8 décembre 2016

Les chimères « homme-animal » : vers le totémisme ?

Par Euro Libertes

par Benjamin Wirtz.

Qu’est-ce que la technique de la chimère ? Concrètement, il s’agit d’hybrider deux espèces, l’homme et l’animal, par l’injection de cellules souches humaines dans des embryons d’animaux, en vue de produire des organes au sein d’organismes chimériques, modifiés, se prêtant alors au simple prélèvement à la manière d’incubateurs de pièces biologique de rechange. L’hybridation de l’homme et du cochon doit ainsi permettre la production d’un pancréas se développant avec des cellules humaines, au sein d’un incubateur de grande consommation. Une pratique qui prend de l’ampleur, particulièrement en Chine, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

L’hybridation est certes un enjeu politique, ne considérant que ses implications éthique et juridique : quels droits pour les chimères, par exemple ? Elle est d’abord un enjeu culturel, un enjeu de civilisation, dans la mesure où elle implique et favorise la remise en cause de nos concepts fondamentaux : est-il possible de distinguer l’homme de l’animal, et pour quels effets pratiques ? L’Occident moderne fut essentiellement porté par une vision « naturaliste » de la réalité, selon la typologie développée par l’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, auteur d’un essai Par-delà Nature et Culture. Une vision naturaliste occidentale distinguant nettement l’homme et l’animal ; l’intériorité et l’essence des animaux de l’intériorité et de l’essence des hommes, en dépit de la ressemblance corporelle et de la proximité de notre constitution matérielle ou physique. L’avènement des chimères et la logique de l’hybridation peuvent cependant infléchir puissamment sa dynamique historique, jusqu’à l’adoption d’une vision radicalement autre.

Questionnons toujours l’anthropologie et l’ethnologie de Descola. L’hybridation de l’homme et de l’animal est le propre du « totémisme », de la vision de la réalité postulant la ressemblance intérieure et extérieure de l’homme et de l’animal, la ressemblance tant matérielle qu’essentielle. En d’autres termes, il n’existe aucune séparation radicale entre l’homme et l’animal dans le cadre du totémisme, quand la distinction n’est pas simplement d’ordre logique, verbale. Une vision de la réalité que nous pourrions tendre à adopter dans la mobilisation par le génie génétique, nous apprêtant à réorienter la dynamique de la civilisation occidentale. De telle sorte que nous serions, à l’aube du prochain siècle, plus proches d’Aborigènes australiens que d’Européens de la Renaissance ou des Lumières, sous l’effet paradoxal du déploiement de la logique technoscientifique. Évoluant du naturalisme au totémisme, de la nette distinction entre l’homme et l’animal à l’hybridation, l’Occident opérerait une mutation profonde, dont les conséquences ne sont que partiellement prévisibles. S’impose seulement cette évidence : nous ne serions plus les héritiers d’Athènes, de Rome, et de Jérusalem, et nous ne verrions plus l’intérêt primordial de Platon, de Cicéron et de saint Paul. En tout cas plus de la même manière. Nous ne serions plus les héritiers de la voie naturaliste vers la culture et vers la puissance.

Au-delà des problèmes éthique, juridique, politique, s’affirme le problème civilisationnel, qui leur sert en pratique de fondement. Souhaitons-nous, demain, accoucher d’une civilisation régie par le totémisme, ou par tout autre rapport à la réalité ? La question n’est pas gratuite, ni purement spéculative. Il est possible que la technique, à travers l’hybridation et la production de chimères, ne soit en train de se retourner contre les conditions historiques de son émergence. En admettant que la triade Athènes-Rome-Jérusalem fut la condition de la dynamique naturaliste, partant de la dynamique de puissance occidentale et du développement de la technique, le risque de son abandon peut signifier également celui de la puissance et de la technique. En donnant l’illusion de porter cette dernière à son accomplissement, à son point ultime : on ne se réchauffe ainsi jamais plus qu’au centre de la fournaise, qui nous consume.

S’il est désormais évident que nous serons demain méconnaissables à nos propres yeux, que nous entrons dans une nouvelle époque de l’Occident, il importe de savoir si nous avons le désir, la volonté et les moyens de préserver notre héritage. Ou si nous souhaitons nous abandonner aux courants du monde, au risque du retournement de la technique contre elle-même, au risque d’une dérive culturelle de l’Europe vers les terres australes, qui peut certes ne pas manquer de produire d’étonnants effets.

Rien de plus concret, et peu de choses sont plus impérieuses. On peut certes le nier, se condamnant alors à la neutralisation rapide du politique, relégué à des problèmes secondaires, à des problématiques provinciales dont il ne sera guère plus que le pôle de gestion. Les chimères seront-elles commercialisées en dollars, en euros, en nouveaux francs ? Là n’est pas l’essentiel quand l’indifférence au développement technoscientifique et ses conséquences civilisationnelles, à l’exemple d’un possible passage du naturalisme au totémisme, est le type même de l’attitude « impolitique ». L’attitude impolitique, qui condamne les corps sociaux, et à terme nos corps tout court, à se placer sous un nouveau pôle de souveraineté. Le politique s’efface lorsqu’il cesse de participer « consciemment » à la lutte pour la culture, pour la chair, pour l’évolution de l’espèce à travers l’Occident. Il s’efface lorsqu’il cesse de se vouloir à la hauteur du savant, à la hauteur des problèmes que met à jour le technicien.”

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Philippe Randa,
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