par Daniel Cologne.
Vilfredo Frederigo Samaso, marquis de Pareto, est nĂ© le 15 juillet 1848 Ă Paris. Son pĂšre y est en exil pour avoir participĂ© Ă un complot rĂ©publicain Ă GĂȘnes. La rĂ©habilitation paternelle lui permet dâentreprendre ses Ă©tudes Ă GĂȘnes et Turin. AprĂšs avoir soutenu une thĂšse de physique, il devient ingĂ©nieur et directeur technique de deux sociĂ©tĂ©s, lâune ferroviaire, lâautre mĂ©tallurgique.
Déçu par lâengagement politique, Vilfredo Pareto se lance dans lâĂ©tude de la thĂ©orie Ă©conomique, rencontre LĂ©on Walras en 1891 et obtient une chaire dâĂ©conomie politique Ă Lausanne en 1893. Il se passionne ensuite pour la sociologie et publie notamment Les SystĂšmes socialistes. Il soutient Mussolini. Il est nommĂ© sĂ©nateur du royaume dâItalie le 23 mars 1923, mais il meurt quelques mois plus tard (le 19 aoĂ»t) Ă CĂ©ligny, face au lac LĂ©man.
Un lycĂ©e Pareto existe Ă Lausanne et jây ai rencontrĂ© Giuseppe PatanĂš, avec qui jâai organisĂ© en 1976 une commĂ©moration de la rĂ©pression de la rĂ©volte de Budapest par les chars soviĂ©tiques (1956). PatanĂš avait deux fils : Fabrizio, trĂšs sympathique, fort discret et dâun bon niveau, et Massimo, jeune Ă©rudit mâayant fait dĂ©couvrir que le syndicalisme mussolinien nâavait rien Ă envier Ă celui des rĂ©gimes situĂ©s Ă gauche et intouchable Ă lâĂ©poque dans des medias tendancieux.
LâĂ©vocation du syndicalisme permet de faire une transition vers la pensĂ©e de Georges Sorel (dâun an plus vieux que Pareto) et vers lâintĂ©rĂȘt que suscite lâauteur de RĂ©flexions sur la Violence chez Jean-Pierre Blanchard, pasteur militant de la cause identitaire et auteur de Vilfredo Pareto, gĂ©nie et visionnaire.
Ă propos de Sorel, lâauteur rappelle « quâil a introduit un cĂ©lĂšbre distinguo entre force et violence, la force ayant pour but dâimposer un ordre social, alors que celui de la violence est de le dĂ©truire (p. 118) ». Jâattire aussi lâattention des lecteurs sur lâannexe oĂč Jean-Pierre Blanchard dĂ©veloppe lâhypothĂšse dâune cohabitation inattendue de Nietzsche et de Marx chez Sorel, ce dernier ayant donc pu permettre de « faire mariage » à « lâaristocratie nationaliste rĂ©actionnaire » et au « bourgeois communiste rĂ©volutionnaire (p. 136) ».
Le brillant exposĂ© de la sociologie parĂ©tienne par le pasteur Blanchard est prĂ©facĂ© par Georges Feltin-Tracol qui espĂšre que lâouvrage de 2019 sera « lâhirondelle printaniĂšre », messagĂšre dâun « renouveau des Ă©tudes parĂ©tiennes ! (p. 18) ». Car il faut bien reconnaĂźtre lâoptimisme excessif de Jules Monnerot et de son pronostic des annĂ©es 1960 sur « une remontĂ©e de la cote Pareto Ă la bourse des valeurs intellectuelles de lâEurope (p. 17) ».
Et ce malgrĂ© lâintĂ©rĂȘt jamais dĂ©menti de la « Nouvelle Droite » Ă travers lâadmiration vouĂ©e Ă Pareto par Georges Henri-Bousquet (ouvrage paru chez Dalloz en 1971), les rĂ©fĂ©rences dâAlain de Benoist dans son Vu de droite (1977) et la revue Nouvelle Ăcole (1981), les allusions de Louis Pauwels dans son Blumroch lâAdmirable (1976) et mĂȘme, assez rĂ©cemment, lâinfluence parĂ©tienne observable chez Guillaume Faye dans Mon Programme (2012).
« Toute population sociale est composĂ©e de deux couches, une couche infĂ©rieure qui comprend tous ceux qui ne rĂ©ussisent que mĂ©diocrement dans la vie et une couche supĂ©rieure, lâĂ©lite, qui comprend tous ceux qui rĂ©ussissent, dans quelque domaine que ce soit, et qui se divise en deux : lâĂ©lite non gouvernementale et lâĂ©lite gouvernementale. » Le pasteur Blanchard prĂ©cise que, si de bons Ă©lĂ©ments Ă©mergent de la « couche infĂ©rieure » et que des membres de « lâĂ©lite », « gouvernementale » ou non, sâavĂšrent dĂ©faillants, « la dĂ©cadence menace toute sociĂ©tĂ© qui ne pratique pas la mobilitĂ© sociale, la circulation des Ă©lites (p. 108) ». LâEstablishment britannique fournit un bon exemple de cette « mobilitĂ© sociale », mais aussi lâĂglise catholique, comme le souligne pertinemment en page 73 Ăric Zemmour dans son Destin français. Deux ans aprĂšs le dĂ©cĂšs de Pareto, le Grand dâEspagne Miguel de Unamuno parle dâ« agonie du christianisme » (1925).
