26 septembre 2017

Hermann Bickler, autonomiste alsacien

Par Lionel Baland

 

Karl Goschescheck dirige la NEL-Verlag qui édite ou réédite des ouvrages liés à l’Alsace-Lorraine ou rédigés par des auteurs émanant de cette entité. Cette maison d’édition se lance désormais dans la publication de traductions en français d’ouvrages rédigés en allemand, langue que la plupart des Alsaciens-Lorrains ne maîtrisent plus. Dans ce cadre, paraissent pour la première fois en langue française, sous le titre Un pays particulier : Souvenirs et considérations d’un Lorrain, les mémoires de l’autonomiste alsacien-lorrain Hermann Bickler (1904-1984). Lionel Baland a rencontré à cette occasion Karl Goschescheck pour Eurolibertés.

Carte de l’Alsace-Lorraine en 1905.

Carte de l’Alsace-Lorraine en 1905.

Qui est Hermann Bickler ? Quel intérêt présente pour le lecteur actuel ses mémoires ?

Hermann Bickler a été l’un des principaux dirigeants du mouvement autonomiste alsacien-lorrain de l’entre-deux-guerres. Initialement membre de la Landespartei du Dr Karl Roos (1878-1940), au programme résolument autonomiste, il en a fondé l’organisation de jeunesse, la Jungmannschaft, qui s’est ensuite émancipée et est devenue un mouvement à part entière.

À la différence de la plupart des autres mouvements autonomistes – reflétant l’ensemble de la diversité de l’échiquier politique, des communistes à la droite – qui ont conduit la lutte essentiellement dans le domaine politique et électoral, la Jungmannschaft a entretenu une réflexion d’ensemble sur la question alsacienne-lorraine, considérant qu’il s’agissait, avant tout, non pas de gagner des élections, mais de sauvegarder autant que faire se peut l’identité nationale, germanophone, du peuple alsacien-lorrain, partant du constat que l’État français visait, depuis la conquête du pays au XVIIe siècle, à détruire systématiquement cette identité.

Pour la Jungmannschaft et Hermann Bickler, la réponse à cette menace ethnocide passait par une « résistance généralisée », sans concession aucune, dans tous les domaines de la vie.

Ces Mémoires sont intéressantes pour le lecteur contemporain à plus d’un titre. Tout d’abord, Hermann Bickler est le dirigeant autonomiste alsacien-lorrain ayant été le plus diabolisé par la propagande française avant et après la IIe Guerre mondiale, et on découvre à la lecture du présent ouvrage un homme politique qui ne correspond pas à la caricature que l’on en a faite.

Ensuite, la plupart des ouvrages traitant du mouvement autonomiste alsacien-lorrain de l’entre-deux-guerres et disponibles en langue française ont été écrits par divers historiens qui en donnent essentiellement une vision extérieure, alors que ces mémoires de Hermann Bickler nous plongent à l’intérieur du mouvement. Ce n’est pas le récit d’une tierce personne qui observe après coup, mais celui d’un acteur direct qui nous explique ce qu’il ressent au moment présent et pourquoi il agit d’une manière ou d’une autre.

Et puis finalement, à l’heure où le régionalisme et l’autonomisme ressurgissent en Alsace, voire en Lorraine thioise (Moselle), et que la Catalogne rêve de s’émanciper, nous pouvons constater que la stratégie de la Jungmannschaft, ayant pour objectif de mettre l’accent sur la sauvegarde à tout prix de l’identité linguistique et culturelle germanophone, est d’actualité.

Comment expliquer l’agitation autonomiste durant l’entre-deux-guerres ?

Initialement, l’Alsace et la Lorraine étaient des provinces allemandes. Elles faisaient partie du Saint Empire Romain Germanique depuis sa création. Tandis que l’Alsace était très morcelée et – hormis la région de Belfort – presque totalement germanophone, la Lorraine était un pays bilingue – le tiers nord-est était germanophone, tandis que le reste était francophone – dont la majeure partie appartenait au Duché de Lorraine.

