Lisez la conclusion des MĂ©moires dâOutre-tombe de Chateaubriand et vous ĂȘtes dĂ©jĂ dans notre vieux monde. Monde unifiĂ©, monde laid, monde anti-artistique, monde dĂ©civilisĂ©, monde de contrĂŽle, dâargent et de quantitĂ©. Les problĂšmes que nous vivons semblent sortis dâhier. Or, câest faux, ils sont anciens, et câest pourquoi je conseille la lecture des auteurs comme Le Bon, Tocqueville ou, bien sĂ»r, GuĂ©non ou Evola.
Je vais parler de notre Italie.
Les problĂšmes italiens sont vieux ; ils datent de son unification ratĂ©e par une clique corrompue, celle qui la soumit ensuite Ă lâAngleterre (libĂ©raux, sĂ©nateurs, maçons), Ă lâAllemagne, Ă lâAmĂ©rique, puis Ă lâEurope.
En 1869 le rĂ©volutionnaire Bakounine observe dĂ©jĂ ce maigre bilan : « Nulle part on ne peut aussi bien Ă©tudier quâen Italie le nĂ©ant du vieux principe de la rĂ©volution exclusivement politique, et la dĂ©cadence de la bourgeoisie, cette reprĂ©sentante exclusive des idĂ©es de 89 et de 93 et de ce quâon appelle encore aujourdâhui le patriotisme rĂ©volutionnaire.
Sortie dâune rĂ©volution nationale victorieuse, rajeunie, triomphante, ayant dâailleurs la fortune si rare de possĂ©der un hĂ©ros et un grand homme, Garibaldi et Mazzini, lâItalie, cette patrie de lâintelligence et de la beautĂ©, devait, paraissait-il, surpasser en peu dâannĂ©es toutes les autres nations en prospĂ©ritĂ© et en grandeur. Elle les a surpassĂ©es toutes en misĂšre. »
Et de constater tristement : « Moins de cinq annĂ©es dâindĂ©pendance avaient suffi pour ruiner ses finances, pour plonger tout le pays dans une situation Ă©conomique sans issue, pour tuer son industrie, son commerce, et, qui plus est, pour dĂ©truire dans la jeunesse bourgeoise cet esprit dâhĂ©roĂŻque dĂ©vouement qui pendant plus de trente ans avait servi de levier puissant Ă Mazzini. »
Pays mort-nĂ© comme notre Europe de la Fin des Temps (il rĂšgne une atmosphĂšre Ă©volienne, de Kali-Yuga dans le texte du grand Bakounine) ou notre France rĂ©publicaine, la bourgeoisie mondialisĂ©e scia la branche du risorgimento : « Le triomphe de la cause nationale, au lieu de tout raviver, avait Ă©crasĂ© tout. Ce nâĂ©tait pas seulement la prospĂ©ritĂ© matĂ©rielle, lâesprit mĂȘme Ă©tait mort ; et lâon Ă©tait bien surpris en voyant cette jeunesse dâun pays politiquement renaissant, vieille de je ne sais combien de siĂšcles, et qui, nâayant rien oubliĂ©, nâavait aucun souci dâapprendre quelque chose. »
Le besoin de places qui sâest vu depuis avec leur Europe est dĂ©jĂ lĂ Â : « On ne peut guĂšre sâimaginer quelle immense convoitise de positions sociales et de places a Ă©tĂ© rĂ©veillĂ©e au sein de la bourgeoisie italienne par le triomphe de la rĂ©volution nationale. Câest ainsi quâest nĂ©e la fameuse Consorteria, cette ligue bourgeoise qui, sâĂ©tant emparĂ©e de tous les emplois lucratifs, malmĂšne, dĂ©shonore, pille aujourdâhui lâItalie, et qui, aprĂšs avoir traĂźnĂ© cette patrie italienne par toutes les boues possibles, lâa fait aboutir aux dĂ©sastres de Custozza, de Lissa et de Mentana. »
