12 juillet 2017

Mon Panthéon est décousu

Par Jean-Pierre Brun

C’est fou cette propension qu’ont les gens à prétendre honorer des personnes qui ne leur ont rien demandé. J’imagine volontiers que cette malheureuse Simone Veil (pas la philosophe, l’autre), n’avait pas imaginé une seule seconde finir sa vie au Panthéon. Encore moins que l’on imposât à son mari de la rejoindre dans ce lieu où l’on côtoie le meilleur comme le pire. Il est dans la mort comme dans la vie un principe qui garde toute sa validité : il vaut mieux être seul que mal accompagné.

Certains lecteurs de la presse dite « people » objecteront qu’une chambre à « l’Hôtel des grands hommes » vous classe dans la « jet-set de l’au-delà » autant qu’une suite au Ritz ou au Négresco dans celle des parvenus et, qui plus est, pour l’éternité. Admettons, mais à quel prix ! Vivre la promiscuité d’individus auxquels en d’autres temps vous n’auriez confié ni votre argent ni votre fille, est-ce bien raisonnable ? Certes cela aurait pu être pire si Mirabeau et Marat y étaient restés et si Stavisky et Landru y avaient été admis, mais tout de même…

Aux grands hommes la patrie reconnaissante ! Quelqu’un pourrait-il me renseigner sur l’œuvre de Hyacinthe de Cossé Brissac ou sur celle de Girolami-Luigi Durazzo ? Je ne vous laisserai pas sécher plus longtemps. Ma curiosité et mon souci du partage me perdront, mais on ne se refait pas… Le premier était le Chambellan de Madame Mère, Letizia Buonaparte et le second, doge de la république ligurienne. Avouez que leur contribution à la grandeur et au rayonnement de la France reste à prouver. De là à imaginer qu’ils ont trouvé leur billet de logement post-mortem dans une pochette-surprise.

Si ce jeu de devinettes vous a plu, allez donc consulter les biographies de Louis Pierre Resnier, d’Emmanuel Crétet, de Jean-Frédéric Perrégaux. Vous serez édifié. D’autres hôtes de ce haut lieu de mémoire, victimes de l’amnésie du bon peuple de France, valent leur redécouverte. Charles Erskine de Kellie ? Un cardinal laïc italo-écossais, jamais ordonné prêtre faut-il le préciser, qui se distingua au service de la diplomatie vaticane. Ippolito Vincenti-Mareri ? Un évêque des États pontificaux dont le grand mérite fut son ralliement à Napoléon.

Et les querelles de voisinage ! Parlons-en.

Comment imaginer une colocation paisible entre Victor Schoelcher acteur important dans l’abolition de l’esclavage et ce vieil affairiste de Voltaire qui avait écrit : « Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité. Celui qui se donne un maître était né pour en avoir. »

Pour peu que le gouverneur Félix Eboué, petit-fils d’esclave guyanais, vienne pimenter le débat d’une pointe de langue d’oiseau !

Le même Voltaire partageant son éternité avec Rousseau, voilà qui n’est pas de tout repos, fût-il éternel. Le premier suggérait l’exécution du second au motif qu’il avait fait porter ses cinq enfants aux « Enfants trouvés » : « Si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux. »

Non, vous n’avez pas la berlue, il s’agit bien de la peine capitale qui est requise par le procureur de Fernay. Le second reprochait au premier son inconduite et ses amours incestueuses avec Marie-Louise, la fille de sa sœur. Non loin de là, Victor Hugo qui avait abondamment suborné ses jeunes bonnes, ne pipe mot. Il en est réduit à déclamer les plus belles pages de son « Art d’être grand-père » pour mieux faire oublier « la prodigieuse et prodigue sensualité » que lui prêtent ses biographes (« obsession sexuelle » conviendrait tout autant, mais pour un grand homme c’est dégradant). Quelle ambiance !

Que dire de la cohabitation forcée entre Jean Monnet et André Malraux ? L’un des pères de l’Europe, promoteur infatigable du libre-échange, de l’Atlantisme, de la disparition des Etats-Nations, n’a pas fini de subir les sarcasmes de « la voix sépulcrale du gaullisme » qui, à longueur d’éternité, souligne fielleusement les carences bruxelloises endémiques, sous le regard glacé de René Cassin, le premier président du Comité Constitutionnel tel que voulu par le Général.

Comment goûter à un vrai repos éternel dans un pareil zoo ? Appelez-moi le gardien chef !

Il en est un pourtant que ces chamailleries de vieux singes ne troublent pas le moins du monde : Condorcet dont le tombeau est vide. Initialement inhumée dans une fosse commune du cimetière de Bourg la Reine, sa dépouille n’a jamais été retrouvée.

Mon propos peut paraître quelque peu décousu. C’est ce qui m’a incité à emprunter le titre de ma chronique à ce cher Jules Renard qui fort sagement a choisi, lui, de reposer dans la Nièvre à Chitry-les-Mines, loin des turbulences médiatiques de la Place Sainte Geneviève (avec cette appellation d’origine rendons pour une fois aux femmes ce qui leur appartient, n’en déplaise à ces hommes que l’on dit « Grands »).

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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