6 décembre 2017

Corée du Nord : redistribution des cartes dans le Pacifique

Par Nicolas Gauthier

(Propos recueillis par Guillaume Mansart)

Nicolas Gauthier, chroniqueur politique sur le site BVoltaire, est également sociétaire de l’émission « Bistrot Libertés » sur TVLibertés. Il intervient régulièrement sur RadioLibertés.

Kim Jong-un

Kim Jong-un

Pyongyang et son feuilleton atomique, saison… saison combien, déjà ? Y a-t-il vraiment quelque chose de nouveau en Extrême-Orient ?

La nouveauté, c’est que la Corée du Nord est désormais une puissance nucléaire, même si son arsenal n’est pas encore opérationnel. Mais cette nouveauté n’a rien de bien nouveau, si l’on peut dire, ce programme ayant été lancé de longue date. En revanche, la véritable nouveauté, c’est que les USA ne sont plus maîtres du jeu, dans cette région comme ailleurs dans le monde. Cela, ils avaient commencé à l’anticiper au début des années 1990, après la chute de l’URSS, dans un rapport de la CIA, à l’époque rendu public. Il y était écrit que la Maison Blanche disposait d’à peu près trente ans de domination mondiale sans partage devant elle et qu’ensuite, la situation redeviendrait multipolaire, telle qu’elle le fut toujours. Soit la fin d’une parenthèse, en quelque sorte. Nous y sommes.

Voilà qui explique d’ailleurs les actuelles gesticulations diplomatiques de Washington. À la tribune de l’ONU, Nikky Haley, l’ambassadrice américaine menace « de détruire complètement le régime nord-coréen en cas de guerre ». Ce qui équivaut à parler pour ne rien dire. Pour Pyongyang, l’arme nucléaire est l’assurance-vie du régime censée les protéger de toute attaque des États-Unis, rien de plus. Et la même d’affirmer : « Il faut continuer à traiter la Corée du Nord comme un paria. » La belle affaire, sachant que Kim Jong-un se moque comme d’une guigne de l’opinion internationale ; laquelle se résume généralement aux USA et à leurs proches alliés.

Quelques jours plus tard, c’est au tour du général McMaster et du sénateur républicain Lindsey Graham d’évoquer une possible « guerre préventive » aux contours qu’ils ne définissent d’ailleurs pas. Bombardements aériens ? Offensive terrestre ? Frappe nucléaire ciblée ? Aussitôt, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, réagit en ces termes : « Si quelqu’un veut bien recourir à la force afin d’anéantir la Corée du Nord, pour reprendre un propos de l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, je pense que cela signifie jouer avec le feu et commettre une grave erreur. Nous continuons à faire tout pour que cela n’ait pas lieu et que le problème soit résolu uniquement par la voie pacifique et politico-diplomatique. »

De son côté, Pékin veut bien renforcer ses pressions sur la Corée du Nord à condition que la marine américaine cesse ses manœuvres conjointes avec les Sud-Coréens en Mer de Chine. Déjà, en mai dernier, Lu Kang, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois demandait aux USA de « cesser leurs provocations en mer de Chine méridionale » et de « respecter l’intégrité territoriale de la Chine. » Une déclaration prononcée après l’irruption du destroyer USS Dewey aux abords de l’archipel des Spratleys, lequel fait l’objet de longs litiges territoriaux entre différents pays de la région. Ce qui nous amène à penser que le véritable enjeu est là et non point dans la question du nucléaire nord-coréen.

Mais cela démontre aussi que si Washington savait que le centre de gravité planétaire allait se déplacer vers l’Océan pacifique, il n’avait pas prévu que la Russie et la Chine joindraient leurs efforts afin de faire bloc contre eux. C’est cela aussi, la véritable nouveauté et surtout la bonne nouvelle. Les rapports internationaux sont en train de se rééquilibrer. On sent bien qu’Emmanuel Macron en est pleinement conscient, au contraire des instances européennes qui continuent à vivre dans des clichés politiques ayant depuis longtemps atteint la date de péremption.

Si on avait voulu empêcher Pyongyang de continuer ses essais nucléaires, pouvait-on vraiment mettre en œuvre autre chose qu’un blocus qui s’est révélé parfaitement inutile jusqu’à présent, sinon à exacerber le patriotisme nord-coréen ?

La vérité est que les Américains – car c’est d’eux dont il s’agit en l’occurrence et pas des Européens, incapables de formuler ne serait-ce que le début d’une politique étrangère commune – ne pouvaient pas faire grand-chose, hormis déclarer une guerre aux résultats aléatoires et aux conséquences qui n’auraient pu que se révéler catastrophiques. Les seuls qui auraient pu tordre le bras de Pyongyang en la matière sont évidemment les Chinois, mais ils n’en ont jamais eu vraiment l’intention ; ce pour deux raisons. La première est que la Corée du Nord est le seul allié fiable de la Chine dans la région. La seconde est que cet allié, qui est également un obligé – il dépend de Pékin pour ses approvisionnements énergétiques et alimentaires –, lui sert d’atout majeur dans les discussions internationales. Selon leurs intérêts du moment, les Chinois peuvent ainsi refréner ou encourager les Nord-Coréens ; soit une influence destinée à se monnayer en permanence. Surtout en cette période où Pékin entend signifier sa prééminence dans le Pacifique.

De plus, les Occidentaux jouent forcément perdants face à un régime tel que celui de Kim Jong-un. Un président à la Maison Blanche, c’est quatre ans de mandat, dont deux à tenter de se faire réélire et, même si l’État profond américain ne dévie pas de ses fondamentaux historiques – approvisionnement énergétique, suprématie technologique en matière militaire et maîtrise des mers – leurs politiques intérieure et extérieure peuvent connaître des fluctuations, inconvénients que s’épargnent des systèmes tels que ceux de la Chine et de la Corée du Nord. Pour faire bref, les uns raisonnent sur le temps long et les autres sur le temps court. Les premiers peuvent planifier des stratégies sur quasiment un siècle alors que les seconds peinent à voir au-delà de deux ou trois décennies tout au plus.

Y a-t-il des similitudes entre le « danger nucléaire » iranien et le « danger nucléaire » nord-coréen ou les deux sont-ils très différents ?

Leurs situations respectives n’ont rien de similaire. L’Iran est un pays suzerain, la Corée du Nord un pays vassal. En revanche, ces deux nations ont ceci de commun de vouloir sanctuariser leur territoire. L’Iran n’a plus besoin de l’arme atomique, son système balistique de défense antiaérienne suffit amplement à le protéger, tandis que la Corée du Nord n’a désormais pour lui que cette carte maîtresse. Soit une même logique, malgré des configurations dissemblables.

Pour le reste, ces deux régimes diffèrent de par leur nature même. L’Iran est une démocratie, démocratie couronnée, ou enturbannée pour être plus précis, mais démocratie tout de même, avec une constitution, des institutions, des élections, des courants politiques divers. Ce qui ne l’empêche pas, elle aussi, de savoir raisonner à très long terme, tel qu’on le constate aujourd’hui sur le théâtre oriental. La Corée du Nord, quant à elle, est une sorte de bulle coupée du monde, repliée sur elle-même. Mais cette autarcie, présentée comme une force par Kim Jong-un, se révèle aussi être une faiblesse, puisque les Nord-Coréens, on l’a vu, sont dépendants du suzerain chinois pour la quasi-totalité de leurs biens de consommation les plus élémentaires. Finalement, le seul avantage de ce système est d’être peu sensible à toute forme d’embargo, étant donné qu’ils ne commercent pas et ne cherchent pas à commercer, au contraire de l’Iran.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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