Les mĂȘmes problĂšmes (dĂ©natalitĂ©, dĂ©clin culturel, militarisme, Ă©tatisme) se posent vers 1890. Le savant français Gustave Le Bon remarque alors dans Lois psychologiques de lâĂ©volution des peuples : « Le principe des nationalitĂ©s, si cher jadis aux hommes dâĂtat et dont ils faisaient tout le fondement de leur politique, peut ĂȘtre encore citĂ© parmi les idĂ©es directrices dont il a fallu subir la dangereuse influence. Sa rĂ©alisation a conduit lâEurope aux guerres les plus dĂ©sastreuses, lâa mise sous les armes et conduira successivement tous les Ătats modernes Ă la ruine et Ă lâanarchie. Le seul motif apparent quâon pouvait invoquer pour dĂ©fendre ce principe Ă©tait que les pays les plus grands et les plus peuplĂ©s sont les plus forts et les moins menacĂ©s. SecrĂštement, on pensait aussi quâils Ă©taient les plus aptes aux conquĂȘtes. »
Comme LĂ©opold Kohr, le trĂšs habile Le Bon, qui a tout annoncĂ© parce quâil a tout Ă©tudiĂ©, fait lâĂ©loge du Small is beautiful : « Or, il se trouve aujourdâhui que ce sont prĂ©cisĂ©ment les pays les plus petits et les moins peuplĂ©s : le Portugal, la GrĂšce, la Suisse, la Belgique, la SuĂšde, les minuscules principautĂ©s des Balkans, qui sont les moins menacĂ©s. LâidĂ©e de lâunitĂ© a ruinĂ© lâItalie, jadis si prospĂšre, au point quâelle est aujourdâhui Ă la veille dâune rĂ©volution et dâune faillite. Le budget annuel des dĂ©penses de tous les Ătats italiens, qui, avant la rĂ©alisation de lâunitĂ© italienne, sâĂ©levait Ă 550 millions, atteint 2 milliards aujourdâhui. »
Et Le Bon souligne aussi la faiblesse des pays latins, corrompus depuis des lustres selon lui par le verbalisme, le socialisme, lâanarchie et le cĂ©sarisme ! Mais câest plus compliquĂ©. Car ce siĂšcle de lâunification fut celui du rĂšgne de la quantitĂ© au sens guĂ©nonien, et lâon peut dire dâailleurs que la belle Allemagne, celle de la musique et de la philosophie, de la poĂ©sie et du romantisme, prit fin avec son unitĂ© qui dĂ©boucha sur lâindustrialisme, le socialisme et le bellicisme que lâon sait.
Gustave Le Bon encore, comme sâil avait prĂ©vu le nazisme : « LâAllemagne moderne, malgrĂ© de trompeuses apparences de prospĂ©ritĂ©, en sera sans doute la premiĂšre victime, Ă en juger par le succĂšs des diverses sectes qui y pullulent. Le socialisme qui la ruinera sera sans doute revĂȘtu de formules scientifiques rigides, bonnes tout au plus pour une sociĂ©tĂ© idĂ©ale que lâhumanitĂ© ne produira jamais, mais ce dernier fils de la raison pure sera plus intolĂ©rant et plus redoutable que tous ses aĂźnĂ©s. Aucun peuple nâest aussi bien prĂ©parĂ© que lâAllemagne Ă le subir. Aucun nâa plus perdu aujourdâhui lâinitiative, lâindĂ©pendance et lâhabitude de se gouverner. »
Sources
Nicolas Bonnal â Chroniques sur la Fin de lâHistoire (Kindle)
Gustave Le Bon â Lois psychologiques de lâĂ©volution des peuples
Leopold Kohr â The Breakdown of nations
Bakounine â Lettre aux rĂ©dacteurs du RĂ©veil, Ă Paris, octobre 1869 (inĂ©dit)
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