22 octobre 2016

Lénine : la maladie qui change le cours du siècle

Par Bernard Plouvier

Wladimir Oulianov (1870-1924) est issu de la petite bourgeoisie, son père étant directeur d’école. Sa vie, son destin et celui d’une grande partie des peuples d’Europe et d’autres continents, résultent pour l’essentiel de ses lectures et de l’influence qu’a eue sur l’adolescent son frère aîné, Alexandre, pendu pour avoir participé à la préparation d’un attentat terroriste.

Wladimir est déporté de 1896 à 1900 en Sibérie et devient ainsi « Lénine », le plus redoutable des théoriciens marxistes de stricte obédience avant 1914. Au physique, c’est « un petit homme insignifiant » (Staline dixit, qui était lui-même un nabot), d’un abord très simple et généralement gai.

Ses querelles dogmatiques sont poussées fort loin, jusqu’à la haine, comme le démontrent ses écrits, notamment envers les chefs des diverses chapelles du marxisme – par exemple, Lev Bronstein- « Trotsky », Grigori Radomylski alias « Zinoviev »- « Apfelbaum » et Rosa Luxembourg, sans que cela dégénère en pensées antijudaïques, comme ce sera le cas chez Joseph Dougashvili- « Staline ».

En revanche, l’homme se montre peu pugnace lorsqu’il s’agit de passer aux actes. Pour tout dire, c’est un couard. De juillet à octobre 1917, il prêche l’insurrection à Petrograd, mais il ne sort de son terrier qu’après le triomphe du putsch bolchevique. Son talent oratoire fait de lui un personnage charismatique, non seulement auprès des foules, mais aussi dans les assemblées, ce qui lui assure la prééminence dans le gouvernement de la Russie soviétique, puis de l’URSS.

Le 30 août 1918, une exaltée juive, Fanya Kaplan, née Raydman, décharge dans sa direction le contenu d’un revolver de faible calibre : les trois balles qui atteignent Lénine déclenchent la première terreur bolchevique. Dans les semaines qui suivent cette blessure, le grand homme présente un état d’agitation mentale et physique (un état hypomaniaque), immédiatement rapporté par la victime et ses curieux médecins à un « poison » dont auraient été enduites les balles !

Durant l’année 1920, on lui découvre une hypertension artérielle sévère et des signes d’artériopathie des membres inférieurs, ce qui n’est guère étonnant chez un individu fumant 40 cigarettes par jour depuis une trentaine d’années !

Toutefois, lorsqu’en décembre 1921 le patient se plaint de migraines et de vertiges, générant une insomnie sévère, ses médecins reprennent l’hypothèse des « balles empoisonnées ». Le demi-dieu est opéré le 23 avril 1922. On extrait à grand-peine une balle nichée dans le trapèze droit, au sein d’un magma correspondant à l’organisation d’un hématome et à un cal exubérant de la clavicule brisée par la balle, 4 ans plus tôt ; le 2e projectile est fiché dans l’omoplate gauche et le chirurgien, qui a peiné pour ôter le premier, n’ose tenter l’exérèse – au moins la 3e balle a-t-elle eu la courtoisie de transpercer les muscles de l’épaule gauche et de ressortir aussitôt.

Bien évidemment, l’intervention s’avère inefficace : persistent les vertiges et les céphalées. Le patient continue de fumer énormément. Le 26 mai 1922, le potentat est foudroyé par son premier accident vasculaire cérébral. Les signes initiaux font penser à une hémorragie cérébrale plutôt qu’à une thrombose ou une embolie : de violents maux de tête et des vomissements précèdent la paralysie, ce qui permet d’évoquer une hypertension intracrânienne. En ce 26 mai, Lénine perd en partie la commande de la moitié droite de son corps (c’est ce qu’en termes techniques, l’on nomme une hémiparésie droite), mais surtout présente de gros troubles de la compréhension et de l’expression du langage, ainsi que de grosses difficultés à saisir le contenu d’un texte écrit (soit : une aphasie mixte et une alexie). À compter de ce jour, il ne s’exprime plus correctement en sa langue d’élection, l’allemand.

Le 12 décembre 1922, une récidive d’accident vasculaire, dans le même territoire cérébral, annule en quelques heures les progrès accomplis depuis six mois. Il devient grabataire, ne peut plus écrire et, dans son expression orale, il confond et déforme les mots. En dépit de l’optimisme de son médecin français, le communiste François Guettier, qui conserve l’espoir d’une guérison presque complète (« La tendance à la fatigue sera plus grande, mais le virtuose restera un virtuose »), les progrès seront quasi nuls jusqu’à sa mort.

Tout ce que Lénine est censé avoir dicté par la suite correspond au déchiffrement et à la transcription par Nathalie Oulianov, née Kroupskaïa, des bredouillements du maître d’un empire de 150 millions d’êtres humains. Or, l’épouse dévouée est elle-même malade : elle souffre d’une hypothyroïdie traitée par des protéines iodées et des extraits de glande thyroïdienne animale – la bouffissure de son visage permet d’inférer que le traitement est peu efficace ! On comprend que les dignitaires du Politburo aient considéré avec un certain détachement, voire un mépris affiché, la traduction libre par son épouse des paroles du maître.

