2 juillet 2016

De Rome à Madrid

Par Lionel Baland

Durant des décennies, le peuple a eu pour habitude de voter systématiquement, d’élections en élections, quasi exclusivement pour les partis politiques du système. Désormais, cette ère semble révolue un peu partout en Europe. En effet, les partis nationalistes, populistes et parfois postcommunistes captent à travers le continent de plus en plus de votes d’électeurs déçus par le système politique en place, effrayés par les conséquences de l’immigration de masse ou victimes de la déglingue économique qui est la conséquence de la mondialisation et de l’ouverture des frontières.

Au cours de ce mois de juin 2016, en Italie et en Espagne, les populistes se sont présentés aux suffrages des électeurs. En Italie, ils ont progressé lors des élections municipales alors qu’en Espagne, ils ont été tenus en échec lors des législatives.

Grillisme

À l’issue du deuxième tour des élections municipales du 19 juin 2016 se déroulant au sein de plus de 1 300 communes d’Italie, le Mouvement cinq étoiles du comique Beppe Grillo emporte 19 mairies, dont celles de Rome et de Turin, et dispose désormais, au total, de 38 sièges de maire.

Beppe Grillo est l’archétype du leader populiste. Au sein de la revue Éléments n° 160 de mai-juin 2016, le professeur d’université italien et éminent politologue Marco Tarchi dresse un catalogue sommaire des éléments populistes caractérisant Beppe Grillo : ce dernier considère le clivage gauche-droite comme étant dépassé et ne constituant plus qu’un moyen de diviser artificiellement l’opinion publique afin de permettre aux partis du système de maintenir leurs positions ; Grillo invite l’homme de la rue à se révolter contre les puissants intéressés, selon lui, seulement par la sauvegarde de leurs privilèges ; il prône la méfiance à l’égard de la caste des politiciens ; pour Grillo, le peuple est dépositaire de toutes les vertus face aux pseudo-élites parasitaires ; il est hostile au contrôle envahissant de l’État et de la bureaucratie tatillonne ; il dénonce le fait que le système politique ne représente pas le citoyen et que des éléments institutionnels s’interposent entre le peuple et les politiciens chargés d’appliquer la volonté de celui-ci ; Grillo est favorable à une politique étrangère isolationniste ; il lance des polémiques contre les institutions transnationales ; il prône l’unité du peuple et dénonce ceux qui divisent la population ; il rejette le politiquement correct et la langue de bois des politiciens et recourt systématiquement aux grossièretés et aux insultes ; il exalte le terroir et affirme sa préférence pour le droit du sang plutôt que pour le droit du sol ; Les ennemis du peuple sont, selon Beppe Grillo, les eurocrates, la finance avide et cosmopolite qui saigne les travailleurs, les politiciens professionnels, les partis politiques, l’immigration et les intellectuels ; Beppe Grillo se présente comme le porte-parole du peuple, qui est de passage en politique mais la quittera dès que sa tâche sera réalisée ; il considère que les partis politiques divisent le peuple.

Ligue du Nord

Lors de ces mêmes élections municipales du 5 et du 19 juin 2016 dans une partie des communes italiennes, un combat s’est livré au sein du centre droit pour le contrôle de celui-ci : la Ligue du Nord et Frères d’Italie-Alliance Nationale, d’une part, et Forza Italia de Silvio Berlusconi, d’autre part, ont pu jauger leur force respective.

À Rome, Silvio Berlusconi, en supportant le candidat Alfio Marchini plutôt que la dirigeante du parti Frères d’Italie-Alliance Nationale Giorgia Meloni, est arrivé à empêcher cette dernière d’accéder au deuxième tour de l’élection du maire de la ville éternelle alors qu’elle a reçu le soutien de la Ligue du Nord.

Par contre, dans le nord du pays, la Ligue du Nord s’est retrouvée souvent dans la situation de soutenir le même candidat au poste de maire que Forza Italia, alors que dans d’autres municipalités de cette partie du pays, les deux partis ont supporté des candidats différents. Dans la plupart des cas, la Ligue du Nord a obtenu largement de meilleurs résultats que Forza Italia. La Ligue du Nord étant un parti dont le dirigeant recourt au populisme, les électeurs du centre-droit qui ont accepté de se déplacer vers les urnes ont largement privilégié dans le nord du pays la Ligue du Nord et son populisme par rapport au cours politique suivi par Forza Italia.

