13 avril 2017

Artemiy Vedel : l’hommage au génie musical de l’Ukraine orthodoxe

Par Tetyana Popova-Bonnal

 

À la veille de la Sainte Semaine des Passions de Notre Seigneur et de la fête de Sa lumineuse Résurrection, nous voulons donner au lecteur les sources de la musique ukrainienne de l’époque baroque ; elle a servi de base pour le développement ultérieur de la musique classique russe et ukrainienne.

Depuis toujours l’Ukraine est célèbre par ses voix douces, ses chants pénétrants et ses musiciens talentueux. La musique même est présentée en Ukraine plutôt par la voix humaine, et un bon chanteur ou chanteuse faisait la gloire de sa famille, paroisse ou village. Aujourd’hui, chaque ville et chaque village, chaque université ou lycée et surtout chaque paroisse a son chœur capable de chanter en quatre voix les plus belles œuvres de nos anciens compositeurs.

Dans mon enfance (on honorait alors beaucoup plus les traditions), j’écoutais avec délice la chanson populaire qui résonnait entre les maisonnettes blanches entourées des fleurs et des vergers. C’était des mélodies simples, profondes et connues depuis des siècles par tout le monde ; une voix se levait et une ou quelques autres reprenaient avec elle le chant sous le ciel ouvert ; les gens se réunissaient dans leurs cours, en oubliant les engins électriques, et ils chantaient jusqu’aux temps présents où les murs de fer ou de béton se sont élevés entre les voisins – puis la chanson s’éteignait peu à peu…

Cette année, nous fêtons les 250 ans d’un extraordinaire compositeur ukrainien – Artemiy Loukyanovitch Vedel (1767-1808). À l’étranger, il est connu dans le cercle assez limité des connaisseurs du chant orthodoxe. Avec deux autres compositeurs ukrainiens de la fin du XVIIIe – début du XIXe, Maksime Berezovskiy et Dmitriy Bortnianskiy, il présente la trinité des génies de la musique religieuse ukrainienne et russe.

Artemiy Vedel est né en 1767, trois ans après la fin de l’État cosaque, à l’époque où on gardait encore les coutumes établies par les vieux hetmans ukrainiens et par les confréries culturelles, religieuses et scientifiques des cosaques. Il a fait ses études à l’académie Kievo-Mogilanska où, parmi les sept sciences libres, on étudiait aussi la musique. L’école des chanteurs de l’Académie était organisée un siècle avant ; à l’époque de Vedel, elle comptait à peu près 300 chanteurs ! Et c’était un des nombreux chœurs de cette université cosaque !

À l’Académie comme dans les nombreux collèges ukrainiens, on apprenait l’exécution chorale et instrumentale à la fois. Dès le début du XVIIIe siècle, une grande et célèbre école de musique existait déjà dans une ancienne ville cosaque de Gloukhiv, destinée à préparer pour « l’exportation » à la cour impériale les meilleurs musiciens, les chanteurs et les chefs de chœur.

Les compositeurs Bortnianskiy et Berezovskiy, par leur formation de base, appartenaient à cette école de Gloukhiv ; ils continuaient leurs études en Italie et travaillaient pour la chapelle de la cour du tsar à Saint-Pétersbourg. L’histoire a conservé pour nous leurs biographies, leurs portraits et quelques archives.

Mais le destin d’Artemiy Vedel est différent. Après un court séjour dans la capitale de l’empire, il revient à Kiev, sa ville natale, où il continue ses prières et ses compositions… Il est fils de bourgeois (un grade dans l’empire) kiéviens ; son père Loukian est un artiste (sculpteur sur bois) qui fait ses œuvres pour l’église. Sa maison familiale se trouve proche de l’avenue principale kiévienne Khrestchatyk.

On ne connaît ni la date exacte de naissance de Artemiy Vedel, ni son portrait. Il ne nous reste que quelques manuscrits de ses œuvres et quelques souvenirs de lui dans les mémoires de ses élèves. Car après avoir quitté la capitale, il travailla modestement à Kiev et à Kharkiv comme professeur de chant et comme chef des choristes.

Le portrait étonnant de notre compositeur nous a été laissé par son élève – un vénérable archiprêtre et un compositeur de musique religieuse P. Tourtchaninov. Dans son autobiographie de vingt pages (elle n’a jamais été traduite dans aucune langue), les deux tiers sont consacrés à Vedel ; citons-le en retrouvant la personnalité surprenante de Vedel. Pour la première fois le jeune Tourtchaninov avec le général-gouverneur de Kiev Levanidov écoute l’interprétation de Vedel d’un concerto religieux où il chante le solo de ténor : « À peine Vedel chanta le général et tous les présents furent élevés au ciel de joie, et moi j’oubliais où j’étais et je ne pouvais qu’admirer le chant céleste de Vedel ». Ainsi Vedel fut engagé par le général pour travailler avec son chœur.

