5 mai 2017

Les migrations ne sont pas qu’un phénomène statistique

Par Aristide Leucate

Dans un ouvrage paru en début d’année, intitulé Les véritables enjeux des migrations (Le Rocher, 2017), son auteur, Jean-Paul Gourévitch, expert devenu incontournable en la matière, affirme tenir pour « indiscutable », s’agissant de la France, « l’accroissement en valeur absolue et en pourcentage de la population d’origine étrangère » tout en relevant, d’une part, les marges d’erreurs des instituts officiels tels que l’INED ou l’INSEE, d’autre part, l’absence dommageable des statistiques ethniques.

Ainsi, « n’est-il pas dangereux de casser le thermomètre quand on analyse un état de santé ? », lance, un brin dubitatif, notre chercheur qui, non sans avoir indiqué que « les immigrés seraient, fin 2016, autour de 8 millions, soit 12 % de la population », considère, nonobstant, que le solde migratoire de l’immigration légale se situant aux alentours de 150 000 personnes annuelles, « nous sommes loin du grand remplacement […] les quelque 15 à 22 % de la population d’origine étrangère résidant en France ont été constitués sur plus de trente ans. »

Pour autant, la psychologie et le processus progressif d’imprégnation culturelle restent les grands impensés de cette approche sèchement statistique et financière.

D’abord, comme le rappelait Fernand Braudel, « chez nous, l’immigration massive a été relativement tardive : en 1851, à la veille du Second Empire, les étrangers ne représentent pas 1 % de la population ; ils sont 2 % vers 1872, au début de notre Troisième République. »

C’est donc le caractère récent (depuis la Première Guerre mondiale) et essentiellement extra-européen de l’immigration de masse qui renforce aujourd’hui le sentiment d’une fracture nationale toujours plus accrue. Ensuite, ce phénomène ayant étroitement partie liée avec le capitalisme de marché, laisse possiblement craindre une substitution de population, à moyen terme, le système consuméro-capitaliste ayant, lui-même, engendré de considérables bouleversements des modes de vie (les hypermarchés ou l’industrie agroalimentaire s’étant substitués à l’épicerie de quartier ou à la ferme familiale).

Mais, une fois la lecture achevée, on se rend compte que le titre de l’ouvrage en promettait davantage qu’il n’en a commis. Car si le dossier a bien été instruit à charge et à décharge, l’on reste quelque peu sur notre faim, insuffisamment rassasiée, malgré la profusion de graphiques, de tableaux et de chiffres en tout genre. C’est que, pour reprendre la célèbre formule attribuée au démographe, Alfred Sauvy, « les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire. »

À cette aune, l’on regrettera que notre africaniste ait succombé au scientisme économiste à la mode au détriment d’une approche anthropo-culturelle et historico-sociologique.

Le concept de « grand remplacement » forgé par Renaud Camus – que Gourévitch taxe, sacrifiant à une facilité stylistique, de « fille bâtarde de la Division de la Population des Nations unies et des théoriciens de l’expansion démographique continue » – ressortit davantage à une appréciation fondée sur une vision directe de la réalité immédiate qu’il ne se laisse enfermer dans des algorithmes prédictifs – dont l’essayiste admet sans peine que leurs prétentions au long terme « multiplient les chances d’erreurs ».

Dans Notre jeunesse, Charles Péguy écrivait qu’« il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Le grand remplacement camusien, aux antipodes des spéculations onusiennes, traduit surtout, par sa force d’évidence sémantique, l’implacable constat, individuel et collectif, d’une lente et inexorable dépossession de soi au sein d’un univers jusque-là familier et tranquillement transmis de génération en génération.

« J’étais dans de vieux villages de l’Hérault, donc, de vieux gros villages ronds et fortifiés, aux rues étroites, aux maisons serrées de guingois les unes contre les autres, et qui en l’an mil avaient déjà, pour beaucoup d’entre eux, une solide expérience du monde. C’était avant la France, diront certains. Peut-être. Quoi qu’il en soit, maintenant, c’était après, aurait-on pu croire : parce qu’aux fenêtres et sur les seuils de ces très vieilles maisons, le long de très vieilles rues, apparaissait presque exclusivement une population inédite en ces parages et qui par son costume, par son attitude, par sa langue même, semblait ne pas lui appartenir mais relever d’un autre peuple, d’une autre culture, d’une autre histoire » (Renaud Camus, Le Grand Remplacement, 2012).

Aussi passionnant soit-il – et il l’est incontestablement – le livre de Jean-Paul Gourévitch n’adopte, cependant, qu’un point de vue partiel d’une réalité profondément multiforme aux ressorts psychologiques complexes, que l’aridité des chiffres et des courbes sinusoïdales est incapable de transposer fidèlement, au risque, d’ailleurs, de la travestir.

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Philippe Randa,
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