1 mai 2017

Européisme béat

Par Richard Dessens

Annie Lacroix-Riz* répondant à Jacques Attali qui, dans un entretien d’avril 2011, appuyait la perspective d’une « synarchie » européenne (qui existerait, donc ?) « transparente » – concepts strictement antagoniques, explique « qu’en 1922, une poignée de financiers français, souvent issus des grands corps de la haute fonction publique (inspection des Finances, Conseil d’État, Polytechnique), redonna vie à une société secrète fondée dans les années 1880 par le polytechnicien Saint Yves d’Alveydre, le Mouvement synarchique d’empire ou synarchie. Les fondateurs de cette association comptaient élaborer dans ce cadre étroit le programme qui les doterait de nouvelles institutions idoines. Ainsi seraient-ils débarrassés des obstacles que le régime républicain avait dressés contre leur contrôle exclusif de la politique intérieure et extérieure française. La démocratie parlementaire avait dû concéder à la population certains moyens de défense, créant autant d’entraves à la prise de décisions immédiates sur toutes les questions : le parlement, jugé trop sensible aux desiderata des électeurs, les partis, les syndicats ouvriers, etc. »… « La synarchie se constitua donc en France au moment où la haute finance planifiait une réforme de l’État dont les apparentes formules modernistes séduisirent jusqu’à la gauche non-communiste, Léon Blum en tête. Cette jolie formule masquait la réduction à néant des capacités d’intervention du parlement, élu au suffrage universel et devenu insupportable, si bridé qu’il fût par les détenteurs du véritable pouvoir, économique ». Tout est dit.

La synarchie, présentée comme un fantasme complotique – la fameuse « théorie du complot » – par les libéraux et les intellectuels, est depuis longtemps controversée. Niée par les dirigeants politico-économiques des États européens, n’a rien d’étonnant, puisqu’ils en sont les fruits. Tout comme l’autre grande organisation « secrète » européenne et même mondiale de la Papauté, l’Opus Dei, a toujours été reniée dans ses influences par… la Papauté.

A-t-on déjà vu les membres d’une organisation manipulatrice affirmer son existence ? Laissons aux journalistes et aux politiques leur fausse naïveté cynique instrumentaliste.

C’est rappeler ici le véritable fond du débat européen depuis plus d’un siècle autour du fait capitaliste ultralibéral qui après s’être installé à la fin du XIXe siècle s’est structuré dans l’ombre des idées généreuses européistes à travers une convergence d’intérêts financiers qui doivent s’imposer face aux politiques gesticulantes des apparences démocratiques. C’est cela la synarchie. Elle est l’aboutissement de la victoire de l’économique sur la politique, victoire soutenue, au nom de l’intelligence raisonnable supérieure, par les journalistes et les intellectuels.

Nos esprits brillants affirment ouvertement (encore Jean Quatremer sur Europe 1 par exemple) et sans complexe « qu’ils préfèrent le tout économique et la loi du marché avec toutes ses conséquences, à toute autre alternative qui comporte toujours un risque de guerre ». Magnifique argument d’un autre âge de l’esclavagisation des peuples qui, de surcroît, ne fait que différer des guerres futures encore plus terribles que celles qu’ils supposent lâchement. Ces guerres-ci, ils les laissent à leurs enfants. Le pacifisme suicidaire accompagne l’argument décisif des européistes « synarchisés ». Seuls, les Communistes et une frange de l’extrême droite populaire s’y sont opposés, mais force est de constater qu’aujourd’hui la remise en cause informelle de cette toute-puissance économico-financière, renforcée encore plus récemment par la mondialisation, se développe et devient un thème central du débat européen. Le seul qui déterminera l’avenir de l’Europe, au-delà des vieux clivages politiques d’un passé désormais révolu, auxquels s’accrochent encore ses bénéficiaires angoissés de perdre leurs prébendes.

*Professeur émérite d’histoire, communiste, et membre du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF).

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