5 décembre 2019

Thierry Baudet : « Des frontières prises d’assaut »

Par Lionel Baland

Au sein de la deuxième partie de son livre Indispensables frontières, intitulée « Des frontières prises d’assaut », le dirigeant du parti politique néerlandais Forum voor Democratie Thierry Baudet traite la question des attaques conduites par les États-nations d’Europe occidentale, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, à l’encontre de l’existence des frontières nationales. Cette section du livre est consacrée à la mesure du degré d’avancement de l’affaiblissement de l’État-nation, à l’intérieur, par le multiculturalisme, et, à l’extérieur, par le supranationalisme.

Thierry Baudet distingue le fait qu’un État souverain conclut des alliances avec d’autres États souverains – OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), ONU (Organisation des Nations unies) – sauf le Conseil de sécurité –, OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) – et l’instauration de structures supranationales – CPI (Cour pénale internationale), CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), CIJ (Cour internationale de justice), OMC (Organisation mondiale du commerce), CS (Conseil de sécurité), UE (Union européenne). Le premier de ces deux phénomènes est naturel et n’affecte pas l’État-nation, alors que le deuxième instaure des organismes qui sont au-dessus des États. Dans le premier cas, les États gardent leur libre arbitre, et, dans le second, le perdent.

Arguments en faveur du supranationalisme

Baudet évoque et infirme deux arguments mis en avant par les tenants du supranationalisme.

Le premier est que les décisions prises au niveau supranational sont « universelles », qu’elles découlent d’une stricte logique économique et qu’elles ont, de fait, un caractère « non politique ». Ceux qui défendent cette position ajoutent souvent que les questions nécessitant un choix politique doivent rester du ressort des États membres. La Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, affirme n’être en charge que de débats d’ordre universel, non politiques. Dans la mesure où un grand nombre de principes et de règles de cette cour (telle l’abolition de la peine de mort) vont clairement à l’encontre des positions de larges minorités, et même de majorités, de beaucoup d’États européens, cette simple notion d’universalité peut apparaître comme une source de tension.

Nous retrouvons cette idée d’une supposée « universalité » des décisions dans les politiques d’union économique et monétaire (UEM) de l’Union européenne, qui a mis en place une monnaie unique sur laquelle est fixé le taux d’intérêt, et qui doit permettre de contrôler l’inflation en fonction de critères « non politiques ». Les partisans de ces développements supranationaux supposent donc très largement qu’un grand nombre de décisions autrefois confiées aux autorités politiques nationales peuvent désormais être dictées par des lois économiques ou morales universelles, et par là même que beaucoup de questions économiques ou morales seraient non politiques. Comme le dit John Laughland : « Les présupposés économistes et antipolitiques qui sous-tendent la construction européenne sont les plus grandes menaces pour la démocratie et le droit. En Europe (et pas seulement au niveau des institutions européennes), il est largement admis que la politique est simplement l’administration de l’économie et qu’il suffit de bien accomplir cette tâche, même en l’absence de démocratie. […] Aux yeux des partisans de l’économisme, l’État et l’activité politique sont encombrants et absurdes. Il vaut mieux, semble-t-il, organiser le monde rationnellement, mettre fin aux discussions et aux disputes, et mettre en place des systèmes politico-économiques qui encouragent l’harmonie plutôt que le conflit » (1).

En effet, « Le langage économique a largement remplacé le langage politique »(2) […]. C’est tout aussi flagrant en ce qui concerne l’Union européenne qu’en ce qui concerne l’Organisation mondiale du commerce […]. Ce que les supranationalistes omettent de préciser en évoquant ces dispositions « universelles », c’est de quelle autorité politique ces dispositions émanent, étant donné que ce qui n’est pas du domaine politique ne requiert apparemment pas de légitimation politique.

Le second argument généralement mis en avant pour justifier les développements supranationaux vient de ceux qui, tout en reconnaissant les implications politiques de ces développements, prétendent que la perte de souveraineté et (dans le même temps) d’indépendance politique serait, d’une certaine manière, compensée par la croissance économique ou d’autres avantages. Cela vaut particulièrement pour l’OMC, censée œuvrer dans l’intérêt de l’ensemble de ses membres, mais qui, dans certains cas, est aussi capable d’agir contre l’intérêt ou la volonté de certains d’entre eux. Le même argument est valable dans les débats sur l’Union européenne, l’euro et le marché commun qui, comme continuent de le souligner les partisans du supranationalisme européen, sont profitables à tous, sans que soit envisagée la possibilité qu’ils puissent être défavorables à certains des États membres »(3).

