18 décembre 2017

L’affaire Mokrani et la révolte algérienne de 1871

Par Nicolas Bonnal

 

L’Algérie traumatise et continue de traumatiser… en France et en Algérie ! Mon grand-père était colon en Tunisie et je suis né de cette étrange guerre.

Les carottes étaient cuites depuis longtemps, mais ce qui mit le feu aux poudres fut le décret Crémieux qui accordait la nationalité aux Juifs, mais pas aux musulmans.

En lisant Édouard Drumont (tome II de La France juive, qui reste un livre parmi les plus importants pour comprendre le triste siècle écoulé) – dont le point de vue est certes antisémite, bien sûr – on découvre l’extraordinaire et oublié personnage du cheikh El Mokrani, modèle pour les 50 000 musulmans morts (certains l’oublient !) pour la France depuis cette époque qui croyait à la gloire et pas au bitcoin : « L’insurrection éclata quand les populations musulmanes virent, à la fin de janvier 1871, les Israélites faire les fonctions de jurés.

Alors seulement, dit l’exposé des motifs du projet d’abrogation, ces populations, qui n’avaient pas été frappées de la déclaration du 24 octobre, ont compris qu’elles pouvaient devenir justiciables des Israélites indigènes.

Si cette interprétation des faits était contestée, on rappellerait que le Kalifa de la Medjana, Si Mokrani, en renvoyant la croix d’officier de la Légion d’honneur, a fait savoir qu’il aimerait mieux mourir les armes à la main que de tolérer l’affront fait à sa race, en plaçant les Israélites au-dessus d’elle. L’attribution du droit de siéger, faite à ces derniers, est donc à la fois prématurée et dangereuse ; elle a été, au moins, une des causes de l’insurrection ».

En face du politicien oblique comme Crémieux qui trahit le pays qui s’est confié à lui, il faut placer la noble et loyale figure de notre vaillant ennemi Sidi Mohamed Ben Ahmed El Mokrani.

Mokrani est la plus complète personnification de ces grands seigneurs arabes, tels que Fromentin s’est plu à nous les montrer sous les ciels aux tons fins qu’il peint si bien, à nous les raconter dans ses livres pleins de couleur.

Passionnés pour les belles armes et les beaux chevaux, superbes sur leurs étriers dans les brillantes fantasias, graves et dignes au seuil de leurs tentes, en souhaitant la bienvenue à leurs hôtes, fastueux, quand ils traitaient nos officiers, ces chefs, après de longues résistances, avaient été fascinés et séduits par la bravoure de nos soldats ; ils étaient fiers de porter sur leur burnous la Légion d’honneur, cette fleur aujourd’hui flétrie, cet emblème désormais prostitué qui, jadis, signifiait courage, talent ou vertu.

Ennemi terrible, ami sincère, Mokrani était digne de vivre au temps de Yousouf ben Ayoub Salah Eddyn et de combattre avec des chevaliers croisés. C’est par un fait d’armes digne des temps héroïques, dans un combat singulier qu’il avait gagné la croix d’officier, en tuant de sa propre main, au milieu de ses partisans, l’agitateur Bou Barghla.

Quand un officier français transmit au Bach-Aga le décret de Crémieux, il cracha dessus et le retourna à l’envoyeur en disant simplement : « Je n’obéirai jamais à un Juif ! ».

Cet homme qui avait toutes les générosités ne voulut pas attaquer la France aux prises avec l’Allemagne. Il attendit chevaleresquement que nous puissions disposer de toutes nos forces pour lutter. Ce fut alors qu’il renvoya sa décoration au général Augeraud et qu’en le remerciant courtoisement des égards qu’il lui avait témoignés, il lui adressa la déclaration de guerre qui se terminait par ces mots : « Si j’ai continué à servir la France, c’est parce qu’elle était en guerre avec la Prusse et que je n’ai pas voulu augmenter les difficultés de la situation. Aujourd’hui, la paix est faite et j’entends jouir de ma liberté ».

Mokrani tomba en héros ; il se fit tuer, ne voulant ni servir la France déshonorée, ni combattre plus longtemps un pays qu’il avait aimé, un pays dont il avait été l’hôte dans les fêtes de Compiègne et de Fontainebleau.

« Pour être plus sûr de mourir, il quitta, lui, le cavalier sans rival, ce cheval qui peut-être, dans un élan désespéré, eût arraché son maître au péril. Lui, le grand seigneur et, à pied, à la tête de sa troupe hésitante, il gravit la côte et marcha en avant jusqu’à ce qu’une balle vienne le frapper au front.

Il espérait que sa mort, annoncée par lui depuis plusieurs jours, mettrait fin à l’insurrection ».

Drumont ajoute dans une note : « La presse juive, pour déshonorer Mokrani, a soutenu que c’était la situation embarrassée de ses affaires qui l’aurait poussé à la révolte. Rien n’est plus faux. Les dettes mêmes de Mokrani avaient l’origine la plus honorable. Lors de la terrible famine de 1867-1868, il avait, avec sa magnanimité habituelle, emprunté des sommes considérables pour donner du blé aux hommes de ses tribus ».

Cela permet de rappeler que non seulement la conquête fit un tiers de morts chez les indigènes (données de Jean-Baptiste Duroselle), mais que la colonisation ne se passa pas toujours mieux qu’aux Indes.

Drumont rappelle qu’il était loin d’être le seul alors à crier dans le désert (lui pour les raisons que l’on sait, d’autres pour des raisons plus humaines) : « Voici, d’ailleurs, quelques extraits du Rapport fait à l’Assemblée Nationale par M. de la Sicotière, au nom de la Commission d’enquête sur l’insurrection de 1871. (Tome Ier, n° 1416 g. page 305 et suiv.) : “C’est surtout parmi les Arabes les plus dévoués à la France que l’irritation et l’humiliation causées par la naturalisation se manifestaient. Ce ne sont pas les Juifs qui deviennent Français, disaient-ils avec amertume ; ce sont les Français qui se font Juifs” (Akbhar et Union de Sétif, Mai 1871) ».

Attaque de Bordj Bou Arreridj par les hommes du cheikh El Mokrani —Gravure de Léon Morel-Fatio,L'Illustration, 1871.

Attaque de Bordj Bou Arreridj par les hommes du cheikh El Mokrani —Gravure de Léon Morel-Fatio,L’Illustration, 1871.

Le général Ducrot écrivait en 1871 (La Vérité sur l’Algérie, Paris, in-8°, p. 49) : « Le décret de M. Crémieux sur la naturalisation des Juifs mit le feu partout. »

L’auteur de la brochure : l’Algérie devant l’Assemblée nationale (1871) : « La naturalisation en masse a été une faute grossière. Les Indigènes ne pouvaient y voir et n’y ont vu qu’un acte de préférence que rien ne motivait à leurs yeux. Elle a eu dans les tribus un retentissement considérable, et la plupart des Indigènes se sont crus insultés dans leur amour-propre par cette disposition. »

On ne pouvait plus mal commencer avec les droits de l’homme en république. Elle envoya 250 Arabes pourrir et mourir en Nouvelle-Calédonie aux côtés des communards.

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Philippe Randa,
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