23 janvier 2020

Ces drôles d’États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours.

Par Fabrice Dutilleul

Entretien avec Jean-Claude Rolinat, auteur du Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours.

Propos recueillis par Fabrice Dutilleul.

Jean-Claude Rolinat.

Jean-Claude Rolinat.

« C’est Paul Valéry qui disait que les civilisations sont mortelles,
et nous avons sous nos yeux la réalisation du pire
en ce qui concerne la plus brillante des civilisations
que la terre ait portée, la civilisation européenne »

Pourquoi une nouvelle édition de votre Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours ?

La nécessité s’en est fait sentir lorsque j’ai retrouvé, au fil de mes lectures et de mes recherches, des embryons de pays, des États ayant réellement existé dans la mouvance de la guerre civile russe, par exemple, mais pas que. C’est ainsi que nous avons enrichi le manuscrit originel de 33 nouvelles entrées, comme le Donetsk-Krivoï-Rog, le Gumuljina, Ikaria, Lemko rusyn, Naissaar ou la République cantonale de Négros, aux Philippines.

D’où vous vient ce goût de rechercher des entités disparues, dont certaines sont quasiment inconnues ?

J’ai toujours été passionné par la notion « d’État », d’entité politique différente, qu’elle soit de format républicain ou monarchiste, éphémère ou millénaire, autoproclamée, comme les cryptarchies. C’est Paul Valéry qui disait que les civilisations sont mortelles, et nous avons sous nos yeux la réalisation du pire en ce qui concerne la plus brillante des civilisations que la terre ait portée, la civilisation européenne. Eh bien, les constructions étatiques sont, elles aussi, mortelles : pensez à l’Empire Byzantin, à l’empire austro-hongrois, à l’URSS, ces deux derniers étant des « clients » de mon livre. Il y a eu aussi des États sécessionnistes qui n’ont pas duré, comme le Katanga, le Biafra ou le Sud-Kasaï en Afrique, écrasés par des forces militaires supérieures, comme Atjeh, les Moluques ou Sumatra en Indonésie.

N’avez-vous pas aussi retenu des entités, disons… « folkloriques » ?

Oui, il y a eu des villages, comme Embo en Écosse ou Vellerat en Suisse, qui ont proclamé leur indépendance pour quelques jours ou quelques heures, rompant réellement, d’une manière pas seulement fictive, tous les liens les rattachant à leur métropole. Pour mieux la réintégrer après !

Vous évoquiez à l’instant les « cryptarchies », mot inventé par Bruno Fuligni, spécialiste du sujet, c’est-à-dire des entités politiques dont un homme se proclame le souverain, on dirait ex nihilo. Pouvez-vous citer un exemple ?

Le Rupununi, au Guyana ex-britannique, me vient à l’esprit, où des familles de grands propriétaires terriens ont voulu s’affranchir du gouvernement de Georgetown. Ça n’a pas duré, pas plus que ce que ne durent les roses ! On pourrait citer aussi Hutt River province, en Australie, où un certain Léonard s’était autoproclamé « prince », comme le débonnaire barbu, le sosie du capitaine Haddock, s’était couronné à Seborga, en Ligurie italienne. Mais ces deux sujets-là ne sont pas dans ce livre, ils le seront dans un futur ouvrage, toujours chez le même éditeur.

Comment avez-vous pu séparer des États, disons « sérieux », d’entités folkloriques, de celles que nous venons d’évoquer ?

Je m’en suis tenu au classement alphabétique, ce qui fait que le lecteur peut passer d’un chapitre à un autre, en sauter, pour revenir en arrière plus tard. Picorer du « sérieux », puis se distraire avec des États humoristiques. Éphémères, microscopiques ou géants, bien souvent pittoresques et inconnus, certains « pays » ont traversé l’actualité à la vitesse de la lumière, tandis que la dissolution de régimes politiques, comme en Afrique du Sud, entraînait la disparition de quatre « bantoustans » – les fameux « TBVC » –, et que le changement de population par l’exode des Blancs, comme en Rhodésie/Zimbabwe, modifiait complètement la nature d’un État. Tout comme une idéologie totalitaire transformait complètement la nature de l’ex-république autonome de Cochinchine, ou celle de la république du Sud-Vietnam (sans oublier les montagnards des Hauts plateaux, entre extermination et soumission).