Le calvaire du chef de l’État se poursuit. Le 9 mars 1923, un 3e accident vasculaire se produit, toujours dans le même territoire – la région moyenne de l’hémisphère cérébral gauche, qui est l’hémisphère dominant chez un droitier comme l’était Lénine. Du coup, « Lénine » devient anarthrique, absolument incapable de prononcer le moindre mot (il est déjà incapable de mouvoir les membres du côté droit, de lire et d’écrire) ! En juin 1923, il réussit à faire quelques pas, étant solidement maintenu par un garde, mais présente des tremblements du membre supérieur gauche ; en octobre, il ne réussit à prononcer qu’un mot : « voilà ». Ses progrès s’arrêtent là.

Le 20 janvier 1924, ses proches constatent un strabisme, secondaire à la paralysie d’un nerf oculomoteur, et, le 21 janvier, il est foudroyé par son 4e et dernier accident vasculaire cérébral. Aux crises d’épilepsie, succèdent une anarchie du rythme respiratoire et le premier maître de l’URSS meurt dans la soirée, âgé de 53 ans.

Son autopsie est réalisée par deux médecins communistes venus d’Allemagne, Heinrich Vogt – un neurologue et anatomopathologiste fort célèbre – et le Dr Klemperer. La mort est due à une hémorragie de la partie haute du tronc cérébral (le mésencéphale). L’on constate des lésions d’artériosclérose considérables de l’aorte et des artères carotides (on parlerait de nos jours d’athérothrombose : une obstruction de la lumière vasculaire et un épaississement de la paroi artérielle, provoquant un obstacle à la circulation sanguine et à l’oxygénation du cerveau) et 7 sites d’accidents vasculaires cérébraux, en plus de celui ayant occasionné la mort (3 dans l’hémisphère dominé et 4 dans le gauche) !

Les deux anatomopathologistes, fort dociles, entérinent l’hypothèse de l’empoisonnement artériel. Ils extraient la balle de l’omoplate gauche et l’envoient au laboratoire de toxicologie de l’institut de médecine légale de Moscou. Nul ne publiera jamais le rapport d’expertise ! Bien que le médecin personnel de Lénine ait généreusement administré du Salvarsan à son patient les deux gloires de l’anatomopathologie allemande, Vogt et Ludwig Aschoff, réfutent, après l’examen des coupes de parois artérielles, l’hypothèse d’une artérite syphilitique.

Dans son pamphlet : Staline de 1940, « Trotsky » reprendra la thèse de l’empoisonnement du premier tsar rouge, mais en l’embellissant de l’action de « sbires de Staline », parvenant à déjouer la vigilance de l’épouse dévouée et administrant une « poudre de succession » au maître de l’heure ! Tout ceci n’est pas sérieux. Lénine, grand fumeur, sédentaire, hypertendu, a présenté une maladie cérébro-vasculaire sévère, générant une incapacité totale dès le premier accident, celui du 26 mai 1922.

Un an plus tôt, au printemps de 1921, il était encore en pleine possession de ses facultés, prenant conscience du désastre économique provoqué par la révolution bolchevique et, dans un accès d’autocritique aussi courageux que sympathique, introduisait la notion de profit individuel dans la vie soviétique. Cette NEP (nouvelle économie politique) lui a permis, au prix d’une hérésie marxiste qui a dû lui être particulièrement douloureuse, d’améliorer les conditions de vie de ses administrés, jusqu’à ce que « Staline », en 1928-1929, revienne au dogme marxiste pur et dur, au crétinisme dogmatique générateur de sous-production et de pénurie.

L’invalidité de « Lénine » a permis à « Staline », jusqu’alors obscur tâcheron d’un ministère technique et totalement dépourvu de prestige personnel, de saisir les commandes du Parti communiste. Lorsque « Lénine » meurt, son successeur est tout désigné : il tient les postes clés du PC de l’URSS. Il est infiniment probable que, si « Lénine » avait pu organiser méthodiquement sa succession, il n’aurait pas investi « Staline » d’un pouvoir tel qu’il lui permette de devenir le dictateur omnipotent, le tyran sanguinaire, mais aussi le conquérant exceptionnellement heureux, à qui tout réussit, partie par l’effet de son indéniable génie politique, partie par la bêtise de ses associés anglo-US et les bévues de son ennemi principal, Adolf Hitler, le surdoué délirant.

« Lénine » a été un personnage prométhéen, laissant à sa mort un monde radicalement transformé par son action. Mais son incapacité totale durant les deux dernières années de son règne nominal, équivalant de fait à une mort prématurée, a bouleversé le destin de presque tous les peuples de la planète pour trois quarts de siècle, l’orientant dans une direction qu’il n’aurait probablement pas admise.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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