1 novembre 2018

Croth, un village normand dans la Grande Guerre

Par Fabrice Dutilleul

« On ne se rend pas compte à quel point 14-18 (comme on dit)
a imprimé sa marque dans l’âme et la chair
des survivants et de leurs descendants…
dont nous sommes, naturellement »

Entretien avec Georges Briche, auteur de Croth, un village normand dans la Grande Guerre (Club du livre national).

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

Georges Briche, vous avez rédigé et mis en forme un livret fort illustré concernant la Ire Guerre mondiale dans le village normand où vous résidez. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, depuis une dizaine d’années, je réside à Croth, dans le sud de l’Eure, à la limite de Dreux et d’Anet (en Eure et Loir). Découvrant ce coin charmant du sud de la Normandie, j’y ai trouvé de quoi satisfaire ma curiosité pour la richesse de son paysage et de son histoire. Nous sommes ici, durant la guerre de Cent Ans, à la frontière de la Normandie soumise aux Plantagenêt et du Royaume de France. De chaque côté des rives de l’Eure, on trouve, du côté anglais, à l’ouest, la fameuse forteresse d’Ivry la Bataille et, à l’est et au sud, celles de Guainville, de la Robertière et de Dreux. Très vivement intéressé par ce patrimoine historique assez ancien puisqu’on y trouve également de nombreux vestiges néolithiques, j’ai rapidement intégré l’association historique de sauvegarde du patrimoine crothois. Ainsi, après un sympathique travail autour de la mémoire mégalithique locale, de la restauration des lavoirs du village, il nous est vite paru important d’honorer les morts de la Grande Guerre qui figurent sur le monument communal dans le cadre national des commémorations du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918.

Le livret que j’ai réalisé avec l’aide des membres de l’association Le Dizeau, dont je suis membre, retrace les itinéraires des 24 morts du village durant le conflit. Naturellement, des recherches énormes ont été entreprises dans les archives municipales, départementales et nationales pour redécouvrir les identités de ces personnes devenues parfaitement inconnues pour les habitants actuels de Croth.

En outre, et pour rendre le sujet plus vivant, il a fallu retracer les combats dans lesquels ces courageux ouvriers et paysans sont morts. Il a fallu y adjoindre des cartes, des photographies et les témoignages correspondant aux lieux et aux dates des évènements.

Un travail titanesque dont tout, dans l’ensemble, nous était inconnu ou presque.

Justement, quelles ont été ces démarches d’historien que vous avez dû effectuer ?

La première chose a été d’identifier, à partir des archives municipales, les habitants mobilisés. Connaître leur profession, les liens familiaux qui étaient les leurs dans le village a été relativement facile puisque le recensement de 1911 prenait en compte ces éléments.

Néanmoins, lors de la mobilisation, tous n’étaient pas natifs de Croth mais tous y résidaient, y travaillaient ou y étaient de passage.

Cette entreprise d’historien rejoint le travail du sociologue et du mémorialiste, tant l’ampleur du sujet en dépasse l’objet.

Il a fallu ensuite, dans la perspective factuelle, retrouver les feuillets matricules des protagonistes, les avis de décès et toute une foultitude de documents annexes, lettres de famille quand il en restait, photos d’époque, historique des régiments. Internet a été naturellement un véritable outil de travail.

Internet a donc une utilité en la matière ?

Absolument, des sites gouvernementaux comme « mémoire des hommes » lancé par le ministère de la Défense ou les archives départementales constituent la base de toute recherche sérieuse pour identifier avec certitude les faits et les hommes en œuvre dans cette guerre. Mais cela ne suffit pas, pour juger des faits, encore faut-il en connaître le contexte. Et les livres qu’on peut avoir sur le sujet, si nombreux soient-ils, ne répondent jamais aux questions que l’on se pose. Depuis une dizaine d’années, des sites de passionnés apportent un éclairage et une érudition absolument extraordinaires au novice. Par exemple, l’historique du 28e Régiment d’Infanterie d’Évreux et celui du 101e et du 301e RI de Dreux ont été des matrices essentielles puisque de nombreux mobilisés crothois y avaient été intégrés. Mais il en existe bien d’autres.

Page livre Croth

Avez-vous appris des choses au cours de ce travail ?

Bien évidemment, on réalise mal à quel point cette guerre a été titanesque. Travailler sur ce sujet dix heures par jour pendant des mois ne permettrait même pas de l’envisager dans toute sa globalité comme dans ses infimes détails. Et ce n’est pas pour rien qu’il existe autant d’ouvrages sur le sujet. Des livres qui se veulent épopées en images, aux carnets personnels de fantassins en passant par les mémoires de généraux, de maréchaux, sans oublier les romans qui ont la guerre de 14 comme toile de fond, on n’en finit pas d’ausculter cette époque. Elle est passionnante autant que terrifiante.

À quel point ce travail vous a-t-il marqué ?

Ce travail m’a marqué au point d’y passer tout mon temps libre sans que je ne m’en rende compte.

