23 juin 2018

Europa et Thanatos (IV)

Par Aristide Leucate

Finalement bien peu sont disposés à renoncer à ce mode de vie devenu la norme dans les démocraties libérales marchandes, quelles que soient les catégories sociologiques envisagées – y compris chez les plus pauvres dont le désir consumériste est doublement stimulé par le crédit et la publicité. Et si l’immigration de masse peut permettre de conserver et de perpétuer ce mode de vie « en garantissant une main-d’œuvre jeune et bon marché, alors peut-être serons-nous prêts à supporter nombre d’éventuels inconvénients. »

Cet hédonisme structurel est alimenté par la remise en cause – sous l’effet des théories corrosives de la déconstruction – des idées philosophiques qui ont irrigué l’Europe depuis Rome et Athènes. En réalité, confesse Murray, « la philosophie européenne en général est ravagée par le doute », si bien qu’« au lieu d’être inspirés pas la quête de vérité et par les grandes questions qui occupaient leurs prédécesseurs, les philosophes européens se sont laissé envoûter : leur but est désormais d’éviter toute question. La déconstruction, non seulement des idées mais aussi de la langue, relève du même désir, celui de ne jamais aller au-delà de l’analyse des outils philosophiques. En réalité, éviter d’affronter les vrais problèmes semble parfois être la seule préoccupation de la philosophie. […] Le désir de poser des questions sur tout pour ne jamais aller nulle part semble être devenu un enjeu essentiel ».

À cette enseigne, ne doit-on pas s’étonner de la perte du sens des mots (citoyens versus étrangers, migrants versus réfugiés, immigrés versus clandestins, par exemple) qui participe de la dénaturation des faits et de leurs travestissements idéologiques.(1)

Douglas Murray.

Douglas Murray.

Il en résulte un relativisme ambiant qui tient en suspicion généralisée toute opinion qui se présenterait sous les atours quelque peu rassérénant d’une vérité minimale établie. C’est une constante anthropologique, observe Douglas Murray, que « la plupart des gens aspirent à une forme de certitude. La religion, la politique, la relation aux autres restent les rares moyens dont nous disposons pour établir des convictions face au chaos qui règne autour de nous ». Et de poursuivre : « la plupart des peuples non européens – ou les cultures que nous avons influencées – ne partagent pas ces angoisses, ces méfiances et ces doutes ».

On ne manquera pas d’être frappé par le fait que le relativisme philosophique dans lequel baignent les Européens ne s’applique pas aux cultures d’importation en ce sens que l’Autre est d’abord appréhendé comme un Même. Toujours ce tropisme universaliste qui empêche une saine analyse anthropologique de l’altérité. Les travaux de Lévi-Strauss sur ce point sont allègrement passés par pertes et profits, lors même qu’ils ont représenté, durant des années, le dogme immarcescible de la tolérance antiraciste. Pourtant, s’interroge Murray, « quelles répercussions peut avoir l’arrivée massive en Europe de gens qui n’ont reçu en héritage ni les doutes ni les intuitions des Européens ? […] La seule chose dont nous puissions être certains, c’est que cela ne saurait rester sans effet. Laisser s’installer des dizaines de milliers de gens, avec leurs idées et leurs contradictions, sur un autre continent qui professe d’autres idées et porte d’autres contradictions, a nécessairement des conséquences. L’hypothèse que formuleraient les tenants de l’intégration, selon laquelle tout le monde, avec le temps, pouvait se transformer en Européen, apparaît d’autant moins valide aujourd’hui que de nombreux Européens ne sont eux-mêmes pas vraiment certains de vouloir le rester. Une culture qui privilégie le doute permanent et le manque de confiance en soi n’a que peu de chances de convaincre les gens de l’intérêt de l’adopter ».

La lecture d’un tel essai (542 pages) ne peut laisser de marbre aucun Européen conséquent – c’est-à-dire préoccupé par le devenir de sa civilisation. L’on mesure, une fois refermé l’ouvrage, combien sera longue et fastidieuse la route de la reconquête – si l’on y parvient jamais. Les institutions et instruments démocratiques semblent si peu adaptés aux nouveaux enjeux.

En 1954, dans son essai Assomption de l’Europe, Raymond Abellio écrivait que « l’Europe actuelle, devant sa crise, mais non encore réellement en elle, se tient aujourd’hui à ce stade de l’alexandrinisme où meurent les anciens dieux sans que les nouveaux soient encore apparus ». Nous avons plutôt l’impression que les dieux, quels qu’ils fussent, se sont déplacés vers l’est. La muraille contre-idéologique qu’érigent les pays du Groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) en atteste. Murray note que « ces pays sont certainement les seuls en Europe qui aient gardé en mémoire ce qu’est le tragique de l’existence, chose qu’ont oubliée leurs alliés occidentaux. Ils savent que tout ce qu’ils possèdent peut être balayé dans un sens, puis dans l’autre, avec la même facilité ». C’est dire que l’Europe a métapolitiquement, métaphysiquement, spirituellement manqué le rendez-vous de son occidentalisation – à ne pas confondre avec son américanisation – qui eût pu la transfigurer si elle avait su concilier, dialectiquement, la vaine reviviscence du « passé sans avenir » de l’Est et l’orgueilleuse quête prométhéenne de « l’avenir sans passé » de l’Ouest. Au lieu de cela, l’Europe s’est étrécie dans l’instantanéisme hors-sol d’un présent sans passé ni avenir.

Note

(1) Voir Ingrid Riocreux, La langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement, Éditions du Toucan, Paris, 2016 ; Laurent Fidès, Face au discours intimidant : Essai sur le formatage de la pensée à l’ère du mondialisme, Éditions du Toucan, Paris, 2015.

Douglas Murray, L’Étrange suicide de l’Europe. Immigration, identité, islam, L’Artilleur, Paris, 2018.

L'étrange suicide de l'Europe: Immigration, identité, Islam - Douglas Murray (L'Artilleur).

L’étrange suicide de l’Europe: Immigration, identité, Islam – Douglas Murray (L’Artilleur).

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