18 novembre 2016

À l’école de la coloniale

Par Jean-Pierre Brun

Il faut pratiquer les chemins tortueux des réseaux de l’information pour mesurer le vide sidéral dans lequel le bon sens de nos pères a été précipité. Mais comment pourrait-on encore s’y référer quand, grâce à l’imagerie virtuelle et aux mondes qu’elle génère, tout devient possible ? Interrogez donc un enfant sur le concept lui-même et vous en serez très vite convaincu.

Devant un gamin qui, sacrifiant à la douloureuse pratique des « devoirs de vacances », trouvait, après recours aux quatre opérations, 43,214 kg comme poids on ne peut plus précis d’une monstrueuse poule pondeuse, je m’étonnai qu’il ne le fût pas. Je lui demandai si ses maîtres lui avaient appris ce qu’était un « ordre de grandeur » pour mieux valider ses calculs. Il resta bouche bée. J’eus l’impression de me retrouver dans la peau d’un malade mental ou d’un extraterrestre.

Comment faire comprendre que, malgré leur niveau scolaire prétendument rudimentaire, nos aînés pratiquaient « couramment » et avec à-propos un langage du bon sens, on ne peut plus utile dans la vie quotidienne.

J’ai connu naguère un adjudant de l’Infanterie coloniale, descendant d’esclaves antillais. Il reste pour moi à ce jour l’incarnation même de ce fameux bon sens.

— Mon lieutenant, expliquait-il le regard malicieux, dans la coloniale, il vaut mieux avoir l’air d’une vache que d’un con.

Il n’était pourtant pas ce que l’on appelait justement dans les chambrées « une peau de vache », mais il considérait que, la discipline constituant effectivement la force des armées, le laxisme ne pouvait que conduire au désastre. Et l’ancien mitron de préciser : « Quand on est trop bonne pâte on risque de finir dans le pétrin. »

Pour lui, la punition, si elle était méritée, pour être exemplaire au vrai sens du terme, devait être immédiate : « Ce n’est pas en tournant le dos aux choses qu’on leur fait face. »

À des caporaux qui copinaient exagérément avec les recrues qui leur étaient confiées au motif qu’ils redoutaient d’en être mal vus, il les désarçonnait par le bon mot d’un humoriste chipé au gré de ses lectures (car il lisait, le bougre !) : « Comment expliquez-vous qu’on puisse avoir dans le nez des gens qu’on ne peut pas sentir ? En matière de discipline, pas de mollesse ! Se faire respecter c’est comme planter un clou : il faut viser juste et frapper fort. »

Notre brave adjudant savait ainsi mettre les rieurs de son côté. Lors d’une séance de close-combat, il avait emprunté à un prétendu ancien une curieuse démonstration remettant en cause un recours aveugle à des lois physiques pourtant avérées : « Un kilo de plomb pèse nettement plus qu’un kilo de plumes. Si quelqu’un vous dit le contraire frappez-le alternativement, à poids égal bien sûr, avec un tuyau de plomb et un polochon de plumes. Il ne tardera pas à vous donner raison. »

Chez les paras coloniaux, si les pépins rencontrés peuvent être de toute nature, il en est un avec lequel il ne faut pas plaisanter : celui que vous endossez. Sauter est une chose, atterrir en est une autre et la nature de la « dropping-zone » mérite grandement attention. Pour en faire prendre conscience à ses recrues il aimait à recourir à des réflexions inattendues néanmoins pertinentes : « Si Benjamin Franklin avait été parachutiste, il n’aurait jamais songé à inventer le paratonnerre ». Cela ne mérite-t-il pas réflexion ?

L’embuscade nocturne nécessite une préparation méthodique (camouflage, temps d’accoutumance, etc.) Ah ! Cette accoutumance à l’obscurité et l’impression étrange sinon malsaine qui l’accompagne ! (l’homme est un animal diurne). Pour souligner l’adaptation de l’acuité visuelle, il se référait alors à l’enseignement d’un docte marabout : « Descends au fond du puits si tu veux voir les étoiles. »

Il recourait encore à un autre proverbe prétendument indochinois pour matérialiser les difficultés rencontrées et le caractère incertain de l’opération : « Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre… surtout lorsqu’il n’y est pas. »

Ce recours permanent à ces improbables sentences lui permettait de faire toucher du doigt les difficultés rencontrées dans la progression d’un commando : « Pour savoir où l’on va, il faut déjà savoir où l’on est. »

De même, pour souligner l’importance de la discrétion et du silence en la circonstance, il donnait ce précieux conseil : « Ne révèle pas tes secrets dans un désert entouré de collines car l’écho pourrait les répéter. »

Lorsque l’un de ses hommes commettait quelque faute susceptible de mettre en danger ses camarades ou lui-même, il posait cette question sur un ton particulièrement suave qui équivalait néanmoins à une mise au pilori : « Dites donc, l’Araignée (pour lui chacun de ses hommes était une araignée, allez donc savoir pourquoi… la toile que composent les suspentes du parachute peut-être…), vous avez fait ça par connerie ou par méchanceté. »

Imaginez pareille question posée à un ministre en pleine Assemblée nationale, ou à un commissaire devant le Parlement européen… Cela ferait un tabac dans ce microcosme qui à défaut de bon sens ne cesse de se prévaloir de son ersatz, le très aléatoire pragmatisme de synthèse.

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Philippe Randa,
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