La France a conquis militairement l’ensemble – c’est-à-dire contre l’avis des populations locales ! – entre le milieu du XVIe et la fin du XVIIIe siècle : Metz, Toul et Verdun en 1552, la majorité de l’Alsace en 1648 suite à la Guerre de Trente Ans, Strasbourg par un coup de force en 1681, la Lorraine thioise petit à petit au XVIIe siècle, le Duché de Lorraine en deux temps entre 1736 et 1766 et les quelques seigneuries restantes (Riquewihr, Créhange, Sarrewerden) et Mulhouse suite à la Révolution française.

Révolution française pour laquelle les Alsaciens et les Lorrains thiois (Mosellans) ont eu une attirance idéologique indéniable, tout en conservant cependant leur identité germanophone, et ce, malgré une volonté déclarée – déjà à l’époque – des autorités françaises d’éradiquer cette « langue de barbares ».

L’unité allemande réalisée par Bismarck en 1871 a alors embarqué de force les Alsaciens et les Lorrains thiois, au départ pour des raisons de simple stratégie militaire. La période du Reichsland a cependant permis à l’Alsace-Lorraine de souffler et de se ressourcer culturellement pendant un demi-siècle, et même de largement s’émanciper politiquement par l’obtention d’une presque autonomie en 1911.

Lorsqu’en 1918, la France réenvahit le pays et le réannexe – également de force ! –, Paris décide unilatéralement que cette autonomie régionale doit disparaître et reprend allègrement son plan de destruction progressive de l’identité nationale des Alsaciens-Lorrains, ce qui provoque quelques remous qui se transforment en rébellion presque ouverte lorsque Édouard Herriot tente de supprimer le Concordat.

Il s’agit donc de deux réactions face à une volonté d’hégémonie culturelle et idéologique (laïque) : l’une nationale afin de défendre la langue allemande, et l’autre confessionnelle – quoique unitaire entre protestants et catholiques ! – pour s’opposer à la séparation de l’Église et de l’État. La France a cédé – au moins provisoirement – sur la question religieuse. Elle est restée inflexible sur la question linguistique.

Hermann Bickler est né en Moselle, dans le Bitscherland (Pays de Bitche). On parle souvent pour son époque, mais aussi de nos jours, d’autonomisme alsacien. La Lorraine (ou Moselle) est ainsi souvent oubliée. Quid de la Lorraine ? Faut-il parler de Lorraine ou de Moselle ?

Le terme de « Moselle » n’est pas une dénomination historique traditionnelle pour ce territoire ; il a été inventé (en prenant le nom du fleuve, comme pour les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin) lors de la Révolution française selon le même principe que le nom des autres départements.

On peut noter au passage que ce territoire a été remodelé en 1870/1871. Hormis les arrondissements de Metz et Château-Salins – francophones –, la majeure partie de ce qu’il est convenu d’appeler le département de la Moselle correspond à la partie historiquement germanophone de la Lorraine et notamment ce qu’on appelait le « Baillage d’Allemagne » dans le cadre du Duché de Lorraine. Cette partie de la Lorraine s’appelle traditionnellement « Lorraine allemande » ou « Lorraine thioise », ce qui signifie la même chose.

L’observateur extérieur a par nature tendance – et c’est humain – à simplifier ; c’est pourquoi lorsqu’on parle de la Lorraine dans son ensemble, on voit essentiellement Nancy et on oublie souvent le tiers nord-est germanophone. De même, lorsqu’on parle de l’Alsace-Lorraine, on se focalise généralement essentiellement sur l’Alsace.

Un des autres intérêts de l’ouvrage d’Hermann Bickler est notamment de replacer la Lorraine thioise dans ce contexte et d’expliquer le cas particulier souvent trop méconnu de la Lorraine.

 

Cet ouvrage présente-t-il un intérêt uniquement pour les Alsaciens-Lorrains de sensibilité autonomiste, ou a-t-il une portée plus générale ?

L’intérêt de cette publication ne se limite naturellement pas aux Alsaciens-Lorrains de sensibilité autonomiste. Il apporte à tous les Alsaciens et à tous les Lorrains un témoignage important et inédit sur une page, certes proche, mais méconnue, car souvent occultée, de leur histoire, et pas seulement à propos de l’entre-deux-guerres !

