12 avril 2016

Grèce : entre soumission au FMI et chantage aux immigrés

Par Philippe Randa

 

Il y a comme cela des sujets qui tiennent en haleine les médias des mois durant et qui brusquement disparaissent, sans que l’on sache très bien au final comment les choses se sont terminées. Si tant est qu’elles l’aient été et bien souvent, ce n’est pas le cas…

Exemple, la Grèce et ses dettes : avec l’arrivée au pouvoir en janvier 2015 d’Alexis Tsipras, leader du mouvement Syriza, on annonçait la rupture imminente de ce pays avec l’Union européenne.

Ne parvenant pas à trouver d’accord avec les créanciers de la Grèce, le leader charismatique de Syriza organisa un référendum qui lui assura le soutien de son peuple pour tenir bon face au FMI et renégocier ainsi en position de force les dettes du pays… On assista alors à un spectaculaire retournement de veste, sans doute le plus beau de l’histoire politique, et pas seulement grecque : de nouveaux accords, aux conditions plus difficiles encore pour le peuple grec, furent signés… Malgré sa trahison, Alexis Tsipras retourna devant les électeurs et son parti conserva la majorité au Parlement. C’était à n’y rien comprendre…

Et depuis ? Rien ou pas grand chose de plus qu’il y a un an : la possibilité d’une sortie de la Grèce de la Zone euro est toujours envisagée par les dirigeants de l’Union européenne et le ministre allemand des finances a même indiqué qu’elle pourrait être « une sortie désordonnée » (Grexident) car « Athènes espère enfin, après trois mois de tergiversations, que son nouveau plan de réformes (retraites, nouvelles taxes, etc.) sera enfin validé par la troïka, afin qu’une nouvelle tranche d’aide (au moins 5 milliards d’euros) puisse être débloquée. Mais surtout pour que la négociation sur un allégement de son énorme dette puisse enfin démarrer. Les créanciers l’ont promise, et se tiennent prêts pour cette nouvelle “bataille” (Le Monde, 8 avril 2016).

Car depuis un an et un troisième programme d’aide de 86 milliards d’euros (après ceux de 2010 et 2011), on découvre ainsi que les choses n’ont évolué en rien : « Le fossé entre le FMI et les Européens est profond. Pire, les Européens peinent à s’entendre entre eux sur la nécessité d’alléger ou non la dette publique hellène, et d’abaisser ou non l’objectif d’excédent primaire fixé au pays », explique Wolfango Piccoli, spécialiste de la zone euro chez Teneo Intelligence.

Seul changement, la popularité d’Alexis Tsipras qui fond lentement, mais sûrement, tout comme sa majorité au parlement grec (la Vouli), ce qui l’empêche de tenir ses engagements auprès des créanciers de la Grèce.

« En outre, la difficulté de la mise en œuvre des réformes tient également à la piètre qualité de l’administration grecque. Absence de cadastre, faible utilisation de l’informatique, piètre qualification des fonctionnaires… Tout cela ne facilite pas l’application des mesures sur le terrain », rapportent Marie Charrel et Cécile Ducourtieux dans Le Monde.

Quant à l’économie grecque, elle continue de décliner avec un système bancaire gangréné par 45 % de créances douteuses et un taux de chômage de 25 %.

Seul atout d’Alexis Tsipras, le chantage à l’invasion migratoire : l’année dernière, 700 000 des 800 000 immigrants ont transité par les îles grecques de la mer Égée, en provenance de Turquie… Cinq centres d’accueil sont officiellement en place, mais seul celui de l’île de Lesbos était semble-t-il opérationnel au début de l’année… alors que 58 millions d’euros ont spécialement été débloqués à la Grèce par l’Europe pour gérer cette crise…

Cette semaine encore, des incidents ont eu lieu à la frontière gréco-macédonienne où les forces de l’ordre macédoniennes ont empêché de pénétrer dans leurs pays des immigrants du camp d’Idomeni où plus de 12 000 d’entre eux sont regroupés par le gouvernement d’Athènes.

Menacé d’être exclu de l’espace Shengen et de se retrouver seule et sans aides communautaires supplémentaires à gérer le flot migratoire, Athènes a brandi le risque de voir ainsi faciliter l’entrée de djihadistes en Europe… ce qui a immédiatement fait réagir le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et de l’immigration, Jean Asselborn : « Il faut combattre cette idée et, d’ailleurs, éviter tout débat sur la remise en cause de Schengen ou l’exclusion d’un pays… »

La crise migratoire a donc assuré au gouvernement d’Alexis Tsipras quelques mois de répit face au FMI… au moins jusqu’en juillet prochain où la Grèce doit rembourser plus de 3 milliards d’euros à la Banque centrale européenne.

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