3 juin 2016

Brexit : peur sur les vils

Par Aristide Leucate

Depuis l’instauration de l’euro comme monnaie unique européenne, le moins que l’on puisse dire est que le sujet est, au fil des années, devenu de plus en plus miné. « Touche pas à mon tabou » serait désormais la nouvelle main jaune des Européistes frileux, apeurés à l’idée même de voir un jour leur sacro-sainte devise, voler en éclat, « façon puzzle », aux quatre coins de l’Union européenne. Comme si cette monnaie était la clé de voûte sans laquelle tout l’édifice menacerait de s’effondrer. Pas d’euro, plus d’UE, en résumé.

À trois semaines du référendum britannique, comme ce fut d’ailleurs le cas à la veille de celui de mai 2005 sur la Constitution européenne (ou, plus récemment, lors de la crise grecque), le débat s’hystérise et les arguments les plus invraisemblables, les plus irrationnels, les plus fantasmatiques pleuvent comme à Gravelotte sur la scène politique et médiatique européenne.

Ainsi, le scénario d’un « Brexit » engendrerait-il des « dommages considérables » pour l’Allemagne selon Der Spiegel (26 mai) qui va même jusqu’à prophétiser « des faillites de sociétés », sans compter, ajoute le quotidien, que « les exportateurs chinois et néerlandais perdraient jusqu’en 2019 – dans le plus mauvais cas – chaque année environ 3,2 milliards d’euros. »

Comme à l’accoutumée, s’invite un obscur institut accouchant d’une non moins habituelle étude forcément des plus alarmantes, que le populo lambda, même s’il n’y comprend fifre, est sommé de prendre pour argent comptant, attendu que les « experts » détiennent la vérité. En l’espèce, une société française d’assurance-crédit dénommée Euler-Hermes, a pondu LE rapport déterminant sur la question et son diagnostic est sans appel : une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne serait tout simplement catastrophique.

La messe est définitivement dite et les ouailles médiatiques sont servilement chargées de propager, urbi et orbi, la bonne parole. En France, ce sont Les Échos et Le Figaro qui se coltinent la besogne. Celui-là (26 mai) évoque « l’impact désastreux d’une sortie du Royaume Uni sur l’économie domestique », quand celui-ci (27 mai) prédit, rien moins qu’un « désinvestissement des entreprises françaises au Royaume-Uni, et des entreprises britanniques en France. De part et d’autre, les défaillances d’entreprises pourraient grimper en flèche. »

Outre-Manche, The Guardian (26 mai) prévient, presque menaçant, que « des personnes perdront leur emploi, particulièrement dans la construction, la finance ou le tourisme, que les salaires vont baisser tout comme les prix de l’immobilier ».

On l’a bien compris : sortir de l’UE s’apparente à une sortie de l’euro et inversement. Même si Londres n’est pas dans la zone euro, son « Brexit » pourrait donner des idées aux autres pays qui en seraient membres.

La vague d’euroscepticisme qui déferle actuellement sur l’Europe suscite, de la part des élites, un climat de défiance à l’égard des peuples qui votent décidément mal. En réaction, courroucés d’être ainsi tenus à l’écart de leurs destins, ces derniers se cabrent et, pour certains, commencent à rentrer en dissidence. Aux portes du pouvoir, la droite souverainiste arbore peu à peu un visage des plus affables pour ne pas effrayer l’épargnant bourgeois, plus concerné, prioritairement, par son bas-de-laine que par le Grand Remplacement. Ainsi parle-t-on désormais de renégociation des traités, sans mise en cause, provisoire, de la monnaie unique.

C’est dire que la question européenne est désespérément annexée à l’économie (troisième fonction subalterne dans la « Weltanschauung » indo-européenne) et au financiarisme, ce qui accentue l’inanité du projet des pères fondateurs qui se sont avérés incapables (l’eussent-ils réellement voulus, d’ailleurs) de semer les graines d’une Europe politique (eût-elle été possible ?).

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