Ukraine : naissance d’une nation

par Jérôme Regnault (Chronique de Livr’arbitres)

Les dernières élections en Ukraine ont choisi Volodymyr Zelensky comme président, exit Poroshenko ; le nouveau guignol-marionnette élu est lui-même comédien dans une série télé narrant les tribulations d’un prof projeté en tant que président du pays… ça ne s’invente pas, la « PNL politique » impose sa grammaire… The Truman show must go on. Bref un retour en arrière s’impose et Pierre Lorrain arrive à point nommé.

Pierre Lorrain, journaliste russophile – et pas russolâtre – ayant à son actif plusieurs ouvrages traitant de la question, nous livre une belle étude historique sur l’Ukraine, pays qui occupe une place particulière dans le contexte international actuel. On parle bien sûr du Donbass et de la Crimée, lieux stratégiques de l’affrontement entre l’Occident (en fait l’Otan) et la Russie depuis 2013. Une situation similaire à celle de la Syrie tout compte fait. Son opus, 600 pages limpides, couvre un panorama complet, de l’antiquité grecque en passant par l’empire russe de Pierre 1er jusqu’aux derniers remous géopolitiques ayant occupé les devants de l’écran, aucune période n’est mise à l’index. L’épisode soviétique occupe une place centrale tant il déterminera les problématiques contemporaines (oligarchie, rigidité étatique…). Ce balayage temporel est accessible aux moins aguerris de l’histoire septentrionale – dont je fais partie. Vous pouvez y aller d’un pas serein, c’est un vulgarisateur éclairé même si quelques fois, on y perd un peu son cyrillique.

L’une des qualités principales de Pierre Lorrain est d’avoir su rendre intelligible l’ascension historique au gré des âges d’une conscience nationale, de celle d’un peuple qui se débattant entre les différents royaumes et Etats l’entourant, a toujours su résister et perdurer.

L’impression durable nonobstant l’émergence de cette conscience nationale au XIXe siècle, reste malgré tout celle d’un pays qui n’en est pas complètement un, aux contours flous. Pays fragmenté, kaléidoscopique, recomposé aux termes de péripéties historiques (entre le royaume de Pologne, l’empire austro-hongrois pour les périodes les plus récentes), l’Ukraine semble devoir rester un territoire sous domination historiquement russe ou pas, et ce au-delà du problème de la Crimée. S’il est indéniable qu’un noyau dur ethnico-culturel se reconnaisse comme substantiellement ukrainien, la pluralité d’autres groupes (ukrainiens russophones, russes, moldaves, etc…) confine à un schéma de type balkanique, ou à des situations semblables à celle de la Catalogne vis à vis de l’Espagne. Lorrain souligne qu’au jacobinisme pavlovien issu de l’expérience soviétique, l’Ukraine devrait s’engager sur la voie salutaire d’un fédéralisme régulateur, au risque terminal d’une déflagration qui semble inexorable en l’état des lieux.

Pierre Lorrain, L’Ukraine, une histoire entre deux destins, éditions Bartillat, 2019.

Article paru dans les colonnes du quotidien Présent.

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