Quels sont les critères à retenir pour définir un « État » ?

Nous savons qu’en droit un État est une personne morale de droit public détentrice de la souveraineté. Mais la reconnaissance internationale ne lui assure pas, pour autant, une existence matérielle. La République arabe sahraouie démocratique (RASD), reconnue par certains pays africains, soutenue par l’Algérie contre le Maroc, n’a aucune matérialité territoriale, pas plus que la Palestine de Mr Abbas, juridiquement reconnue, mais « saucissonnée » par l’occupant israélien. En principe, pour être un État, reconnu ou non, il faut un territoire, avec une population, sur lesquels s’exerce une autorité politique exclusive. C’est le cas du Somaliland, internationalement inexistant, mais bien réel, « droit dans ses rangers. »

Avez-vous des exemples d’États disparus qui ont « ressuscité » ?

Oui, et pas des moindres. Prenez par exemple la Tchécoslovaquie. Voilà un pays né des cendres de l’Empire des Habsbourg qui disparaît en 1940 sous les coups allemands, divisé en protectorat de Bohême-Moravie et république slovaque, pour mieux renaître en 1945, pour disparaître à nouveau en décembre 1992 !

Il était à nouveau écartelé entre la Tchéquie, capitale Prague, et la Slovaquie, capitale Bratislava. Les trois pays baltes sont aussi une illustration qu’in fine, le nationalisme, le patriotisme sont les plus forts des sentiments populaires. L’éclatement de l’URSS est, à cet égard, exemplaire, la renaissance des contrées annexées donnant naissance, à leur tour, à de petites patries : Abkhazie et Ossétie en Géorgie, Nagorny-Karabakh en Azerbaïdjan, etc. Et la plaque tectonique des identités ethniques, notamment en ex-Yougoslavie, n’a pas fini de bouger ! Voyez les relations serbo-kosovares, ou la « macédoine » bosniaque…

Voyez-vous, à court terme, des pays pouvant disparaître ?

Sous les eaux, oui, ce n’est pas impossible, si les lamentations des climato-catastrophistes se réalisaient ! Les îles Tuvalu comme Nauru sont menacées. C’est pourquoi leurs dirigeants ont acheté des immeubles dans de grandes villes australiennes ! Mais, ici ou là, des éclatements pour des raisons politiques ne sont pas impossibles : la menace s’est éloignée en Bolivie, avec le départ de Moralès, mais la grande province orientale de Santa-Cruz, métisse, par opposition aux Indiens des hauts plateaux, comme le Yucatan au Mexique, ont toujours eu des velléités indépendantistes. Partout dans le Tiers-monde, des forces centrifuges sont à l’œuvre. La Chine a effacé le Tibet comme le Turkestan oriental, mais pas les peuples tibétains et ouïgours. L’Inde a été aussi le théâtre d’affrontements dûs aux velléités de partition ; je cite les régions concernées dans mon livre : le Sikkim, petit royaume de l’Himalaya annexé, l’Assam et le Nagaland « normalisés ». Sans oublier la Somalie, en Afrique, éclatée entre différentes entités plus ou moins autonomes, comme le Somaliland déjà cité. N’oublions pas qu’en dépit du dogme de l’intangibilité des frontières, le Soudan a perdu le Sud-Soudan et son pétrole…

Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours, Jean-Claude Rolinat, éditions Dualpha, collection « Patrimoine des héritages », dirigée par Philippe Randa, 451 pages, 37 euros, nombreuses illustrations. Pour commander ce livre, cliquez ici.

Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours, Jean-Claude Rolinat, éditions Dualpha.

« Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours », Jean-Claude Rolinat, éditions Dualpha.

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