20 janvier 2017

La solennité des fêtes solaires chez les Ukrainiens

Par Tetyana Popova-Bonnal

 

Nous sommes dans la période des grandes fêtes qui couronnent le cycle hivernal – c’est la Naissance du Christ, le Jour de l’An et l’Épiphanie. Chez les Slaves, ces fêtes, sans changer leur date (le 25 décembre, le 1er et le 6 janvier), se célèbrent selon le calendrier de Jules César (13 jours plus tard). Les coutumes liées avec ces fêtes sont anciennes et portent un symbolisme profond et parfois païen.

Nos ancêtres croyaient que ces jours sacrés doivent bénir l’année entière : c’est pourquoi le nombre « douze » tient un rôle principal dans plusieurs cérémonies des fêtes de Noël. La veille de Noël, chez les Ukrainiens, porte le nom de Soir Saint – sviaty vetchir. Ce soir, chaque geste, chaque action s’accomplit selon la tradition millénaire pour nous procurer, à travers un symbolisme magique, une année de prospérité, de paix et de bonheur familial. Ce soir-là, la maîtresse de la maison devait allumer le nouveau feu dans le four et sur ce feu pur préparer les douze plats maigres et succulents à la fois.

Les douze plats qui portent le symbolisme évangélique et rituel se préparent avec tous les produits récoltés de la si riche terre noire : il y a toutes les espèces de grains sous la forme de bouillie et de farce, il y a des légumes et des grains de fèves, faits avec et sans sauces, et surtout les choux à l’étouffée, les champignons comme un plat à part et comme une garniture, le poisson rôti, les varenikis, la kacha de sarrasin avec du lait de chènevis (car on reste dans carême de Noël), les galettes et bien sûr le pain.

Comme la boisson – l’ouzvar (une boisson typiquement ukrainienne qui se prépare avec des fruits secs – des pommes, des poires, des cerises, des prunes et des abricots, et parfois on rajoute une petite quantité de miel), et aussi sans manquer la koutia – une bouillie douce à base de grains de blé écrasés.

Ainsi en jeûnant jusqu’à l’apparition de la première étoile, toute la famille se prépare pour ce repas sacré en rendant grâce à Dieu pour la récolte et le beau temps.

Dans le coin, on installe un vertep – la crèche, et aussi dans les demeures des paysans – un didoukh – une gerbe de seigle ou de blé. Le maître de la maison, pour montrer son respect à chaque être vivant de l’écoumène qui l’aide à travailler toute l’année et à nourrir sa famille, distribue des portions du repas sacré à chaque bête de son étable ; il commence par le chien et il n’oublie ni les poules, ni les pigeons.

Voici comment nous décrit cette ancienne tradition chez les montagnards ukrainiens Michel Kotsubynskiy dans ses célèbres Chevaux de feu (Les ombres des ancêtres disparus, adaptés au cinéma par Serguei Paradjanov) : « Les animaux étaient les premiers à goûter les goloubtsy (les feuilles de chou farcies), les prunes, les fèves et les autres plats maigres préparés soigneusement pour lui par Palagna. Mais ce n’était pas tout. Il fallait encore appeler à table toutes les forces hostiles devant lesquelles il avait été prudent toute sa vie. Ivan prenait dans une main le plat et dans l’autre la hache, et il sortait dans la cour… Il priait la tempête d’être gentille et de venir chez lui au repas abondant avec les boissons fortes, à ce dîner sacré – mais les forces hostiles n’étaient pas gentilles et elles ne venaient pas, même si Ivan les appelait trois fois. Et ensuite il les conjurait de ne pas venir – jamais, et après il pouvait respirer avec soulagement. »

