28 janvier 2017

Pour la justice anglaise, le référendum n’existe pas

Par Aristide Leucate

 

Il fallait à la Cour suprême du Royaume-Uni (United Kingdom Supreme Court), l’équivalent, mutatis mutandis, d’une décision « Marbury versus Madison » (rendue en 1803 par la Cour suprême des États-Unis), de celle du Conseil constitutionnel français de 1971 (Liberté d’association) ou de la série d’arrêts « So lange » du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe (rendus en 1974 et 1986).

Instituée en 2009, par le Constitutional Reform Act de 2005, cette jeune juridiction qui se substitue à la Chambre des lords dans ses fonctions en tant qu’instance judiciaire la plus haute du pays, a certainement besoin d’asseoir sa légitimité sur de confortables lits de justice. Sans doute pense-t-elle l’avoir trouvée avec son arrêt du 24 janvier

« Par une majorité de 8 contre 3, la Cour suprême a statué que le gouvernement ne pouvait pas activer l’article 50 (du Traité de Lisbonne) sans une loi votée au parlement l’autorisant à le faire », a énoncé le président de la Cour David Neuberge. Pas de quoi sonner les trompettes de la renommée judiciaire, la Cour ayant singulièrement manqué d’audace ou d’imagination, à moins qu’elle ne se soit ralliée implicitement à la position de l’Oligarchie en vertu de laquelle, « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens » (Jean-Claude Juncker, Le Figaro, 28 janvier 2015).

On ne sondera pas les cœurs et les reins, mais force est de constater que les hauts magistrats britanniques ont manqué une occasion exceptionnelle de faire œuvre originale en administrant une belle et grande leçon de droit constitutionnel au reste de l’Europe.

Assurément, comme le relevait Lord Reed, un des onze juges de la Cour dans son opinion dissidente (manifestant par-là, un net désaccord avec la décision rendue par ses pairs), « l’occasion se prêtait à l’examen des implications pour notre droit constitutionnel du développement de la pratique des référendums. »

Las. Après avoir reconnu, néanmoins, que « le référendum est un élément relativement nouveau de la pratique constitutionnelle au Royaume-Uni » (§117), elle est restée au milieu du gué en se bornant à répéter les inoxydables et habituelles leçons à peine dépoussiérées d’un Dicey ou d’un Blackstone.

Ainsi, considère-t-elle que « lorsque l’Exécutif intervenant dans les domaines régissant la propriété ou la liberté des sujets a été placé sous contrôle parlementaire, ce même Exécutif ne tire pas son autorité de la prérogative royale de la Couronne, mais du seul Parlement » (§48). En d’autres termes, le Premier ministre doit se soumettre à la souveraineté du Parlement.

Ce faisant, la Cour balaye d’un trait de plume la souveraineté du peuple exprimée par référendum, estimant que hors du Parlement il n’est point de salut. Pis, elle minore considérablement le référendum comme mode d’expression légitime fondant en droit la volonté libre et éclairée du peuple, en jugeant que « le référendum de 2016 […] bien que nullement dépourvu d’effet, a une force politique plutôt que juridique » (§124).

Dit autrement, le référendum n’existe pas.

Opinion que ne partage guère Theresa May, qui a déclaré que « les Britanniques ont voté pour quitter l’UE et le gouvernement leur donnera satisfaction en activant l’article 50 avant la fin mars, comme prévu. Le jugement d’aujourd’hui n’y change rien ». Mais rien n’est encore fait.

Wait and see…

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Philippe Randa,
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