30 mars 2017

La géopolitique, une arme de connaissance massive

Par Aristide Leucate

Tout le monde, ou presque, se pique de faire de la géopolitique ! Beaucoup, néanmoins, pour ne pas dire une ample majorité, confond uniment géopolitique et relations internationales. Tandis que la première peut se définir comme la prise en compte de l’espace pour appréhender la profondeur des phénomènes politiques, la seconde inclut une dimension temporelle et historique qui s’appuie sur le mouvement des hommes et des idées sur une aire territoriale donnée. Précisions que dans le monde anglo-saxon, l’on ne parle pas de géopolitique, mais de « relations internationales » (International Studies).

Si l’une se conçoit comme la géographie de l’histoire, se veut, pour ainsi dire, une histoire de la géographie, même s’il est recommandé de ne pas absolutiser cette binarité sommaire, étant donné que « la géopolitique est une des méthodes d’approche appartenant au champ interdisciplinaire des Relations internationales », selon Olivier Zajec, auteur de l’Introduction à l’analyse géopolitique, récemment paru aux éditions du Rocher.

Dans son ouvrage, il cite le regretté Hervé Coutau-Bégarie qui écrivait dans son monumental et indépassable Traité de stratégie : « les disputes territoriales sont le ressort le plus puissant de l’histoire interétatique ».

Par ce biais, proprement tellurique – encore que la mer ne soit nullement oubliée par les analyses géopolitiques –, la géopolitique a eu longtemps mauvaise presse soupçonnée, entre autres d’avoir fondé, les visées hégémoniques de l’Allemagne nazie. Si l’on prête à cette discipline des origines germaniques, il faut savoir que c’est à Leibniz que revient d’avoir formulé, le premier, en 1679, une authentique définition de la géopolitique conçue comme « l’étude de la terre en relation avec le genre humain, qui implique l’étude de l’histoire universelle et de la géographie humaine ». Ce terme sera repris au XIXe siècle par le suédois Rudolf Kjellén. Ce sera d’ailleurs fortement influencé par Friedrich Ratzel qui, dans une perspective ethno-géographique, défendra la notion « d’espace vital » notion dont on connaît la mauvaise fortune – bien qu’elle fût inspirée de la Doctrine Monroe de 1823. Pourtant, il ne fera que théoriser une symbiose nécessaire entre l’espace et les communautés humaines qui le composent.

Karl Haushofer accentuera d’autant plus cette définition que « chez lui, la géopolitique s’identifie avec le destin de l’Allemagne » (Zajec, 33). À la différence de l’américain Alfred Mahan qui centrera ses préoccupations sur la thalassopolitique comme outil de puissance. Il reviendra au britannique Halford Mackinder d’avoir mis à jour les logiques d’affrontement continentales et maritimes – dont s’inspirera d’ailleurs Carl Schmitt. Nicholas Spykman ne sera pas en reste avec sa théorie du « rimland », « champs de bataille permanent entre puissances mondiales » (Zajec, 42) qui auraient inspiré la doctrine du « containment » anticommuniste américain.

Mais l’on n’occultera pas les Français Paul Vidal de la Blache et Jacques Ancel qui privilégiaient, tout à la fois, le territoire comme milieu naturel de ses habitants et délimitation de ce même territoire par la frontière « envisagée comme produit de l’action humaine, et non pas seulement héritage ‘‘naturel’’ de la géographie ». Ce faisant, ils empruntaient le sillon d’une tradition historico-nationaliste française que des auteurs comme Renan ou Jacques Bainville s’étaient employer à creuser pour marquer leur différence d’avec l’école allemande.

C’est dire que la géopolitique est loin d’être un corps de règles et de principes parfaitement structurés et homogènes pouvant prétendre, qui plus est, à une exacte et rigoureuse scientificité. L’on pourrait dire qu’il y a autant de conceptions géopolitiques que d’auteurs ou de penseurs de l’objet géopolitique, celles-là dépendant étroitement des vues du monde défendues par ceux-ci.

Nous laisserons le dernier mot à Olivier Zajec dont nous recommandons chaudement son Introduction à la géopolitique comme manuel d’interprétation du monde. Ainsi, écrit-il, « nous comprenons que la géographie (et ses données physiques) demeure l’axe fondamental qui ordonne le discours géopolitique, mais aussi que ce dernier ne peut négliger les jeux de représentations mentales profondes entretenues par les peuples et les structurations culturelles et politiques qui les fondent. (…) Géo-historique dans ses fondements, elle est politique dans ses fins et repose sur des outils d’analyse propres. Mais elle sollicite en permanence les autres savoirs et correspond donc, en sa multidisciplinarité même, à une méthode d’approche plutôt qu’à une science ».

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Philippe Randa,
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