12 septembre 2016

Du nouvel Âge d’or

Par Bernard Plouvier

Nul moraliste classique – hormis Socrate, dont Nietzsche faisait un faussaire de la philosophie, et Blaise Pascal, optimiste comme tout chrétien sincère peut l’être – n’a jamais prétendu que l’être humain était venu sur terre pour être heureux. On y est né, au hasard de la conjonction de deux êtres de sexe différent (à moins qu’un spécialiste médical n’ait pratiqué une fécondation artificielle, comme on le fait avec les animaux d’élevage depuis le XVIIIe siècle), et l’on y vit « bovinement » ou idéalement, ce dernier terme impliquant de faire son devoir, à la fois par respect de soi et pour servir la collectivité. La difficulté est double : savoir ce qu’implique précisément ce devoir et l’accomplir sans déchoir.

En toute époque, une civilisation qui naît, puis se pérennise, est fondée sur les notions de dépassement de soi et d’effort collectif, non sans heurts, et parfois violents, l’humanité étant ce qu’elle est : une espèce issue d’un genre animal fondamentalement identique aux autres, donc orientée vers la compétition pour la survie et la domination. Or, notre actuelle société mondialiste, vivant d’hyperconsommation non régulée, mais sous-tendue par l’absurde respect d’une multitude de droits catégoriels, est fondée sur l’individualisme, l’hédonisme (à crédit) et l’hypocrisie.

C’est une évidence : la vie au quotidien est beaucoup plus souvent morne, voire dégradante, que passionnante ou simplement amusante. De ce fait, tout individu normal – soit doué d’une conscience éthique, par opposition au psychopathe, à la canaille ou à la crapule –, au sein du même nycthémère (la journée et la nuit du même jour selon le comput officiel), se jette alternativement dans la routine, bienfaisante car rassurante, et dans le rêve éveillé – recourant aux paradis artificiels : tabac, alcool, stupéfiants, s’il manque d’imagination créatrice. Il s’agit beaucoup moins de « s’évader hors du moi » (comme l’a écrit Aldous Huxley) que de transplanter le moi, le temps d’un petit moment de bonheur imaginaire, en un monde, certes de fantaisie, mais moins triste, sale ou fade que la réalité.

Rien n’est plus stupide que la ritournelle, répétée ad nauseam depuis des siècles par des poètes puis des chansonniers : « Quand l’on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a ». La formulation est jolie : les chiasmes grammaticaux plaisent toujours, par leur subtilité au moins apparente. En réalité, l’être insatisfait de sa vie aurait tort de se contenter de la médiocrité de sa condition, de la nullité de son entourage ou de la veulerie de ses contemporains. Il a le devoir de se constituer une vie imaginaire, dans l’attente hypothétique du jour, de plus en plus improbable à mesure que s’écoulent les années, où cet idéal pourrait devenir réalité.

Il est infiniment préférable, pour le reste de l’humanité, que l’immense cohorte des insatisfaits de la condition humaine ou de leurs propres conditions de vie se mette à fantasmer (ceci étant la traduction hispanisante du mot rêver) sur le thème d’une autre vie, plus aimable ou plus brillante, plutôt que de tenter de réformer le monde. Tous les utopistes, même les plus généreux et les plus idéalistes, qui se sont efforcés de faire de la vie terrestre un Paradis l’ont transformée en un Enfer pour leurs contemporains, voire pour de nombreuses générations. C’est l’une des rares constantes de l’histoire humaine, qui semble avoir échappé à nombre de brillants analystes.

Sont beaucoup plus utiles à l’humanité souffrante les poètes et les romanciers, rêveurs professionnels, parfois heureusement inspirés. De même, les dessinateurs, peintres, sculpteurs et architectes, quel qu’ait pu être leur niveau technique, ont exalté le goût du beau chez leurs contemporains, puis édifié les générations suivantes… Encore fallait-il, pour obtenir ce brillant résultat, qu’ils fassent preuve, comme les musiciens, du sens de l’harmonie.

De 1918 aux années 1970, le cinéma d’action – l’art populaire par excellence, qui est devenu de nos jours un non-art, sauf bienheureuse exception – narrait les exploits de groupes qui étaient vainqueurs lorsque tous leurs membres concourraient au même but et qui s’avéraient vaincus en cas de désunion ou de trahison au sein de l’équipe. En notre nouvelle ère, l’on ne commercialise plus que les œuvres virtuelles de super-héros, de tous âges, sexes et coloris (il en faut pour tous les genres et tous les publics), qui ont en commun de gagner ou de sauver le monde selon le schéma « seul contre tous », éventuellement avec la « petite amie » ou le pitre faire-valoir de service.

Pour nourrir l’excitation mentale des hallucinés et délirants de tout poil, médiocrement satisfaits des (onéreux) paradis artificiels commercialisés pour calmer l’angoisse existentielle des sujets à médiocre vie intérieure, l’on met de nos jours sur le marché (à des prix assez peu élevés) quantité de jeux dont Dumédiocre ou Supernulle peuvent être le héros (et à l’ère de la supercherie de la Gender theory, le « héros » a le plus souvent perdu son identité sexuelle). Après avoir commercialisé de l’estime de soi par le Charity business, on regonfle le moral du jeune consommateur, sur lequel l’on compte plus que jamais pour nourrir les profits des fabricants et des innombrables intermédiaires du joli monde du négoce et de la finance, en attendant de lui faire rembourser la Dette de l’État, tandis que ses parents sont surendettés pour raisons de standing de vie.

Supermachin, ce jeune prodige de l’économie globale et de la nouvelle conception du monde, rêve d’une Terre de fiction ou de Cyberespace. Pendant ce temps, il ne réfléchit nullement à la condition humaine et surtout pas aux valeurs humanistes, devenues d’authentiques pensées démoniaques dans notre nouvelle ère, où seuls l’hédonisme et la niaiserie sont glorifiés, presque au même titre que la valeur morale suprême : le consumérisme.

Dans notre monde dominé par l’achat et la vente, le nouveau héros, le consommateur et généreux donateur des officines à prétentions « humanitaires », ne s’informe pas des grandes civilisations du passé. Si l’envie lui en vient, on lui présente une histoire-fiction où de mauvais Blancs, avides et brutaux, asservissent de gentils primitifs colorés, d’une infinie sagesse. Il s’intéresse encore moins aux notions terrifiantes d’effort, d’abnégation, de lutte en commun pour créer le monde réel de demain. Il est conditionné – formaté serait le terme le plus juste – pour continuer à consommer toujours plus et à crédit, pour bien voter et continuer le jeu pervers du brassage des cultures et des races (sauf dans le milieu juif, où on ne l’encourage, et fortement, que pour les autres).

Le nouvel Âge d’or est né, virtuel pour le consommateur-payeur, très réel pour ses organisateurs et leurs complices. Cet Éden, à peine nourrisson, est tellement avarié qu’il est condamné à une très courte existence. La supercherie, la médiocrité, l’égoïsme n’ont jamais créé de grande civilisation. Même les fourmis savent instinctivement que leur survie et l’expansion de leur espèce dépendent de l’effort collectif et de l’abnégation de chaque individu.

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Philippe Randa,
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