5 octobre 2016

De l’énarchie à la planètocratie via l’eurocratie

Par Jean-Pierre Brun

Les programmes de précampagne des postulants à l’élection présidentielle offrent parfois quelques surprises. Il en est ainsi pour celui de Bruno Le Maire. Cet énarque distingué préconise ni plus ni moins que la suppression de la prestigieuse école qui l’a formé sinon formaté. « Chiche ! » s’écrient de nombreux malveillants.

Par décret du 9 octobre 1945, le Gouvernement Provisoire de la République française présidé par Charles De Gaulle, crée l’École Nationale d’Administration. Elle va donc naître, osons le dire, de la relation contre nature entre Maurice Thorez et Michel Debré. Le premier, secrétaire général du PCF, désigné par le Général pour diriger la mission provisoire de réforme de l’administration, veille à ce que soit concocté un cursus pédagogique conforme à ses vues. La structure et le programme devront être compatibles avec son goût très marqué pour ce centralisme démocratique déjà pratiqué sous d’autres cieux. Un jeune maître des requêtes au Conseil d’État et commissaire de la République, Michel Debré, est chargé de sa mise en œuvre. Il en devient le premier directeur.

Cette initiative combien louable qui affiche le noble dessein d’atteindre l’excellence en matière de formation des responsables de la haute administration, a en fait quelque arrière-pensée. Il s’agit surtout de détruire ce pouvoir des féodalités que représentent les ministères au sein desquels dominent des corporatismes solidement ancrés et leur vigoureuse pratique du copinage, du népotisme et d’autres arrangements entre gens de bonne compagnie et d’obédience plus ou moins stricte.

Déjà, sous la IIIe République, Edouard Herriot avait porté un jugement peu amène sur cet état de fait : « Les bureaux ? La France vit sous la domination du scribe accroupi. »

Hélas ! Comme le rappelait un moraliste dont j’ai oublié le nom (est-ce François Mauriac ? est-ce André Malraux ?…. que c’est dur de vieillir) : « Les bons sentiments font rarement les bons gueuletons ». Très vite, des énarques comprennent que travailler pour la plus grande satisfaction d’un homme politique est certainement vertueux, mais que consacrer leurs talents à leur propre gloire est beaucoup plus gratifiant. D’où cette épidémie frappant des trentenaires, jusqu’à leur faire quitter la Fonction publique pour aller goûter aux délices parlementaires avant d’accéder aux ineffables joies ministérielles, voire plus si affinités.

Heureusement, me direz-vous, tous ne désertent pas. « Dommage ! » se réjouirait plutôt Michel Audiard, très critique sur ce personnel d’élite : « On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis. »

Si l’on doit à Descartes le fameux Discours de la méthode, on doit à l’ENA le triomphe d’une méthode : la sienne. Elle a ceci de rassurant qu’elle s’applique à tous les cas de figure et permet de traiter un quelconque sujet sans en posséder une connaissance approfondie. Bon en tout, l’Énarque devient ainsi propre à rien. Puisque nous en sommes à parler méthode, nous relèverons celles soulignées par un fin observateur dont je tairai le nom : « Il y a trois méthodes pour ruiner une affaire qui marche : les femmes, le jeu et les technocrates… Le technocrate, c’est le plus sûr. »

Je devine, parmi les lecteurs, un homme avisé que mes propos ironiques agacent : « C’est facile de critiquer ! Vous êtes l’archétype du franchouillard auquel s’applique à la lettre le jugement établi naguère par Jules César : « Les Gaulois sont des hommes instables, soucieux de changement, peu aptes à l’obéissance, mais très habiles et très éloquents lorsqu’il s’agit de discuter ». »

D’accord, j’en conviens. Mais puisqu’il en est ainsi, je me référerai à plus important que moi : Pierre Mendès-France, gaulois-en-chef s’il en fut. Son jugement sur les énarques n’était pas tendre : « La gestion de ces petits messieurs ne s’est pas avérée à la hauteur de celle d’un tanneur, Antoine Pinay, ou d’un garagiste, René Monory ». Hommage appuyé à l’Artisanat français.

Comme bien d’autres espèces, celle de l’énarque mute. De technocrate, il s’est métamorphosé en eurocrate. Il finira avant peu dans la peau d’un planétocrate. Il sera alors affecté aux postes de pilotage de cette armada interplanétaire maîtresse de notre destin. Dans ces états-majors de technautocrates-en-chef, il participera à cette nouvelle guerre des étoiles à l’issue de laquelle, si les vents lui sont favorables, il pourra ceindre son crâne d’œuf d’autres feuilles de chêne. Que la force soit avec lui !

On peut rêver car, hélas, rien n’est moins sûr que l’incertain et la mondialisation reste encore à ce jour le moyen le plus sûr pour, parti de quelque part, arriver n’importe où.

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Philippe Randa,
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