24 juin 2017

Le quorum est-il démocratiquement correct ?

Par Aristide Leucate

 

Le vote suffit-il, en démocratie, à fonder la légitimité de l’élu ? Bien plus, le simple fait d’obtenir la majorité des suffrages exprimés, lors même qu’un nombre significatif d’électeurs se sont purement et simplement abstenus de voter, doit-il automatiquement emporter, en l’absence de quorum légalement requis, l’élection du candidat ? La question de l’exigence du quorum de participation s’est posée à nouveau, en France, à l’issue des dernières élections législatives (singulièrement au second tour d’icelles) qui ont inauguré un niveau jusque-là inconnu d’abstention électorale. Un peu plus de 57 % des électeurs inscrits ont boudé les urnes ce dernier dimanche 18 juin, jetant un doute sérieux sur la représentativité réelle de la nouvelle Assemblée nationale.

On se rappellera qu’en Italie, le 17 avril 2016, le quorum de 50 % de participation exigé pour valider le référendum sur l’avenir des plateformes pétrolières off-shore n’avait pas été atteint, seulement 32 % des votants ayant effectué le déplacement jusqu’aux bureaux de votes. À l’époque, le Premier ministre, Matéo Renzi avait explicitement appelé à l’abstention, laquelle équivalait, en l’espèce, à un véritable « non ».

L’enjeu n’était pas mince sur le plan environnemental et économique car il s’agissait, précisément, de mettre en balance la protection des littoraux de la péninsule avec la possibilité offerte aux compagnies pétrolières de gisements de poursuivre le plus longtemps possible l’exploitation des fonds marins. Le « oui » à la limitation de la durée d’exploitation semblait en passe de l’emporter, les quelques semaines précédant la votation. Le gouvernement mit alors tout son poids politique pour décrédibiliser un scrutin initialement sollicité par les régions où se concentraient ces plateformes off-shore. Bien plus, le chef de gouvernement italien se servit de ce référendum comme d’un plébiscite à sa politique, voire comme d’une question de confiance. Le nombre de « oui » étant insuffisant, l’abstention massive a clairement voulu souligner, qui plus est, l’inutilité de ce référendum.

Le quorum de participation est prévu par l’article 75 de la Constitution italienne du 27 décembre 1947 qui dispose ainsi qu’« un référendum populaire est fixé pour décider l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant valeur de loi, lorsque cinq cent mille électeurs ou cinq Conseils régionaux le demandent. […] La proposition soumise au référendum est approuvée si la majorité des électeurs a participé au scrutin, et si la majorité des suffrages valablement exprimés a été atteinte ».

D’aucuns estiment que cette règle du quorum serait anti-démocratique dans la mesure où elle priverait le citoyen de son choix de… s’abstenir de manière efficiente. D’autres, pensent au contraire qu’elle ne l’empêcherait nullement de s’abstenir, l’obligeant ainsi à faire preuve de discernement et de responsabilité civiques quant aux motifs qui le pousseraient à ne pas aller voter.

D’évidence, une telle règle se trouverait dépourvue d’utilité si le vote était obligatoire, à la condition, bien entendu, d’assortir celui-ci (éventuellement sanctionné par une amende) de la reconnaissance inconditionnelle du vote blanc. Mais, là encore, quid d’une majorité de votes blancs qui s’analyseraient comme le refus clairement… exprimé par les votants de se positionner en faveur de tel ou tel candidat ou d’opter pour un « oui » ou pour un « non » dans le cadre d’un référendum ? Dans cette hypothèse, la totalité du corps électoral se sera bien prononcée mais sans trancher, adoptant par ce vote blanc, une neutralité au mieux indifférente (sinon peut-être empreinte de lassitude), au pire emplie d’une sourde hostilité.

Bref, on s’aperçoit que l’institution du quorum ne résoudrait pas nécessairement l’impossible quadrature démocratique du cercle vertueux de la légitimité politique. Le phénomène abstentionniste pose, en effet, le problème crucial en régime démocratique de la synchronie entre légalité et légitimité, couple dialectique infernal dont les rapports peuvent aisément devenir diachroniques. Si la légalité est au fondement du droit, la légitimité est à la source de l’autorité. Il revient, en démocratie, de concilier ces deux égales exigences. Or, celle-ci est manifestement en crise lorsque l’une est surdéterminée par rapport à l’autre. L’État de droit libéral se satisfait pleinement de l’impératif éthico-procédural de la légalité, celle-ci se comprenant comme un devoir être d’où découlera la légitimité. Dans une tout autre perspective, celle préconisée par le juriste Carl Schmitt, par exemple, la légitimité apparaîtrait pourtant comme ressortissant de l’être concret du corps politique d’où jaillirait la légalité, ici renforcée par un incontestable surcroît d’autorité.

La démocratie oscille donc entre légitimité et légalité, ce qui revient à dire qu’elle atermoie constamment entre décision et discussion et que sa tendance est d’incliner vers celle-ci, retardant de ce fait l’avènement de celle-là. Précisément, l’abstentionnisme est une manière de prendre acte de la place disproportionnée de la légalité derrière laquelle, depuis quelques décennies, se retranche piteusement une élite « léthargocratique » (selon le syntagme éloquent du philosophe allemand, Peter Sloterdijk) qui a aliéné son pouvoir sans lequel elle ne peut plus asseoir son autorité.

C’est dire, en résumé, que l’instauration du quorum ne résoudrait guère les tares de l’abstentionnisme, sauf à compenser, de manière sporadique, un déficit d’autorité par un surcroît de légalité. Or, entre un mauvais vote contraint et une absence volontaire de suffrage, convient-il entre deux maux, de choisir le moindre. Faute de mieux.

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Philippe Randa,
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