26 janvier 2018

De l’introuvable à l’impossible citoyenneté européenne

Par Aristide Leucate

Le projet européen est une vieille idée neuve que l’on a fourvoyé dans le fourrier des idéologies planétaires-cosmopolites, sans tenir compte de l’âme des peuples qui composent le vieux continent. Telle est, en substance, la thèse défendue par Georges Feltin-Tracol dans son dernier opus, L’Europe, pas le monde, sous-titré « un appel à la lucidité », et publié par les courageuses éditions du Lore.

L’Europe, pas le monde de Georges Feltin-Tracol (Éditions du Lore).

L’Europe, pas le monde de Georges Feltin-Tracol (Éditions du Lore).

L’ouvrage, d’une facture luxueuse, imprimé sur papier glacé, se découpe en six chapitres balayant l’ensemble des questions irriguant la question européenne mais toujours tendus, dans un style vif et roboratif, vers la proposition lancinante d’un autre projet européen « rebelle, anticonformiste et réfractaire au modèle dominant ».

Le moins que l’on puisse dire, lorsque l’on débat d’Europe, est qu’un tel sujet, en dehors des cénacles convertis (« proeuropéens »), ne risque pas de rencontrer l’assentiment unanime de ceux qui estimeraient, à bon droit, que si l’Europe est une réalité historique, ce statut minimal indiscutable (et à peu près consensuel) n’est, semble-t-il, pas suffisant pour en faire une absolue nécessité politique.

Feltin-Tracol est naturellement convaincu du contraire, comme en atteste son ambitieux « Manifeste des refondateurs européens » reproduit dans son coruscant recueil. Ainsi, lorsqu’en préambule, en appelle-t-il à « refonder » l’Europe, les premières questions (assez provocatrice, reconnaissons-le) qui nous viendraient à l’esprit, seraient « pourquoi ? Pour quoi faire ? ». Ce à quoi nous répondrait-il, avec l’assurance rougie au feu de l’évidence : « quel serait le poids géopolitique par rapport aux États-Unis, à la Chine, à l’Inde, à la Russie, à l’Afrique, à l’islam » de telle ou telle région indépendante ou autonome et, a fortiori, de nos pauvres nations acculturées et démembrées ? Il n’aurait sans doute pas tort ; sur un plan relatif.

Notre essayiste est partisan de rebattre les cartes du projet européen au sein de l’Empire dont « la concrétisation géographique s’appelle le ‘‘grand espace’’ ». Vaste dessein, sauf à prendre garde d’interpréter au pied de la lettre la logique des « grands espaces » décrite par le juriste Carl Schmitt. Il importe, en effet, de rappeler que sa théorie du « Großraum » lui a d’abord servi à prendre acte du déclin « historiquement inéluctable » du paradigme de l’État souverain tel qu’entendu classiquement par le Jus publicum europaeum jusqu’à 1914. À cette aune, cette théorie, pour conjoncturelle qu’elle fut alors, s’inscrivait surtout dans une perspective méthodologique voire heuristique. Comment enrayer la propension à l’universalisme incarné, à l’époque, par la Société des nations (aujourd’hui par l’ONU) et empêcher, ce faisant, la disparition du politique ? Schmitt estimait que la reviviscence actualisée de la Doctrine Monroe (1823) appliquée à des « raum » déterminés serait à même de retarder (la référence implicite au « kathechon » chère au juriste est, ici, évidente) l’effondrement du politique et ajournerait l’avènement d’un gouvernement mondial unifié. Ce qu’il est advenu du monde après 1945, jusqu’à nos jours, semble partiellement avoir répondu au schéma conceptuel schmittien, sans qu’il ait revêtu, dans l’esprit de son concepteur, la moindre finalité programmatique.

Feltin-Tracol prône un identitarisme européen qui, s’il semble parfaitement rivé à un « bioculturalisme » aux apparences des plus ensorcelantes, s’échoue sur les berges utopiques d’un peuple européen qui n’existe pas. Ce n’est le moindre des paradoxes de l’auteur qui, tout en défendant, à juste raison, la diversité ethnolinguistique des peuples d’Europe, en tient politiquement, in fine, pour une improbable et introuvable « citoyenneté européenne ». C’est oublier que la citoyenneté est indissociable de l’appartenance à une entité politique déterminée elle-même délimitée par des frontières (en l’absence desquelles le citoyen ne se distingue pas de l’étranger, du non-citoyen). Or, une telle citoyenneté (le demos, si l’on veut) ne peut se concevoir, a minima, que par référence à une homogénéité politique d’ordre culturel voire ethnique (l’ethnos), sauf, dans le cas contraire, à juxtaposer des communautés (le fameux et fumeux « vivre-ensemble ») dont la totalité (aux velléités sécessionnistes) ne parvient nullement à conférer une forme précise au corps politique. En outre, nous dit encore Carl Schmitt, le peuple n’est véritablement peuple que lorsqu’il a « une conscience politique, c’est-à-dire qu’il sait distinguer ami et ennemi » (Théorie de la constitution, 1928), ce qui implique logiquement qu’il constitue « une unité politique, une communauté politique » (condition transcendantale d’existence du politique, car « si cette unité n’existe pas, fût-ce virtuellement, le politique lui-même cesse d’exister ») (La Notion de politique). Or, faire fi de ces caractéristiques polémiques, revient à vouloir pour l’Europe continentale ce que les belles âmes onusiennes en 1945 imaginaient pour le monde, soit un monde sans conflit où la guerre serait dorénavant considérée comme un fait internationalement illicite. D’abord, l’histoire a démontré que ce monde irénique était hors de portée, tel un conte pour enfants, ensuite que l’histoire spécifique de l’Europe avait démontré non seulement qu’elle s’était toujours fait la guerre, d’autre part, qu’elle serait même prête à recommencer pour peu que certains peuples soient entretenus dans d’éternels ressentiments qui, s’avéreraient être de bons adjuvants au ciment national.

Il est donc raisonnablement à craindre que l’européisme même à base organiciste et ethniciste ne soit finalement qu’un universalisme subrégional à l’échelle continentale. Or, « La promotion d’un véritable sentiment continental d’appartenance », comme l’écrit Georges Feltin-Tracol, ne se décrète pas. Le premier cercle sentimental d’appartenance est d’abord la famille nucléaire, cercle qui s’élargit à mesure que l’homme prend conscience de ce qui l’entoure, de son environnement proche et éloigné, jusqu’à ce qu’il rencontre des limites qui lui enjoignent d’en rabattre sur ce qu’il maîtrise à portée de main.

Difficile pour un Périgourdin d’éprouver uniment un attachement égal à sa terre de naissance tout en éprouvant semblable dilection de cœur ou de raison vers un antipodique comté islandais que seul un apprentissage scolaire particulièrement vétilleux de la géographie aurait porté à sa connaissance. Pour preuve d’une aporétique synthèse dialectique européenne, notre ami croit pouvoir dépasser l’obstacle de la question linguistique (« faux problème », selon lui) d’une putative Europe unie en recourant à une langue officielle qui serait le latin ou l’espéranto, l’indo européen reconstitué voire « l’europo inventé par Robert Dun ». L’on mesure, face à de telles propositions, où l’audace visionnaire le dispute à une relative fantasmagorie, que le bout du chemin européo-continental n’est pas encore atteint, si tant est qu’il le soit jamais…

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