9 juillet 2016

Les gouvernants sont des gérants de la globalo-mondialisation

Par Bernard Plouvier

Vincent Coussedière, auteur d’Éloge du populisme, est un philosophe qui vient de passer le cap de la cinquantaine ; il récidive en 2016 avec un second livre sur le sujet (Le retour du peuple. An I, paru au Cerf).

Deux remarques préliminaires paraissent nécessaires au lecteur qui veut aborder la prose, de style parfait, dégagé de toute fioriture académique, de l’auteur… qui est l’un des rares penseurs politiques français du moment à être intéressant et original.

Qu’est-ce que l’élite d’un peuple ? Si l’on préfère formuler autrement la question : un élu, fût-il appelé à de très hautes fonctions, est-il obligatoirement doté du courage et du caractère, voire simplement de l’intelligence indispensables au gouvernant ? La notion « d’élite politique » est, en soi, risible. Jamais la politique ne devrait être une profession, mais une fonction temporairement exercée par un individu ayant fait preuve d’une remarquable efficacité dans son activité professionnelle. La politique n’est pas un métier : ce devrait être l’un des fondements de la mentalité populiste.

Qui gouverne en Occident depuis le début des années 1980 ? Et de façon opposée, quel type d’homme gouverne en Russie et en Chine débarrassées de l’immondice communiste (ou marxiste, au gré de chacun… encore qu’il existe des clowns pour prétendre que la pure doctrine de saint Karl Marx n’a jamais été appliquée, ce qui est entièrement faux : elle l’a été en Russie, de 1919 à 1921, et « Lénine » a eu recours à la Nouvelle Économie Politique pour éviter l’implosion de l’URSS) ?

Après avoir répondu à ces deux questions, le lecteur peut aborder le premier livre de l’auteur qui s’intéresse au vide politique (et à celui non moins profond du discours politique) dans la France, des années Mitterrand à nos tristes jours. M. Coussedière a parfaitement compris que c’est Mitterrand qui a sciemment lancé la Nation française dans l’économie globale et la mondialisation politique, raciale et pseudo-culturelle (alors qu’à l’époque, Helmut Schmidt hésitait à y lancer l’Allemagne de l’Ouest, comme le prouve la prose de Jacques Attali, cf. Verbatim-I).

Le monde occidental actuel est celui du consumérisme, de l’hédonisme, de la niaiserie : le triomphe de l’individualisme et du très court terme. Ce n’est nullement de façon innocente que les maîtres encouragent la multiplication des langues exotiques dans les pays où ils contraignent les autochtones à se laisser envahir, ainsi que la déstructuration des langues à diffusion quasi universelle : l’anglais devient le basic english, voire l’immonde bafouillage des blogs débiles du Net.

La définition du populisme par l’auteur est parfaitement exacte : c’est la réaction d’un peuple qui se sent trahi ou abandonné par la caste dirigeante, inepte, inapte et/ou corrompue. C’est une aspiration à renouveler le fonctionnement du couple Nation-État… « une errance », tant que le peuple n’a pas trouvé son chef ou lorsqu’il se laisse prendre aux rets d’un oiseleur, tel le démagogue Sarkozy – exemple pris par l’auteur.

La démagogie n’a jamais été que l’art de faire croire à un peuple qu’il pouvait obtenir (presque) tout, sans effort notable. Seuls les plus modernes des populistes ont soutenu le contraire, exigeant énormément d’efforts pour surmonter une profonde détresse morale, ce qui est bien plus grave qu’une crise économique : tels Mustafa Kemal « Atatürk », le Mussolini des années 1920, Adolf Hitler ou Raoul Perón. De nos jours, partout en Occident, les autochtones ressentent une angoisse de ce type, associant désillusions et déréliction, sensation de péril imminent et surtout la tristesse spécifique de la fin d’une ère historique.

À dire vrai, Sarkozy avait de bonnes idées, mais il n’a jamais osé les appliquer, pour l’excellente raison que, parvenu à l’Élysée, il a dû jouer son rôle de pion, de sous-ordre des titulaires actuels du Pouvoir dans les États de style de vie occidental : les maîtres du jeu économique. Les « gouvernants sont devenus des administrateurs » (les guillemets indiquent des citations de l’œuvre)… Plus exactement des gérants de la globalo-mondialisation, pratiquant, à l’instar de leurs spéculateurs de maîtres, la technique du pilotage sans visibilité.

Une critique que l’on pourrait faire à l’auteur est de n’avoir pas donné sa définition personnelle du mot Nation et de s’être contenté de celles d’autrui. Or, le problème sémantique devient un choix crucial de nos jours, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe occidentale et danubienne : faut-il ou non faire intervenir la notion d’origine raciale dans l’acception du mot Nation… Pour certains, l’étymologie le commande, comme le simple bon sens.