Thierry Baudet étudie ensuite les six institutions supranationales : « Dans un souci de clarté, je les ai séparées en deux groupes : d’un côté les cours supranationales, de l’autre les organisations supranationales. Le premier regroupe la Cour pénale internationale, la Cour internationale de justice et la Cour européenne des droits de l’homme ; le second comprend l’Organisation mondiale du commerce, le Conseil de sécurité et l’Union européenne. […] Toutes ces organisations s’étant développées assez récemment, leurs pouvoirs restent, à ce jour, relativement limités. Mais réunies, elles forment un réseau d’institutions décisionnelles générateur d’une gouvernance multi-niveaux, qui constitue le premier élément de la double attaque contre les frontières »(4).

Frontière Belgique - Pays-Bas…

Frontière Belgique – Pays-Bas…

Les États-nations dépouillés

« Chacune de ces institutions supranationales dépouille, à sa manière, ses États membres de certains attributs de leur souveraineté nationale. Les États membres peuvent, de ce fait, se voir imposer des règles ou décisions sur lesquelles ils n’ont jamais exprimé leur avis ou leur accord, et qui vont parfois à l’encontre de leurs intérêts ou préférences.

Toutes ces décisions ne sont pas d’une importance capitale. Toutes les institutions supranationales n’ont pas forcément des pouvoirs ou des périmètres d’action très étendus. L’Organisation mondiale du commerce a des compétences limitées. La Cour européenne des droits de l’homme n’a que peu de moyens d’imposer ses vues. Mais d’un point de vue général, tout un réseau d’engagements supranationaux s’est tissé durant les dernières décennies, permettant à chaque institution d’accaparer l’une ou l’autre partie du pouvoir de décision nationale dans certains domaines de la politique, leur permettant de prendre une part toujours plus significative dans les décisions politiques et judiciaires qui affectent les États européens.

Ces organisations ont toutes vu le jour assez récemment et leurs pouvoirs restent relativement limités. Mais si rien ne change, elles continueront, dans les années à venir, à étendre leur emprise sur leurs États membres. Leurs pouvoirs ne cesseront d’augmenter. Chaque décision judiciaire crée un précédent, chaque nouvelle règle ou directive dépossède la démocratie nationale d’un domaine de décision, aussi petit soit-il.

De plus en plus souvent, les gouvernements centraux peuvent être mis en minorité par des majorités d’autres nations ou d’un collectif anonyme de bureaucrates. Des juges étrangers peuvent de plus en plus souvent outrepasser des juges nationaux sur des questions de droit ou de morale.

Par définition, ces majorités supranationales et ces juges étrangers ne sont pas, et ne peuvent pas, être soumis à la même séparation des pouvoirs que celle à laquelle sont soumis les parlements et juges nationaux, tant qu’aucune structure politique intégrée, par exemple un État mondial, ne sera créée »(5).

Alors que le supranationalisme s’imposait, dans les faits, de plus en plus, la plupart des États occidentaux adoptaient une politique de multiculturalisme parallèle à un afflux considérable d’immigrants, ce qui a conduit, dans nombre de ces pays à une remise en question de la cohésion nationale et du concept d’identité nationale.

Frontière Pays-Bas - Belgique…

Frontière Pays-Bas – Belgique…

Pour une culture dominante

Baudet estime que « le supranationalisme et le multiculturalisme sont par définition incompatibles avec l’autogouvernance nationale ». Selon lui, celui qui soutient la démocratie parlementaire et l’État de droit, ne peut saluer leur existence.

Thierry Baudet défend le nationalisme multiculturel – une société diverse et pluraliste qui serait néanmoins maintenue par un noyau monoculturel, constitué par une culture dominante qui est un noyau de valeurs fondamentales –, qu’il oppose au multiculturalisme – qui rejette l’idée d’une culture dominante. Il écrit : « l’État-nation socialement homogène est un phénomène relativement récent et rien dans sa philosophie ne s’oppose intrinsèquement à une société pluraliste ».

 

Notes

(1) LAUGHLAND John, The Tainted Source. The Undemocratic Origins of the European Idea, Little Brown, Boston, 1997, p. 192.

(2) SIEDENTOP Larry, La démocratie en Europe, trad. A. Collas et H. Prouteau, Buchet/Chastel, Paris, 2003, p. 58.

(3) Baudet Thierry, Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, préface de Pascal Bruckner, Éditions du Toucan, Paris, 2015, p. 141 à 143.

(4) Ibid., p. 143 à 144.

(5) Ibid., p. 271-272.

Source

Baudet Thierry, Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, préface de Pascal Bruckner, Éditions du Toucan, Paris, 2015. (Traduction de : De Aanval op de Natiestaat).

Indispensables frontières de Thierry Baudet.

Indispensables frontières de Thierry Baudet.

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