7 juillet 2017

Interview d’Alexandre del Valle

Par Lionel Baland

Alexandre del Valle, essayiste et géopolitologue franco-italien, a écrit plusieurs ouvrages traitant de la problématique de l’islam. Lionel Baland l’a rencontré pour Eurolibertés en présence du député belge élu sur les listes du Parti Populaire Aldo Carcaci.

Aldo Carcaci et Alexandre del Valle

Aldo Carcaci et Alexandre del Valle.

Selon vous, l’objectif principal de la guerre en Irak est la création d’un Kurdistan indépendant…

Alexandre del Valle : Oui, en détruisant l’État irakien du parti Baas.

La Turquie n’a pourtant pas intérêt à voir naître cet État indépendant. Pourquoi la Turquie a-t-elle combattu en Syrie le régime de Bachar el-Assad alors que cela peut conduire à l’indépendance du Kurdistan syrien ?

Alexandre del Valle : La Turquie depuis Recep Tayyip Erdoğan n’est plus celle d’autrefois. Erdogan veut que la Turquie redevienne un peu l’Empire ottoman et il est une sorte de sultan qui défend les musulmans sunnites du monde entier. La Turquie désire jouer, à l’instar du Pakistan et de l’Arabie Saoudite, le rôle de leader des sunnites.

Si vous êtes le leader des sunnites, vous êtes contre la pénétration iranienne en Irak et contre le pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie, car cela constitue l’axe chiite que vous combattez. Cela suit donc une certaine logique. Mais cela semble contradictoire par rapport à la situation passée car autrefois la Turquie, à l’époque kémaliste et militaire, ne résonnait pas en tant que pays sunnite. Avant, la Turquie était l’alliée de Bachar el-Assad, car, à l’époque, les militaires ne raisonnaient pas en tant que sunnites, mais comme des nationalistes. Et beaucoup étaient Alevis ou francs-maçons. Ils n’étaient pas du tout religieux.

Depuis que les militaires ont été renversés et que les généraux sont devenus islamistes, la Turquie n’a plus du tout la même politique internationale qu’auparavant. Elle avait une diplomatie laïque et nationaliste qui s’entendait même avec Bachar el-Assad ou son père ou l’Iran chiite. Aujourd’hui, la Turquie est pan-islamiste et se veut le chef du monde sunnite et, par conséquent, elle soutient les sunnites, donc les rebelles en Syrie.

Recep Tayyip Erdoğan est-il un nationaliste grand turc ou un islamiste ?

Alexandre del Valle : Les deux. Ce qui caractérise l’idéologie, intitulée « vision nationale » (Millî Görüş), qui a formé Erdogan lorsqu’il était jeune, c’est un islamisme à la turque. C’est un vrai islamisme, mais au sein duquel la Turquie serait le concurrent des Arabes. Elle serait le vrai noyau de l’islam mondial alors que les Arabes, eux, prétendent être le cœur de l’islam. C’est un mélange de nationalisme turc très arrogant et très impérial, pan-turquiste et islamiste. Erdogan fait la synthèse national-islamiste, alors que les militaires kémalistes étaient contre l’islamisme. Ils étaient nationalistes laïques.

Erdogan s’inspire-t-il malgré tout de Mustafa Kemal Atatürk ?

Alexandre del Valle : Non. Si ce n’est à l’envers.

Comment expliquez-vous l’évolution des relations entre la Russie et la Turquie ?

Alexandre del Valle : Cela montre que le monde multipolaire ne relève pas du manichéisme ou du moralisme. La Turquie a agressé la Russie en abattant un avion russe. Une crise en a résulté, ainsi que des représailles économiques et diplomatiques. Tout à coup, Erdogan est ennuyé. Il y a une tentative de le renverser. Le président russe Vladimir Poutine, qui est un grand stratège et qui est patient, s’est dit « Voilà une occasion de faire en sorte qu’Erdogan revienne dans mon giron, afin d’ennuyer les Occidentaux. Ceux-ci ont créé la Turquie pour endiguer la Russie, donc en tant que Russe, je n’ai pas intérêt à me brouiller longtemps avec les Turcs. J’ai intérêt à ce que les Turcs me mangent dans la main ». Il a donc averti Erdogan et lui a sauvé la mise et ce dernier est venu le remercier. Il est devenu le copain de la Russie. Ils n’ont pas les mêmes intérêts, mais ils se sont dit qu’ils en ont ras le bol des Occidentaux qui les ont déçus et ont décidé de s’entendre, même s’ils ne sont pas d’accord sur la Syrie. Ils se sont partagé pragmatiquement le gâteau en Syrie : « Toi, tu peux aller là. Et moi, je peux aller là ». Ils se sont entendus pragmatiquement en grande partie pour lutter contre l’hégémonie occidentale.