Un deuxiĂšme stade de la « rĂ©gression des castes dominantes (Julius Evola) » sĂ©vit dĂ©jĂ Ă travers la simple « magistrature dâinfluence » exercĂ©e par les derniers monarques issus de la noblesse. Ainsi sâexprime lâhistorien liĂ©geois LĂ©on Balace pour dĂ©crire les rois des Belges qui rĂšgnent sans gouverner et qui se contentent dĂ©sormais de pĂ©rorer sur lâutopique vivre-ensemble, tant au niveau de leur petite patrie fracturĂ©e quâĂ celui de la grande et illusoire fraternitĂ© mondialiste. LâĂ©lite gouvernementale dĂ©signĂ©e par Vilfredo Pareto est celle de la troisiĂšme fonction (en termes dumĂ©ziliens) ou des « hommes de gestion » (dans le lexique de Raymond Abellio). Les producteurs ne sont pas seulement Ă©conomiques, mais aussi culturels. Ceux-ci composent lâessentiel de lâĂ©lite non gouvernementale (presse, Ă©crivains, artistes de toutes disciplines, animateurs des industries du divertissement, du spectacle et du luxe).
La quatriĂšme fonction des « hommes dâexĂ©cution » (Abellio) ne sâest mise en valeur que le temps dâune brĂšve parenthĂšse historique avec la complicitĂ© des penseurs de type sartrien, trop rarement Ă©veillĂ©s Ă lâinanitĂ© du dĂ©terminisme socio-Ă©conomique : « ValĂ©ry est un intellectuel petit-bourgeois, mais tout intellectuel petit-bourgeois nâest pas ValĂ©ry. » Peut-on encore attendre aujourdâhui de la nouvelle caste mĂ©diatique dominante ce type de jugement nuancĂ© dont mĂȘme Sartre Ă©tait encore capable ? Le mondialisme quâelle cherche Ă imposer correspond parfaitement Ă la nation parĂ©tienne de « dĂ©rivation », Ă savoir un ensemble de « manifestations verbales [qui] sâĂ©loignent de la rĂ©alitĂ© [tout en ayant] une valeur persuasive bien supĂ©rieure au raisonnement objectif (p. 67) ».
« Voici ce qui est plus grave : toutes ces idĂ©es pures, toutes ces thĂ©ories, ces doctrines, nous en connaissons la vanitĂ©, et lâinexistence au point de vue objectif (p. 81). » Ces lignes du Pasteur Blanchard mettent en exergue le « pragmatisme » de Vilfredo Pareto, dont le prĂ©facier Georges Feltin-Tracol rappelle quâil est « une rĂ©fĂ©rence revendiquĂ©e [par Jean Thiriart] dans le cadre de son Ătat central grand-europĂ©en (p. 17) ». Câest une raison supplĂ©mentaire de lire lâexcellent ouvrage de Jean-Pierre Blanchard sur lâauteur du TraitĂ© de sociologie gĂ©nĂ©rale (1916).
Note complémentaire
Dans une excellente contribution dâaoĂ»t 2018 au site RĂ©dacteurs RH, David Rouiller Ă©voque « lâautre tiers-mondisme », diffĂ©rent de celui qui sâest exprimĂ© dans les livres de Frantz Fanon et de Jean Ziegler et dans les confĂ©rences de Bakou (1920) et de BandĆng (1955). On peut lâappeler tiers-mondisme « de Droite », Ă lâintĂ©rieur duquel David Rouiller sĂ©pare encore lâivraie du « fatras » dâAlain Soral et le bon grain de la « Quadricontinentale » de Thiriart et des positions de GuĂ©non et dâEvola en faveur des cultures traditionnelles dĂ©truites par la modernitĂ©. David Rouiller souligne toutefois que lâinstallation de GuĂ©non en terre musulmane dâĂgypte peut inciter certains guĂ©noniens Ă dĂ©velopper un « philo-islamisme de Droite », comme le fit aussi la revue Ă©volienne Totalité en 1979 avec son Ă©loge d ela rĂ©volution iranienne.
Toujours en aoĂ»t 2018 et sur le mĂȘme site, David Rouiller aborde la question de « lâavĂšnement du CinquiĂšme Ătat », stade ultime de la « rĂ©gression des castes dominantes » (Julius Evola). Ă la manĆuvre de ce processus semble opĂ©rer une large fraction de ce que Pareto appelle « lâĂ©lite non gouvernementale ». Les anciens intellectuels soutenant le prolĂ©tariat sont remplacĂ©s par les partisans du « chaos social » (RenĂ© GuĂ©non), une sorte de nouvelle caste dont les contours sont toutefois difficiles Ă cerner ainsi que le notait dĂ©jĂ dans un article de 1980 le regrettĂ© Guillaume Faye.
Daniel Cologne
âąÂ Jean-Pierre Blanchard, Vilfredo Pareto, gĂ©nie et visionnaire, prĂ©face de Georges Feltin-Tracol, Dualpha Ăditions, coll. « Patrimoine des hĂ©ritages », 2019, 152 p., 23 âŹ. Pour commander ce livre, cliquez ici.