7 novembre 2017

Faites l’amour, pas la guerre

Par Pierre de Laubier

 

Les historiographes des rois ont, bien entendu, exalté les vertus de saint Louis, que ses successeurs n’ont pas imitées souvent. Les historiens républicains et nationalistes du XIXe siècle ont trouvé, eux aussi, qu’un saint faisait joli dans la galerie des « quarante rois qui ont fait la France. »

Mais les éloges que Lavisse adresse à saint Louis cadrent mal avec l’enthousiasme qu’il manifeste dès qu’un roi brime ses vassaux, usurpe leurs prérogatives et s’empare de leurs biens. Pour surmonter cette contradiction, il omet purement et simplement l’un des actes capitaux du règne, à savoir le traité de Paris (ou d’Abbeville) de 1259. Il omet aussi de remarquer que, sous saint Louis, il n’y eut qu’une seule révolte de barons. S’il l’avait remarqué, il aurait fallu l’expliquer, et l’explication cadre mal avec la peinture qu’il fait de la féodalité.

Certes, le roi a gagné en puissance, on a vu par quels moyens, sous Philippe II et Louis VIII. Mais la crainte n’est pas la seule cause de l’absence de révolte contre le roi, sauf en 1242, quand quelques barons d’Aquitaine se révoltèrent. Henri III en profita pour débarquer à Royan, mais fut battu à Taillebourg. Une longue trêve suivit, au cours de laquelle saint Louis partit pour l’Orient. À son retour, il prit l’initiative de renouer des pourparlers qui aboutirent en 1259 au traité de Paris, par lequel il restituait au roi d’Angleterre les dernières conquêtes de son père.

Pourquoi une si folle générosité ? C’est que saint Louis jugeait – non sans raison – les conquêtes de son père entachées de violence. En échange, Henri III renonçait aux domaines conquis à son détriment par Philippe II. Les provinces qu’il recouvrait étaient le Limousin, la Guyenne, le Périgord, le Quercy, l’Agenais et la Saintonge. C’était moins grand que la Normandie, le Poitou et l’Anjou, mais tout de même ! La même année, le roi de France abandonna sa suzeraineté sur le Roussillon et la Catalogne ; en échange, le roi d’Aragon renonçait à ses prétentions sur le comté de Toulouse. En dépit de l’esprit « national » qui serait né sur le champ de bataille de Bouvines, le retour de ces provinces sous la suzeraineté du roi d’Angleterre, plutôt que sous le gouvernement direct du roi de France, ne souleva aucune protestation.

Il ne s’agissait pas de générosité, mais de justice. Dès qu’on les traitait avec justice, les barons cessaient donc, comme par enchantement, de se montrer « turbulents ». L’autre résultat fut que, dès 1264, c’est à l’arbitrage du roi de France que recoururent les barons anglais en conflit avec le même Henri III.

Saint Louis, fondateur du parlement et de la Cour des comptes, plaça la justice, et non la conquête, au cœur de la mission royale. Il institua la quarantaine et l’asseurement. Dans les quarante jours qui suivaient une offense, il était interdit d’en poursuivre la réparation par les armes ; en attendant, les parties étaient sous la protection du roi, et si l’une des deux violait la trêve, elle encourait la justice royale.

Voilà qui révèle quelque chose de la féodalité : c’est que les guerres qualifiées à tort de « privées » qui étaient, dit-on, l’« occupation favorite » des seigneurs, avaient un lien étroit avec la justice. Elles étaient faites pour réparer des torts et restaurer des droits. Autrement dit, l’occupation première des seigneurs n’est pas la guerre, c’est la justice. Voilà pourquoi le roi pouvait remplacer l’une par l’autre.

Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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