Aldo Carcaci : Lorsque j’ai rencontré Bachar el-Assad, il m’a dit personnellement, en réponse à ma question, qu’il se méfie fortement des Turcs, mais pour l’instant la Turquie est un allié.

Pourquoi Angela Merkel a-t-elle ouvert les frontières en 2015 aux migrants ?

Alexandre del Valle : La Chancelière allemande Angela Merkel ne résonne pas comme les dirigeants français. L’Allemagne souffre d’une forte dénatalité. Les Allemands ne font plus d’enfants et ce pays a besoin de travailleurs car l’Allemagne est un producteur de biens manufacturés. L’Allemagne est un pays mercantiliste. Ce pays n’a pas les mêmes intérêts que la France. Elle s’est dit que les migrants clandestins constitueront une main-d’œuvre assez bien formée, car les migrants ne sont pas nécessairement des analphabètes et arrivent à se payer le voyage. Ces gens ne sont pas issus des milieux les plus pauvres. Elle s’est dit qu’elle disposera d’une main-d’œuvre à bon marché qu’elle régularisera. De plus, il y a le côté allemand hara-kiri afin de se faire pardonner – en acceptant des migrants – le passé du pays.

Divers pays musulmans se disputent-ils le contrôle du financement des mosquées en Europe ?

Alexandre del Valle : Oui, l’Arabie Saoudite, la Turquie, le Maroc, le Qatar, l’Algérie, le Pakistan, les Frères musulmans se disputent le contrôle et le financement des mosquées en Europe.

Quelle est la position des Marocains ?

Alexandre del Valle : Ils sont très souvent d’accord avec l’Arabie Saoudite. Ils ont un double jeu. Ils se disent modérés mais ils sont très alliés à l’Arabie Saoudite.

Pour les musulmans est-il pire d’être chrétien ou athée ?

Alexandre del Valle : Athée est le pire. Les chrétiens peuvent payer un impôt et se soumettre en étant inférieur. Les athées ne peuvent pas être épargnés s’ils ne se convertissent pas.

Pourquoi les Yézidis sont persécutés ?

Alexandre del Valle : Ils sont considérés comme païens et c’est ce qu’il y a de pire pour l’islam, au même titre que les athées.

Pourquoi l’État islamique n’attaque-t-il pas Israël ?

Alexandre del Valle : Je pense que la thèse diffusée dans le public qui veut qu’Israël et l’État islamique soient alliés relève des thèses complotistes. La raison est que le Hamas ne tolère pas de concurrence et a empêché l’État islamique d’entrer dans la zone palestinienne.

Aldo Carcaci : Ils ont leurs propres terroristes. Ils ne veulent pas de concurrence. Des terroristes palestiniens tuent des Israéliens à l’arme blanche.

La Russie est considérée comme la menace principale pour l‘Europe, pourquoi ?

Parce que la Russie pourrait donner une force à l’Europe. Les États-Unis ne contrôleraient plus l’Europe si elle était alliée à la Russie.

Si la Russie était dirigée par un président ou Premier ministre faible, quelles en seraient les conséquences ?

Les conséquences seraient très dommageables pour la Russie qui serait attaquée par les Soros et les milieux occidentaux. C’est ce que craint Vladimir Poutine : une révolution comme en Ukraine qui place des pro-occidentaux au pouvoir.

Comment expliquez-vous les positions de nombreux intellectuels de gauche radicale ?

Les intellectuels d’extrême gauche sont cohérents. Leur but est de détruire les nations, l’État bourgeois, le capitalisme. Ils veulent une société sans classes, sans races, sans religions. Ils ont des intérêts communs momentanés avec les islamistes en vue de détruire l’Occident judéo-chrétien.

Pourquoi la population de certains pays musulmans se radicalise-t-elle ?

Parce que l’Arabie Saoudite dépense depuis de nombreuses années des sommes importantes dans sa propagande religieuse. De plus, elle contrôle les lieux saints, donc la doctrine musulmane.

Les islamistes sont-ils divisés ?

Ils sont très divisés, comme toute entité.

Ils ne peuvent donc pas gagner ?

Ils peuvent gagner, car nous sommes affaiblis. Mais, en tout cas, ils continueront à être divisés durablement et ils s’entre-tueront entre eux.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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