La fĂ©odalitĂ© avait Ă©tĂ© un compromis entre le mode de gouvernement de lâEmpire romain et les lois franques (car les CapĂ©tiens, tout comme les MĂ©rovingiens et les Carolingiens, Ă©taient des Francs). LâEmpire romain nâavait jamais Ă©tĂ© centralisĂ© et ne connaissait mĂȘme pas vraiment la notion dâĂ©tat. Les peuples les plus divers vivaient sous une pax romana doublĂ©e dâune pax christiana, dont le pape et lâempereur Ă©taient les arbitres.
Les historiens modernes ont cherchĂ© avec passion et dĂ©couvert avec dĂ©lices, dans chaque Ă©vĂ©nement, la naissance et lâaffirmation du sentiment national. Pour en tirer aussitĂŽt une justification Ă lâextension du pouvoir royal, Ă laquelle quiconque sâoppose est considĂ©rĂ© comme un traĂźtre. Ils ont Ă©tĂ© aidĂ©s par les rois eux-mĂȘmes, et par lâintense propagande qui suivit, par exemple, la bataille de Bouvines, bataille fĂ©odale pourtant, dont le caractĂšre national est plus que douteux, pour ne pas dire introuvable.
Câest toutefois Ă cette Ă©poque quâon commence Ă parler non plus du roi des Francs, mais du roi de France. Et que le roi commence Ă se dire « empereur en son royaume », selon un principe Ă©noncĂ© en 1256 par Jean de Blanot : « Rex FranciĂŠ in regno suo princeps est. »
On peut dire que la notion de souverainetĂ© supplante lâidĂ©e de suzerainetĂ©. Comme tout autre, le rĂ©gime fĂ©odal Ă©tait appelĂ© Ă Ă©voluer, voire Ă disparaĂźtre. LâĂ©tat national centralisĂ© nâĂ©tait toutefois pas la seule façon dâen sortir. Depuis la Grande Charte, lâAngleterre a Ă©voluĂ© vers une monarchie au pouvoir limitĂ©. Le monde germanique a conservĂ© une organisation de style fĂ©odal, faite dâun agrĂ©gat dâĂ©tats de nature et de taille diverses, sous lâautoritĂ© dâun empereur Ă©lu. Quant au roi de France, il a trouvĂ© plus commode de confisquer les prĂ©rogatives (et les biens) de tous ceux qui se trouvaient au-dessous de lui ; mais aussi de sâaffranchir de toute lĂ©gitimitĂ© supĂ©rieure, quâelle fĂ»t celle du pape ou celle de lâempereur. Philippe le Bel, artisan impitoyable de cette Ă©volution, a portĂ© un coup fatal Ă lâidĂ©e de chrĂ©tientĂ©, et donnĂ© Ă lâEurope le funeste exemple de lâabsolu national et de la soumission des peuples aux dĂ©crets du gouvernement. Le roi, disaient ses lĂ©gistes, Ă©tait « source de toute loi ». Le roi a disparu, mais lâidĂ©e est restĂ©e.
Bien du chemin a Ă©tĂ© parcouru depuis que le pape avait sacrĂ© PĂ©pin le Bref, et depuis le temps oĂč Charlemagne quĂ©mandait la reconnaissance de lâempereur (quâil nâobtint jamais). Et depuis lâĂ©lection du premier roi capĂ©tien par ses pairs. Mais si la noblesse qui lâa Ă©lu est fabriquĂ©e par le roi lui-mĂȘme, et si ni les papes, ni les empereurs ne font le roi, dâoĂč tient-il sa lĂ©gitimité ? Pour rĂ©pondre Ă cette question, la seule solution est dâentrer en extase dans la mystique nationale (colorĂ©e au besoin de religiositĂ©).
Pour asseoir son pouvoir, Philippe le Bel, esprit cruel et rapace, mais pratique, a inventĂ© une institution qui aurait pu devenir un des Ă©lĂ©ments dâune monarchie Ă©quilibrĂ©e : les Ă©tats gĂ©nĂ©raux. La premiĂšre de ces assemblĂ©es, rĂ©unie en 1302, fut faite sur mesure pour entĂ©riner ses dĂ©cisions : le roi ne consultait donc que lui-mĂȘme. Mais, Ă la longue, les institutions sâaffirment et, tout comme les rois, tirent leur lĂ©gitimitĂ© de leur histoire. Il nâen sera pas ainsi. Les premiers Ă©tats gĂ©nĂ©raux furent couchĂ©s aux pieds du roi. Les derniers lui feront perdre la tĂȘte.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur lâ« Abominable histoire de France » sont diffusĂ©es chaque semaine dans lâĂ©mission « SynthĂšse » sur Radio LibertĂ©s.
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.