Il intéresse tout naturellement les ressortissants de peuples ayant eu un destin similaire à celui du peuple alsacien-lorrain. Je pense bien naturellement entre autres aux Bretons, aux Corses, aux Basques, aux Savoisiens, aux Flamands, aux Catalans, voire aux peuples d’Outre-mer.

Mais il intéressera finalement tout lecteur sensible au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, voire tout simplement aux Droits de l’Homme, parce que les causes alsacienne-lorraine, bretonne, corse, basque, savoisienne, flamande, catalane etc. sont avant tout une question de Droits de l’Homme.

Que révèle la relation d’amitié qu’Hermann Bickler entretenait avec l’écrivain Louis-Ferdinand Céline ?

Les Mémoires d’Hermann Bickler rappellent que deux intellectuels issus de deux peuples que la guerre aurait pu opposer de manière absolue ont été capables de développer une amitié sincère par-delà les inimitiés nationales traditionnelles, sans que ni l’un ni l’autre ne renoncent à son identité propre.

Hermann Bickler, condamné à mort par l’État français au sortir de la IIe Guerre mondiale et qui a trouvé refuge en Italie, est généralement considéré comme comptant parmi les plus radicaux des autonomistes. Il affirme pourtant dans ses mémoires avoir contribué à éviter la peine de mort à des groupes de résistants anti-nationaux-socialistes alsaciens, ainsi qu’avoir extirpé la résistante française Geneviève de Gaulle (la nièce du Général) des camps de concentration. Comment expliquer cette attitude ?

Hermann Bickler est le dirigeant autonomiste alsacien-lorrain le plus décrié parce que c’est aussi celui qui a poussé la réflexion identitaire alsacienne-lorraine jusqu’au bout et qui a entendu apporter une réponse globale, une « résistance généralisée » à la destruction planifiée de l’identité nationale de son pays. C’est dans ce contexte qu’il faut aussi comprendre ses relations avec le mouvement national breton, et son amitié avec le théoricien Olier Mordrel, ainsi qu’avec le mouvement national flamand.

Comme une grande partie des dirigeants de la Landespartei, Hermann Bickler, était conscient du fait d’être non seulement Lorrain et Alsacien-Lorrain, mais au-delà de cela, d’être un Allemand et c’est tout naturellement qu’il était un nationaliste allemand, dont certains points de vue recoupaient certes ceux du national-socialisme, mais sans qu’il y adhère dans sa globalité.

Pour lui, il allait de soi – surtout après la répression française subie dans les années trente – que l’Alsace-Lorraine retourne à l’Allemagne. Il n’a pas choisi que l’Allemagne soit à ce moment-là gouvernée par la dictature nationale-socialiste. Il a néanmoins considéré – et il l’explique dans l’ouvrage – que son devoir était de faire avec pour pouvoir défendre autant que faire se pouvait les intérêts alsaciens-lorrains.

C’est dans cet état d’esprit qu’il faut comprendre ses interventions en faveur de tels ou tels compatriotes alsaciens-lorrains, voire d’autres personnes comme Geneviève de Gaulle, ou aussi Céline qu’il a aidé à passer au Danemark.

Avez-vous d’autres livres en préparation au NEL-Verlag ?

Nous avons plusieurs ouvrages en préparation, des romans historiques ayant trait à l’Alsace tant en allemand qu’en traduction française, mais aussi – vraisemblablement pour la fin de l’année prochaine – un livre sur la politique française en Alsace-Lorraine dans les années vingt.

La prochaine publication prévue en français est Richenza ou la veuve juive d’Edward Sorg, un roman historique racontant un amour impossible et dont l’action se déroule à Strasbourg au XIVe siècle.

Les ouvrages du NEL-Verlag sont disponibles sur le site Internet www.nel-verlag.com et sur Amazon.

Source

BICKLER Hermann, Un pays particulier : Souvenirs et considérations d’un Lorrain, NEL-Verlag, Strasbourg, 2017.

Un pays particulier : Souvenirs et considérations d’un Lorrain.

Un pays particulier : Souvenirs et considérations d’un Lorrain.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

 

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