Le dirigeant de la Ligue du Nord Matteo Salvini a appelé ses électeurs à apporter leurs voix, lors du deuxième tour de scrutin, aux candidats à des postes de maire du Mouvement cinq étoiles faisant face à un candidat de centre-gauche.

Intermède au Royaume-Uni

Les Britanniques se sont prononcés ce 23 juin 2016 en faveur du Brexit. Cette idée, bien que prônée aussi par une partie des représentants des autres partis politiques, est le fer de lance de l’UKIP, le Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, dirigé par Nigel Farage qui défie sans cesse les pseudo-élites de l’Union Européenne et tient un discours clairement populiste.

Cependant, la victoire du Brexit et l’ampleur des changements que celui-ci implique, tant pour le Royaume-Uni que pour les autres pays de l’Union Européenne, semblent avoir eu des répercussions en Espagne sur une partie des électeurs de Podemos qui ont pu être effrayés.

Podemos

Lors des élections législatives de ce 26 juin 2016, les populistes de gauche de Podemos, qui ont délaissé leur orientation populiste première – avec le discours de défense du peuple face aux pseudo-élites – afin de se tourner vers la gauche radicale en faisant alliance avec les communistes, ont essuyé un sérieux coup d’arrêt dans leur marche vers le pouvoir. En effet, Podemos arrive, comme lors du scrutin précédent, en troisième position. Il a 21 %, derrière les conservateurs du Parti Populaire qui décrochent 33 % des voix et les socialistes du PSOE qui obtiennent 22,66 %.

Selon les dirigeants de Podemos, leurs succès électoraux ont pour origine leur choix d’un populisme assumé, fondé sur l’œuvre d’Ernesto Laclau (1935-2014). Dans le n° 160 de la revue Éléments, déjà cité plus haut au sein de cet article, le célèbre philosophe et gourou de la Nouvelle Droite Alain de Benoist consacre un article à cet écrivain post-marxiste, « seul et vrai théoricien du populisme de gauche ». Né en Argentine, Ernesto Laclau a été au départ péroniste de gauche. Il s’est par la suite identifié explicitement à l’écrivain communiste italien Antonio Gramsci qui a formulé la théorie de l’hégémonie culturelle.

Ernesto Laclau a publié en 1985 avec son épouse la philosophe belge Chantal Mouffe l’ouvrage Hégémonie et stratégie socialiste (1). Le couple constate que les échecs du communisme en Europe de l’Est et la montée en puissance de nouveaux mouvements sociaux axés sur le combat des minorités nationales, ethniques, sexuelles ainsi que sur le féminisme et la lutte contre le nucléaire, ont aggravé la crise de la gauche. Ils estiment qu’afin de surmonter celle-ci, le débat portant sur le fait de savoir si les « catégories du marxisme » correspondent aux sociétés de notre époque doit être résolu et répondent que les classes n’existent pas, ni la lutte des classes. Les identités politiques ne découlent pas, selon eux, de rapports économiques et sociaux concrets, mais seulement de constructions façonnées par les « discours ».

En 2005, Ernesto Laclau publie l’ouvrage La Raison populiste(2). Il y écrit que dans un système qui fonctionne, les diverses catégories de citoyens s’adressent à l’État afin d’exprimer leurs desiderata particuliers. Par contre, lorsque les dirigeants ne veulent ou ne peuvent pas apporter de réponses à ces demandes, il peut advenir qu’« une série de particularités établissent des relations d’équivalence entre elles » et deviennent les représentants de l’ensemble de la population, du peuple uni.

L’avenir nous dira si le populisme de gauche de Podemos arrivera à mettre à terre les pseudo-élites afin de rendre le pouvoir réel au peuple et si le M5S de Beppe Grillo pourra gérer avec succès les mairies de Rome et Turin et entrer dans un gouvernement à l’issue d’élections législatives qui se dérouleront au plus tard en 2018.

Notes

(1) Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale, Les Solitaires intempestifs, coll. « Expériences philosophiques », Paris, 2009.

(2) Ernesto Laclau, La Raison populiste, Seuil, Paris, 2008.

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Philippe Randa,
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