2 juillet 2016

Jean Pache, le « Tartufe de la Révolution »

Par Bernard Plouvier

Fils d’un Suisse de la domesticité du maréchal Charles de La Croix de Castries, Jean, Nicolas Pache (1746-1823) se distingue très jeune par son intelligence et sa puissance de travail. C’est un fils d’immigré, naturalisé. En 1774, il rencontre le mathématicien Gaspard Monge, avec lequel il se lie d’une amitié durable.

Précepteur des enfants du maréchal de Castries durant les années 1774-1780, il devient premier secrétaire du ministère de la Marine quand le maréchal succède, en octobre 1780, au remarquable Alexandre de Sartine, qui n’a plus l’heur de plaire au couple royal.

Cet emploi s’explique aisément. Pache est destiné à épouser Marie-Marguerite Valette, fille doublement adultérine du maréchal et de Marie-Anne de Noailles, tous deux mariés. Les noces sont célébrées en 1776. Grâce à la protection du Suisse Necker, il est aussi, de 1781 à 1784, Contrôleur de la Maison du roi, en plus de son emploi à la Marine.

La santé de son épouse étant compromise, le couple et ses deux enfants séjournent en Suisse, de 1784 à 1786, l’année où Pache devient veuf… De nombreux historiens ont inventé des raisons politiques à cette semi-retraite, alors même que Pache continue à percevoir les émoluments de fonctions qu’il n’exerce plus. La démission du maréchal de Castries en septembre 1787 le rend à ses chères études et à la gestion de la fortune laissée par son épouse défunte.

Les débuts de la Révolution ne le perturbent guère. Il profite même de l’aubaine, en août 1791, achetant une abbaye ardennaise, vendue comme Bien National. Il fréquente quelques salons, dont celui de Madame Roland et s’inscrit aux « Jacobins » à la fin de 1791. Il crée, en janvier 1792, la Société patriotique de la très bourgeoise section du Luxembourg. Le 24 mars 1792, Jean-Marie Roland, devenu ministre de l’Intérieur, l’appelle comme chef de cabinet. En mai, le général Joseph Servan, l’appelle à la même fonction au ministère de la Guerre, jusqu’au 13 juin.

Pache accomplit une mission à l’Arsenal de Toulon en septembre 1792, puis est nommé ministre de la Guerre, le 6 octobre (il ne prend ses fonctions que le 18) : Danton et Dumouriez ont patronné son élévation au ministère. On attend beaucoup de ses qualités d’organisateur, or il laisse les choses aller leur train et le Secrétaire général du ministère, le prêtre défroqué Xavier Audouin, prévarique allègrement, tout en jouant à « l’ultra-révolutionnaire »… Pour mieux contrôler son ministre, Audouin épouse Marie-Sylvie Pache, le 15 janvier 1793. Le 4 février, Georges Danton, Lazare Carnot et Charles Dumouriez, lassés de l’incurie et de la corruption qui règnent en son ministère, exigent de Pache sa démission.

Très populaire aux « Jacobins » et soutenu par les « Brissotins », « Papa Pache » est élu maire de Paris, le 14 février 1793, et fait inscrire sur tous les monuments publics la formule de Momoro, qu’il a complétée de façon radicale : « Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ». Toujours dominé par son gendre qui joue la carte des « ultra-révolutionnaires » (Vincent, Ronsin et Momoro) et s’entendant fort bien avec Chaumette, en dépit des mœurs homosexuelles de ce dernier, Pache s’attaque violemment à ses anciens protecteurs « girondins », à la barre de la Convention Nationale, le 15 avril, puis il s’en prend à Danton et ses amis, enfin, le 29 juin 1793, il attaque ceux des « enragés », qui concurrencent la coterie de son gendre.

Une relation d’affaires d’Audouin, Jacques Hébert, dans son Père Duchesne, estime, au début de mars 1794, que Pache devrait être nommé « Grand juge » de la République, soit une fonction mixant celles de Président et de super-ministre de la Justice. Cette proposition pourrait être tournée en plaisanterie ; elle est vécue comme une provocation par les Conventionnels.

Maximilien Robespierre refuse le principe de son arrestation, mais accepte son remplacement à la mairie par son féal le belge Jean-Baptiste Fleuriot-Lescot, le 10 mai 1794. La veille au soir, chez Monge, Marie-Sylvie Audouin-Pache s’en est prise violemment à Lazare Carnot à propos de l’exécution d’Hébert, le 24 mars. Carnot se venge, le 10 mai, en faisant incarcérer Pache et le couple Audouin, ainsi que les meneurs survivants des « ultra-révolutionnaires ». Robespierre protège Pache et sa famille : le trio sera libéré, de façon séparée, du 14 au 20 thermidor II (du 1er au 7 août 1794).

Après l’insurrection « montagnarde » du 1er prairial III (20 mai 1795), Pache et son gendre sont de nouveau décrétés d’arrestation, le 24 mai, et ne sont libérés que par l’effet de l’amnistie votée, par les conventionnels, le 26 octobre. Pache fait quelques apparitions au club du Panthéon, se déclare proche des idées de Babeuf, mais il ne s’engage plus dans les luttes politiques et se retire dans sa belle abbaye.

Ce n’est pas sans raison qu’on l’a surnommé le « Tartufe de la Révolution ». En 1803, à l’approche de la soixantaine et nanti d’une fortune non négligeable, il a repoussé poliment, par l’intermédiaire de Monge, l’unique offre d’emploi que Bonaparte lui ait faite. Il meurt de pleurésie en 1823, sans avoir été inquiété par les hommes de la Restauration.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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