En Ukraine centrale, il existe toujours une coutume d’envoyer à la veille de Noël les petits enfants faire un circuit pour visiter leurs parrains ou leurs grands-parents. Le poète Tarass Chevtchenko le raconte dans son récit Les Jumeaux : « La nuit avant la fête de Naissance du Christ est une fête pour les enfants parmi tous les peuples chrétiens, seuls les rites pour la célébrer sont différents… Chez nous, après le dîner solennel, on envoie les enfants avec le pain, le poisson et l’ouzvar chez les parents les plus proches, et les enfants en arrivant dans la maison disent : Bon soir – soir bénit ! Notre père et notre mère vous envoient, cher oncle et chère tante, ce repas sacré ; ensuite avec cérémonie on met les enfants à table garnie des friandises maigres, on les régale comme des adultes, et après on leur change le pain, le poisson et l’ouzvar, et ils sortent avec cérémonie. Les enfants repartent chez un autre oncle, et si la famille est grande, ils reviennent à la maison avant les matines et, bien entendu, avec des cadeaux et des monnaies nouées dans la chemise comme des boutons.

J’aime beaucoup cette belle coutume. Nous avions une très grande famille. D’habitude on nous installait dans le traîneau et toute la nuit on nous promenait d’un parent chez l’autre… »

Ce même soir, on commence à chanter des Koliadka – les cantiques de Noël qui ont des origines remontant aux temps préhistoriques et dont le nom vient, sans doute du romain Calendae pour célébrer les jours qui augmentent et chasser la nuit qui diminue. Ces chansons charmantes et émouvantes parlent de la naissance du Christ, des épreuves de la Sainte Famille, de la rencontre des bergers et des anges, des rois-mages et de leurs cadeaux, et aussi des origines du monde dans l’océan ou le fleuve primordial gardé par le faucon ou par le paon (dans les textes plus antiques).

Ces chants durent jusqu’au Nouvel An et à la veille de cette fête, les refrains des cantiques changent – car le carême est fini et on chante la soirée généreuse et abondante. Maintenant les mères de famille peuvent préparer les repas avec de la viande, du lait et des œufs : les knych – pains aux lardons, les varenikis, les saucissons, et les pirojkis.

Le soir, la famille se rassemble à table et les petits enfants doivent prétendre que derrière un tas énorme de pains et de pirojkis (tout cela est symbole de la prospérité dans le nouvel an) ils ne voient pas leur père !

Le sujet principal des chansons de cette soirée, c’est la rencontre de Jésus avec sa Mère pendant un dîner ou un repas sacré au cours duquel la Vierge Marie demande à son Fils de libérer les âmes des pécheurs. On chante les clefs magiques et le ciel qui s’ouvre (dans les milieux populaires, on est persuadé que les cieux restent ouverts jusqu’au jour d’Épiphanie d’où les batailles des démons et des anges pendant toute la semaine après la Noël).

Les chanteurs, en arrivant dans chaque maison, appellent le bon sort pour toute la famille, en commençant par les parents et en terminant par le plus petits – et, pour eux, les vœux sont toujours plus beaux et plus longs ! Dans ces chants, on retrouve le retentissement des vieux temps de la Russie kiévienne et des cosaques quand on évoque la chasse princière au faucon ou les campagnes contre les Tartares.

Certes, les savoureuses friandises seront un bon remerciement pour les chanteurs des cantiques ! Le jour de l’an, les garçons sont seuls admis comme premiers visiteurs – comme les jeunes semeurs de soleil, et du point du jour, ils doivent souhaiter la bonne année et répandre les grains de blé dans chaque demeure visitée – pour attirer la bonne récolte et le bonheur.

En terminant ces méditations sur les fêtes slaves, nous voulons évoquer un ancien cantique pour célébrer les trois piliers cosmiques de la famille on chante le père, la mère et les enfants comme des êtres astraux et immuables :

Ô, le coucou argenté

A fait le tour de tous les jardins,

Mais il en a manqué un.

Dans ce jardin il y a trois palais :

Dans le premier il y a le beau soleil,

Dans le deuxième – la lune claire,

Dans le troisième – les petites étoiles,

La lune claire – c’est le seigneur de cette maison,

Le beau soleil – c’est sa femme,

Les petites étoiles sont ses enfants !

Ô soirée si bonne, prospère et généreuse

Pour la santé des bonnes gens et de tout le monde.

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Philippe Randa,
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