1 novembre 2018

La femme du mois d’octobre : Angela Merkel

Par Richard Dessens

Le mois d’octobre 2018 représente un tournant dans l’histoire de l’Allemagne et donc celle de l’Europe, puisque sa chancelière depuis 2005, Angela Merkel, a annoncé lundi 29 octobre sa démission de la présidence de la CDU qu’elle occupe depuis 16 ans, et sa décision de ne pas se présenter pour la cinquième fois au poste de chancelière en 2021. Le magazine Forbes la désigne comme «… la femme la plus puissante dans le monde et au sein de l’Union européenne, devant ses partenaires français » qu’elle a fréquentés depuis 13 ans : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron.

Angela Merkel : vers l'Adieu…

Angela Merkel : vers l’Adieu…

Elle est aussi la première femme chancelière d’Allemagne, la 34e depuis 1871, et la deuxième en longévité politique (16 ans, si elle va au bout de son dernier mandat) juste après… Otto von Bismarck qui fut chancelier de 1871 à 1890 (19 ans). À l’inverse c’est Joseph Goebbels qui détient le record de durée minimale de chancelier d’Allemagne : 1 jour (du 30 avril au 1er mai 1945, du suicide d’Adolf Hitler à son propre suicide).

Outre sa puissance (et celle de l’Allemagne surtout) dans le monde, sa longévité politique et le fait qu’elle est une femme appelée aux plus hautes fonctions, elle est aussi emblématique dans sa manière programmée et organisée de quitter le pouvoir, par étapes et plus de trois ans à l’avance.

Sur le plan politique, son retrait progressif mais bien réel, est dû notamment à sa politique d’immigration massive qu’elle a méthodiquement organisée en installant un million de réfugiés en Allemagne en 2015 principalement.

Peut-être grisée par sa toute-puissance, elle a cru pouvoir aller à rebours d’un rejet déjà bien affirmé d’une immigration qui ne cesse – et continue – de submerger l’Europe, en dehors de l’immigration spécifique et ponctuelle syrienne notamment. C’est d’ailleurs ce qui permet aux commentateurs de nier l’immigration en Europe en occultant les immigrations « traditionnelles » et en affirmant que le flot d’immigration s’est tari depuis 2017, passant de 1,8 million à 260 000, entre 2015 et 2017, en ne prenant en compte que les flux migratoires dus à la guerre au Moyen-Orient. C’est sans compter les autres immigrations qui, elles, aujourd’hui comme hier, poursuivent leurs chemins avec enthousiasme.

Il demeure que les Allemands ont réagi à cet accueil massif qui venait s’ajouter aux immigrations turques et d’autres zones, rendant insupportable une situation devenue explosive. À ce titre, Angela Merkel paye son inconséquence politique et a renforcé une certaine déstabilisation de ses voisins d’Europe centrale entraînée dans sa décision audacieuse.

Cette politique a entraîné aussi l’effondrement relatif de la CDU, et avec elle, son allié de toujours le SPD qui s’effondre dans les urnes ; boosté le mouvement Pegida (« Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes » : Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) et hissé à la deuxième place politique en Allemagne l’AfD, tous deux principaux opposants à l’immigration échevelée en Allemagne. Les échecs des élections de Bavière, le 14 octobre, et de Hesse, le 28 octobre, ont accéléré la chute politique d’Angela Merkel, déjà discréditée dans l’opinion.

Hormis cet aspect central, Angela Merkel a été aussi l’artisan des alliances dans certains landers entre la CDU et les Grünen, alliances jusqu’alors rejetées par la CDU. Cette ouverture curieuse n’a pas non plus été une réussite et a contribué à déstabiliser la CDU et la clarté de ses choix politiques. Les Grünen ne pourront que regretter le départ d’une Chancelière conciliante avec eux.

Enfin en ce qui concerne le « couple » franco-allemand, tellement vanté depuis le général De Gaulle et Konrad Adenauer comme étant la condition d’une réussite de la construction européenne, on ne peut pas dire non plus qu’Angela Merkel en fut un moteur, ni avec Nicolas Sarkozy, en dehors des sourires de façade et des agitations personnelles de Nicolas Sarkozy ; ni avec François Hollande, incapable de s’entendre avec elle ; ni avec Emmanuel Macron qui s’est mis en tête de faire cavalier seul, persuadé qu’il incarne à lui seul toute l’Europe de l’UE. De toute manière le déclin en interne d’Angela Merkel déjà entamé en 2017, l’empêchait de s’imposer à l’extérieur.

Le retrait d’Angela Merkel annoncé en octobre annonce une succession aux enjeux politiques majeurs. Annegret Kramp-Karrenbauer (dite « AKK ») est la candidate désignée par Angela Merkel, une proche qui risque de payer sa trop grande ressemblance ; Jens Spahn, jeune et anti-immigration, conservateur, peut avoir une chance en coupant les liens avec le passé proche. Ou d’autres ? Les élections européennes clarifieront peut-être les choses.

Si la carrière politique exceptionnelle d’Angela Merkel peut être saluée, son départ ne peut que réjouir tous ceux qui ont une autre conception de l’Europe et de son devenir. Ce mois d’octobre fut un excellent mois pour l’Europe, éclairé par l’auto-éviction forcée d’Angela Merkel, et confirmé, en Amérique du Sud par l’élection de  comme un contrepoint à la Chancelière déchue.

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