à un personnel politique endogamique perclus de privilèges devenus insupportables aux yeux du plus grand nombre) et crise avérée de la délégation de l’autre (se traduisant par le refus d’accorder ses suffrages analysés, en dernière instance, comme un « chèque en blanc » à destination d’élus excédant tellement leurs prérogatives qu’ils en viennent à trahir l’électeur en commettant de véritables « chèques sans provision » d’illégitimité) s’invite une troisième que l’on a tendance à ignorer superbement tant elle est surdéterminée – sinon sublimée – par le remède qu’elle est censée apporter au déficit démocratique que stigmatise précisément le populisme. Ce grand impensé est, en effet, le peuple lui-même.

« Plebs », « ethnos », « demos » ? Foule indifférenciée de consommateurs, ethnie singulière (cimentée par une langue et une culture similaires ainsi qu’une identité de mœurs et de coutumes) ou nation soumise à une loi commune ? Force est d’observer que « la rhétorique populiste, largement répandue, se nourrit de ces différentes définitions : elle passe sans crier gare de l’unité idéale à l’unité historique réelle, mais problématique, et de celle-ci au peuple dans son sens socio-économique étroit, dont on ne voit pas en vertu de quoi il incarnerait à lui seul le vrai peuple, le peuple réel » (Serge Le Diraison, « le populisme : de la cause du peuple… au peuple en cause », Conflits, 2017, n° 14, p. 45). L’on ne sait de quel peuple l’on parle, tant il est vrai que, sectateurs du système ou contempteurs populistes en entretiennent, chacun pour ce qui les concerne, une vision à la fois éthérée, fantasmée, mythique et, dans tous les cas, partiellement factice et falsifiée, sinon frauduleuse.

Il est un fait que si le populisme s’alimente bien à ces trois sources, sa pathogénésie réside précisément dans cette incapacité foncière à se fixer également sur les trois « peuples » pris uniment. En d’autres termes, la population d’un territoire donné, qui finit par se constituer, au fil des temps, en peuple, c’est-à-dire en être collectif faisant souche, a subi sous le double effet corrosif du techno-consumérisme mercantile et du capitalisme démo-industriel (immigration et tourisme de masse) une si profonde altération en un si court laps de temps, qu’elle ne présente plus les caractères prégnants et stables d’une homogénéité relative.

Sur le plan politique, le populisme est une crise assimilable – voire commensurable – à la crise du capitalisme financier sur le plan économique. C’est dire la gravité éminente d’une crise de nature globale qui affecte l’ensemble de la planète et plus particulièrement les pays développés. Si la crise du capitalisme s’explique par le collapsus du système d’accumulation illimitée de la richesse au profit d’un très petit nombre de possédants (1 % de la population mondiale concentrerait entre ses mains 99 % de la richesse mondiale), celle de la démocratie libérale « se produit lorsque la majorité de la population estime que ses représentants ne la représentent plus » (Alain de Benoist, Conflits, 2017, n° 14, p. 51). Libéralisme politique et libéralisme économique sont donc affrontés à leurs propres excès lesquels révèlent, concomitamment, leur vrai visage. S’il n’est d’économie réelle que dans l’échange des valeurs d’usage selon la logique « donner-recevoir-rendre » (et non l’usage purement instrumental et nominal des valeurs échanges), il n’est de politique authentique que par le « bas », la représentation devant être assignée à une seule et unique fonction d’arbitrage.

 

 

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Philippe Randa,
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