Si un peuple – soit un groupe de citoyens enregistrés par l’état civil – n’a pas d’identité propre et s’avère composite par les religions (suprême facteur de désunion), les usages (par exemple culinaires), voire la langue (combien d’immigrés ne font pas l’effort d’apprendre la langue du pays où ils viennent résider ?), la Nation est définie par des origines continentales et une histoire communes, des lois et des usages communs, soit des valeurs identitaires. L’auteur a raison : le populisme n’est pas obligatoirement corrélé au nationalisme.

Le populisme est la volonté d’un peuple d’être « gouverné selon son intérêt ». C’est le besoin de voir correctement géré le bien commun (cher à Platon, Aristote, Hobbes etc.), c’est la nécessité de créer les meilleures conditions pour la génération à venir, en se souvenant que les prévisions d’expert à long terme se révèlent constamment fausses.

Le populisme, c’est l’espoir pour un peuple de renaître, de recommencer une vie commune sur de nouvelles fondations. Le populisme, ce n’est nullement l’utopie égalitaire (c’est, au contraire, le leitmotiv des propagandes démagogiques). Le populisme, c’est se vouer à une grande aventure collective, à la fois politique, économique, sociale et culturelle… soit l’inverse de l’actuel individualisme stéréotypé, de l’individu standardisé.

Car le grand art de nos maîtres est de faire réagir de façon similaire l’Européen et le Nord-Américain, l’Africain ou l’Asiatique évolués. Léon XIII l’avait prévu, dès la fin des années 1890, comme divers sociologues, tels Gabriel Tarde cher à l’auteur ou l’inusable Gustave Le Bon.

C’est en cela que la mondialisation sous-culturelle et politique réalise le pire des totalitarismes : on impose une pensée unique, sans violence excessive, par le seul effet de la répétition ad nauseam d’une propagande niaise et optimiste, chez des êtres gavés de jouissances matérielles et de petits bonheurs. Hannah Arendt n’a donné qu’une définition très partielle du phénomène totalitaire, pour s’être limitée aux seuls cas marxiste et nazi. Le totalitarisme est le fait de prendre l’être humain dans sa globalité : travail, vie de relation et surtout croyances et pensée, le tout pour uniformiser l’expression de l’opinion publique. La violence n’est nullement nécessaire : au Moyen Âge, l’espoir du paradis et la peur des infernales souffrances éternelles suffisaient à imposer une croyance commune aux Européens.

On peut ne pas être d’accord avec l’auteur dans sa longue digression sur le gauchisme des années 1968 sq. – l’auteur était trop jeune pour avoir vécu cette époque de profonde hypocrisie et d’énorme malhonnêteté intellectuelle. Les ex-gauchistes de 1968 sq. se sont parfaitement intégrés au consumérisme mondialiste (l’exemple de Cohn-Bendit est particulièrement démonstratif). Le populisme n’a rien à voir avec ces fumistes.

De même, il est faux de considérer que la vichyssoise « révolution nationale livrait le pays à l’occupation allemande » : c’était un essai de technocratie, elle-même réactionnelle aux excès opposés d’une finance trop attirée par la spéculation boursière et monétaire et de la surenchère démagogique du Front populaire (dont les réformes furent à la fois très incomplètes et abominablement coûteuses). La société des années 1950 sq. – qui a fait le lit de la Ve République gaullienne, morte en 1969 – est directement issue des réformes proposées par le brain-trust qui entourait le maréchal Pétain, puis l’amiral Darlan.

Mais on ne peut qu’abonder dans le sens de l’ultime comparaison de l’auteur : être populiste en nos jours de toute puissance de la globalo-mondialisation, c’est faire acte de Résistance, comme certains l’ont fait, avec panache, dès 1940.

Finalement, ne pourrait-on pas imaginer que toute la question se résume à une simple équation : Populisme = Démocratie véritable… Soit le gouvernement POUR le peuple et non plus le gouvernement pour défendre les privilèges de la caste politicienne ?

Ce très bon ouvrage n’est pas un livre d’historien : il ne faut pas y chercher une référence aux populismes antiques (Pisistrate, les Gracques ou Jules César), médiévaux, modernes ou contemporains. C’est l’œuvre d’un penseur, à la fois philosophe et sociologue, qui – heureuse surprise – n’est ni un raseur, ni un fumiste. C’est une œuvre utile, car – chose exceptionnelle – elle fait réfléchir le lecteur, qu’il soit ou non en phase avec telle ou telle option de l’auteur. La clarté d’expression sert une pensée originale et honnête sur un sujet brûlant d’actualité, non seulement européenne, mais aussi dans toutes les parties du monde où la globalo-mondialisation exerce ses charmes vénéneux.

Note

Vincent Coussedière, Éloge du populisme, éditions Elya de Grenoble, 2012

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