14 juillet 2017

Camus autrement, glorieux Prix Nobel et fils de « chez nous ôtres »

Par Fabrice Dutilleul

 

« Tel le Phénix le bel Albert semble renaître de ses cendres.
Celui que l’intelligentsia avait anathématisé, pulvérisé,
avant de le jeter dans les poubelles de l’histoire
est réapparu semble-t-il, plus fringant que jamais »

Entretien avec Jean-Pierre Brun, auteur de Camus autrement (éditions Dualpha)

(propos recueillis par Fabrice Dutilleul).

Jean-Pierre Brun.

Jean-Pierre Brun.

Pourquoi avoir attendu 2011 pour écrire un ouvrage sur Camus. Était-ce une façon de saisir l’opportunité offerte par le cinquantième anniversaire de sa mort ?

Certainement pas ! Mais que la floraison de livres et d’articles publiés en la circonstance y soit pour quelque chose, c’est évident. J’ai toujours fustigé les esprits bien intentionnés qui pratiquent l’art de faire parler les morts. Et dans ce domaine je n’ai pas été déçu. À lire et écouter des contemporains, éclairés sinon illuminés, qui venaient de se pencher sur la tombe de notre prix Nobel, j’ai eu la confirmation que, pour certains, il était mort en 1936, pour d’autres en 1945 voire en 1951… Bref, c’était pour tout un chacun une opération à inscrire dans une rubrique « nécrophagique » consacrée à l’art d’accommoder les restes. Mon épouse, camusienne de cœur, a fait le reste en me poussant à écrire un Camus « autrement ».

Justement, en quoi votre travail le présente-t-il « autrement » ?

Camus lu et étudié hors de son contexte socio-culturel est difficilement compréhensible. Ce n’est pas un hasard si son ouvrage posthume, Le premier homme, est consacré à la présentation de ce contexte. Albert est « un Pieds-noirs », « un petit blanc », comme d’ailleurs les trois quarts de ses concitoyens. Très tôt, il a baigné dans cette culture cosmopolite née d’un apport culturel et folklorique (au sens noble du terme) de gens venus de partout et de nulle part. Je suis Pieds-noirs et à la lecture du Premier homme, j’ai bien cru, dans de nombreuses pages, être le modèle de l’auteur. J’ai vécu en France métropolitaine les mêmes difficultés qu’avait rencontrées Camus auprès d’une intelligentsia parisienne combien suffisante, à savoir une incompréhension majuscule. Mon Camus « autrement » ne vise rien d’autre qu’une explication de ses réflexions, évolutions et convictions par son terreau originel. Je ne prendrai pour exemple que le respect de ce sens de l’honneur qui peut paraître bien suranné aux yeux de nos contemporains, mais qui avait là-bas une telle importance et qui explique chez lui bien des choses.

En quoi l’image de Camus telle que véhiculée aujourd’hui vous agace-t-elle ?

Je me contenterai de contester celles qui, « retouchées », « stéréotypées », présentent de lui un profil lisse, sans défaut, comme des photographies tirées à l’occasion de la première d’un film ou bien destinée à un programme de théâtre (technique « Studio Harcourt »). C’est ainsi qu’on peut admirer « le militant révolutionnaire », « le Libertaire », « le Philosophe » (parfois des classes terminales), « le Play-boy » (pourquoi pas « façon Humphrey Bogart »), « le Prix Nobel » (contestable bien sûr), etc. Pour moi le véritable Camus est celui qui refuse l’étiquette de philosophe et dont l’inaccessible et interminable quête reste celle du Beau et du Vrai. Lui qui rêvait d’être sculpteur est d’un classicisme intégral, que ce soit dans le domaine des Beaux-Arts , de la Littérature, du théâtre ! Sa référence permanente à la Grèce antique, ses goûts en matière de peinture, de statuaire, de théâtre le prouvent. Son opposition farouche à l’abstraction et aux « Surréalistes » ne devrait d’ailleurs tromper personne.

Le malentendu qui subsiste aujourd’hui et qui peut donner encore une image biaisée du personnage réside dans « l’énorme nuance » qui existe entre un révolutionnaire et un révolté. Il est curieux de constater que cinquante ans plus tard des esprits malins en jouent encore.

Ce devoir terminé et rendu, vous laisse-t-il un regret ?

Je l’ai dit plus haut, la lecture de Premier Homme a fait de moi comme un jeune frère de Camus. Jean Brune et André Rossfelder m’ont permis de découvrir un Camus méconnu, méjugé par les siens à l’occasion de sa recherche d’une trêve civile avec le FLN. Depuis, une question ne cesse de me tarauder : Comment aurait-il vécu les années 1961-1962 et quel aurait pu être son apport dans la résolution de la crise ? Mais je le confirme, il ne faut pas faire parler les morts.

Camus autrement de Jean-Pierre Brun, Préface de Laurence Brun-Mircher, 186 pages, 23 euros, éditions Dualpha, collection « Patrimoine des Lettres », dirigée par Philippe Randa. Pour commander ce livre, cliquez ici.

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Philippe Randa,
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