Je m’abstenais même de manger tellement j’étais happé par mes lectures variées et par la recherche des détails qui ont servi d’armature à tout l’ensemble. Cela m’a amené à relire la littérature de Drieu la Rochelle, Genevoix, Céline etc.

Par exemple, les deux premiers morts de Croth sont tombés dans la Bataille de Charleroi, dont parle Drieu avec les mêmes types d’anecdotes que je lisais dans des témoignages d’hommes simples et honnêtes. Maurice Genevoix a été au premier combat à Rembercourt-aux-Pots, le jour où le quatrième enfant de Croth tombait. Ce même Genevoix qui participait aux Eparges avant d’être blessé avait peut-être rencontré nos cinquième et dixième morts du village… Tant de lectures poignantes ne vous laissent pas indemne… Elles vous laissent songeur…. Et si c’était moi ?

On ne se rend pas compte à quel point 14-18 (comme on dit) a imprimé sa marque dans l’âme et la chair des survivants et de leurs descendants… dont nous sommes, naturellement.

Parlant de descendants, vous y avez intégré des documents familiaux…

Oui, qu’on ne se méprenne pas. Pour parler des morts de Croth, il fallait bien l’illustrer d’exemples correspondant à un contexte général. Parce que cet hommage se veut aussi être un résumé des grandes batailles poignantes qui ont envoyé à l’éternité un million et demi de Français et quatre millions de blessés physiques, il m’apparaissait important d’y faire figurer mon grand-père dans les prémices du Chemin des Dames, dans lequel est tombé le 19e gars du village.

Vous parlez du dix-neuvième mort de votre village en 1917, combien y eut-il de mobilisés à Croth ?

Il y a eu 50 mobilisés dont 23 ne sont pas revenus. Un mort inscrit au monument n’était pas du village. Il s’agit d’un nom ajouté pour honorer un mort qui n’avait pas trouvé place dans d’autres monuments. Cela arrivait souvent quand il y avait un oubli lié à la surabondance des documents administratifs et au flou artistique qui gérait l’ensemble dans l’urgence de l’érection des monuments aux morts dans les trois à cinq années qui ont suivi l’armistice de 1918. Pour moi, il s’agirait d’un parisien, ou d’un gars d’Eure et Loir puisque j’ai repéré un homonyme sur la plaque de marbre d’Anet, ville voisine. Les recherches sont encore en cours.

Quel est le bilan de cette guerre dans le village de Croth ?

Si l’on fait le rapport entre les mobilisés et le nombre total de villageois qui ne sont pas revenus, on atteint un ratio qui avoisine près de la moitié d’une classe d’âge qui varie entre 20 et 40 ans. On signale que Croth comptait 511 habitants au recensement de 1911. Parmi eux, une petite centaine travaillait dans la papeterie locale, une trentaine travaillait la terre (cultivateurs propriétaires, ouvriers agricoles…), une vingtaine dans les fabriques de peignes (la vallée était réputée pour la qualité du travail fourni). On comptait également de nombreux métiers traditionnels (forgeron, chaudronnier, charbonnier, menuisier, mécanicien etc.) et des gens de la fonction publique.

Ce bilan est d’autant plus lourd à supporter que, comme dans de nombreux villages et villes de France, des familles ont été décimées. Ainsi, une famille de Croth a perdu trois fils et un gendre. Certes, celle-ci avait dix enfants mais, comment ne pas imaginer le poids d’un tel sacrifice sur sa descendance et, rétrospectivement, sur ces familles françaises qui ne sont jamais nées ? Sans compter, bien sûr, le choc post-traumatique qu’a représenté, pour les mobilisés, le retour à une vie civile dans une France ruinée par quatre années de guerre.

Avez-vous une anecdote qui vous aurait frappé durant vos recherches ?

Imaginez-vous qu’en travaillant sur les destins brisés de ces familles crothoises, je m’étais rendu compte que j’en savais peu sur ma propre famille. Dans la foulée de ces recherches frénétiques, j’ai attrapé le taureau par les cornes et retrouvé les feuillets matricules de mon grand-père paternel, blessé en 1917, de mon arrière-grand-père maternel, blessé en 1914 ainsi que de quatre grands-oncles, tous frères, dont un a combattu sur le front d’Orient. J’attaque, quand le temps libre me le permet, les anciens de ma belle-famille. Tout ceci contribue à resserrer les liens familiaux autour de destinées extraordinaires et dont je tiens, personnellement, à transmettre la mémoire car le temps passe, inexorablement et efface hélas, progressivement l’abnégation et le don total de soi pour notre pays. Chose qui devrait toujours nous rendre sages et humbles.

Georges Briche, On peut commander ce petit livre : Croth, un village normand dans la Grande Guerre pour le prix de 10 € (7 € +3 € de frais de port) au Club du livre national, 4 rue de la Mairie, 27530 Croth.

Croth,un village normand dans la Grande Guerre de Georges Briche (Club du livre national).

Croth,un village normand dans la Grande Guerre de Georges Briche (Club du livre national).

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