28 mars 2017

Comment vendre une fiction policière à une chaîne de TV

Par Jean-Pierre Brun

Étant personnellement ignorant des arcanes du monde télévisuel, je me sens d’autant plus compétent pour conseiller un jeune réalisateur désireux de percer dans un milieu aussi corporatiste que fermé.

En effet, nul ne pourra me reprocher la moindre accointance avec les producteurs, ou d’énoncer dans mes propositions les poncifs paternalistes d’un has been, nostalgique peut-être, aigri certainement. Mes remarques ne sont jamais que pragmatiques puisqu’elles se fondent exclusivement sur l’observation, pour reconstituer ce qu’en d’autres professions on appelle un « cahier des charges ».

Il s’agira tout d’abord pour le prétendant réalisateur d’exploiter toutes les ficelles des grands aînés, mais en feignant de les ignorer. Agatha Christie ne peut être qu’une vieille lady, excentrique certes, mais terriblement réactionnaire. Le peu sympathique Georges Simenon au talent pourtant incontestable, souffre encore d’une réputation douteuse (à la Libération il avait dû fuir au Canada pour échapper au Comité national d’épuration). L’aimable Exbrayat, écrivain folklorique, est trop « franchouillard » pour séduire les intellectuels de la production, encore que bon nombre de scénaristes en mal d’imagination… mais passons.

Non vraiment, le premier impératif est d’enfourcher délibérément son époque à défaut de la précéder. Quelques principes majeurs aideront à la construction du scénario et à l’écriture des dialogues.

Principe n° 1 : au sein de la grande volière le plumage et la crête ne font plus le poulet. La tenue des officiers de police masculins (« tenue » entendue à tous les sens du terme) sera donc plus que décontractée, aux limites de la négligence. En revanche les poulettes devront incarner une élégance toute simple, toute naturelle qui soulignera leur incontestable supériorité sur la grossièreté de leurs collègues d’un sexe prétendument fort. À cet effet, le langage de messieurs les poulagas sera vulgaire sinon cru. Quelques réflexions graveleuses sur le physique de leurs équipières rappelleront que dans chaque policier sommeille un cochon prédisposé à n’importe quel harcèlement et dérapage sexistes. Avez-vous entendu parler d’une bavure dont une fliquette serait à l’origine ?

Principe n° 2 : le policier, personnage central de l’enquête, sera de préférence une femme. Dans le cas contraire, on veillera à ce que son supérieur hiérarchique en soit une. Il est bon de subordonner le macho potentiel qu’est n’importe quel mec, à la forte personnalité d’une faible femme dont l’intuition proverbiale n’est pas le moindre atout. N’oublions pas qu’aujourd’hui, contrairement au préjugé de nos pères, sans le moindre complexe « la poule se doit de monter sur le coq. »

Principe n° 3 : ladite policière sera obligatoirement libre de toute contrainte conjugale. Si elle est divorcée, ce sera encore mieux car la famille traditionnelle, outre sa ringardise, présente l’inconvénient de ne pas offrir assez de créneaux horaires disponibles pour d’indispensables parties de jambes en l’air. Toutefois il est recommandé, le cas échéant, de laisser entrevoir une véritable amitié avec « l’ex », ce qui illustrera le concept apaisant de la séparation heureuse. Faire incidemment gambader quelques rejetons au cours de l’enquête permettra de souligner qu’on peut être une professionnelle engagée, soumise aux dures contraintes du métier, mais aussi une mère aimante et responsable.

Principe n° 4 : il est fortement conseillé de tenir compte de la toute dernière innovation particulièrement décoiffante en matière de hiérarchie. Elle consiste à placer l’héroïne sous l’autorité de sa fille promue fort opportunément commissaire ou procureur de la république à moins de trente balais. C’est « le mec moins ultra » dans l’évolution de la société.

En cette époque des « Tanguy », archétypes des adolescents tardifs, aux âmes bien nées, la valeur ne saurait moins que jamais attendre le nombre des années. La réussite sociale ne doit pas avoir d’âge. Voilà qui remontera le moral d’une jeunesse désorientée qui ne sait plus si elle doit rêver sa vie ou vivre ses rêves.

Principe n° 5 : il est impératif que parmi les mulets du commissaire au moins l’un d’entre eux soit issu de l’immigration. Mieux, pour incarner l’incontournable et sentencieux médecin légiste (un médecin légiste est obligatoirement sentencieux) on choisira de préférence un acteur d’origine subsaharienne. Une façon subliminale de mettre définitivement au placard les docteurs Livingstone, Schweitzer et leurs confrères coloniaux.

Principe n° 6 : bien choisir son coupable. Il ne devra jamais être d’origine, de religion « exogènes ». Cela pourrait réveiller les penchants racistes du Français moyen. En revanche, un chef d’entreprise, un fils de famille, un catho confit dans un pharisaïsme écœurant, feront parfaitement l’affaire.

Principe n° 7 : soigner ses fausses pistes. Avant d’en arriver au dénouement, la mise en garde à vue d’un innocent est toujours du meilleur effet. Choisir de préférence un pauvre maghrébin, un homosexuel, victimes de la dénonciation des Dupont Lajoie qui infestent la société. Voilà qui permettra de suggérer la malveillance dont souffrent les minorités.

Ce sont là les conseils que je peux donner à un débutant. Ils lui permettront de respecter scrupuleusement les normes du politiquement correct en dehors desquelles nul ne saurait obtenir la moindre audience favorable dans les sphères de la production télévisuelle.

Cependant, s’il a un réel talent, il ne manquera pas de faire des jaloux. Alors, advienne que pourra. Que Martin, le saint patron des policiers et sainte Véronique qui veille sur les gens d’images, lui viennent en aide.

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Philippe Randa,
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