Vedel compose pour le grand monastère de Kiev – la Lavra. Et Tourtchaninov nous raconte qu’en chantant ses œuvres avec les chœurs des moines, Vedel pleura comme pleurèrent tous ceux qui assistaient à la liturgie : « Il avait une très belle apparence et la piété rayonnait dans tous ses actes. »

Ici, le portrait spirituel de Vedel peut être comparé avec celui de son célèbre compatriote Gogol : « À cette époque il avait 27 ans ; et quand le général lui a offert le grade de capitaine et de son adjudant – plusieurs parents désiraient marier leurs filles avec lui, mais Vedel était si chaste qu’il évitait toujours la compagnie des femmes et ne visitait que ses amis les professeurs de l’Académie ; il ne faisait que lire l’Évangile et les Pères de l’Église, et composer de la musique. Il se portait si sagement avec ses camarades laïques qu’ils ne pouvaient jamais remarquer son extrême religiosité. »

Mais dans ce caractère d’un ermite pieux, on voit aussi un génie de la musique et de la pédagogie : en route, en voyageant à Kharkiv pour célébrer l’arrivée du gouverneur, Vedel écrit un concerto choral et ensuite il le chante magistralement avec le chœur local qu’il entraîne avec une rapidité prodigieuse.

Vedel cherche à accomplir son destin spirituel et se retrouve novice au monastère de Kiev – la Lavra. Il ne peut plus travailler comme musicien (l’ordre de l’empereur Paul a liquidé l’existence des nombreux collectifs de choristes et de musiciens). Les moines le prennent pour un fou, mais notre témoin Tourtchaninov dément cela ; il raconte sa rencontre émouvante avec Vedel qui voulait quitter le monastère « où ils voulaient l’accoutumer à manger, à boire et à dormir ; dans tout cela il ne restait pas en arrière dans le monde des laïques. »

La suite de sa vie est plus mystérieuse et tragique. On sait que Vedel devait écrire un concerto en l’honneur de l’empereur Paul, mais au lieu du concerto, il envoya à l’empereur une lettre secrète (où dit-on, il aurait évoqué la mort à venir du monarque).

En conséquence, Paul donna l’ordre d’enfermer Vedel dans un asile d’aliénés avec des invalides sans lui donner ni papier, ni encre, ni plumes. Tourtchaninov, comme plusieurs gens de Kiev, visitait Vedel à l’asile où il menait une vie pleine de prières, et là, Tourtchaninov avoua que Vedel possédait un don prophétique : au jour et à l’heure de la mort de Paul, il annonça qu’Alexandre montait sur le trône.

Tous les amis proches de Vedel, surtout les prêtres, ne voyaient pas la folie en lui, mais un don de sublime prière et de prophétie. Huit ans après, peu avant sa mort, Vedel put rentrer chez son père où il étonna tout le monde par son dernier et doux discours, puis il trépassa dans son petit jardin en récitant une prière.

Vedel a écrit presque toutes ses œuvres avant d’entrer au monastère ; il gardait la tradition d’un concerto polyphonique né dans la musique ukrainienne à l’époque des cosaques, mais chez Vedel ce concerto a déjà plusieurs parties et il acquiert les traits d’une symphonie chorale.

Les thèmes de ses concertos sont les psaumes, les vers et les tropaires liturgiques byzantins ; la mélodie des concertos est attachée fortement aux paroles et puise ses sources dans les chansons ukrainiennes populaires.

On ne se propose pas de faire une analyse musicale poussée, mais on veut souligner que la musique d’Artemiy Vedel ne laisse personne indiffèrent ; la sublimité de l’esprit et l’extrême virtuosité avec une consolation profonde sont les trois piliers de son art musical et orthodoxe.

Pour le comprendre, il faut l’écouter (ou le chanter si vous pouvez), et pour écouter Vedel, il faut le meilleur chœur ; pour moi, c’est le chœur de chambre « Kiyv » sous la direction de Mykola Gobdytch.

 

On peut écouter sur un site ukrainien les sublimes vêpres de Vedel : http://1576.ua/audio/660, ses vingt et un concertos se retrouvent sur les trois liens suivants http://1576.ua/audio/661, http://1576.ua/audio/662, http://1576.ua/audio/663 ou sur youtube si vous avez la patience pour les trouver et admirer la divinité des concertos 1, 9, 10 et 11.

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Philippe Randa,
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