9 avril 2017

Séance pratique de droit constitutionnel

Par Jean-Pierre Brun

À l’occasion du dernier « Salon des éleveurs de rats musqués transgéniques », au détour d’un stand je croise un visiteur on ne peut plus urbain, à la faconde et à la jovialité d’un VRP de l’agroalimentaire cherchant à fourguer ses farines animales à un équarrisseur. Que peut-il bien vendre ? Ma curiosité est la plus forte. Je m’approche…

Le contact s’établit aussitôt. L’inconnu ne tarde pas à se présenter : « Amédée Magaud, député du RDM (Rassemblement des démocrates monarchistes) de la Saône Atlantique ! »

Il précise aimablement en me donnant sa carte que, pour m’être éventuellement utile, il serait prêt à me recevoir à sa permanence de Rocamamour, le mardi matin jour du marché aux pigeons ou le vendredi à Saint-Cirque, jour du marché aux dindons. Serait-ce un aimable clin d’œil de la Providence adressé au malheureux électeur que je suis. Moi qui, de longue date, rêve de « me faire » un élu du peuple.

Dégainant promptement mon colt constitutionnel modèle 58, je lui fais remarquer qu’il ne peut pas être député de la Saône Atlantique. Pan ! Devant son regard éberlué, je me fais un devoir « citoyen » de lui préciser qu’au titre des textes fondateurs de la Ve République il est un député de la nation et que, parlant au nom de l’intérêt général, il ne saurait le faire au nom d’un parti, d’un groupe d’intérêt, d’une région. Effectivement élu par les citoyens d’une circonscription, il ne pourrait pour autant en porter les doléances et autres revendications locales. Pan ! Pan ! Je lui précise qu’il appartient aux seuls sénateurs de représenter les collectivités territoriales. Pan ! Pan ! Pan ! En rajoutant généreusement une giclée, je m’étonne que compte tenu de ses seules prérogatives nationales un député ait un quelconque besoin de tenir une permanence territoriale…

Désarmé, il m’interrompt, comme prévu, pour me dire que c’est grâce aux multiples informations parcellaires qu’il recueille auprès des électeurs avant de les collationner, qu’il peut reconstituer les lignes de force qui orienteront la future politique générale de la France. Bien essayé, non ? C’est ce qu’en langue rugbystique on appelle « une feinte de facteur ». Dommage pour lui, je connais tous les faux rebonds de l’Ovalie et en matière d’essais, transformés ou pas, j’en sais encore davantage que Montaigne.

Reprenant le jeu à mon compte, je lui demande derechef si une lettre de recommandation à l’embauche de Mademoiselle Procul au Sivom de Saint Baldur-sur-le-Doux ou un coup de téléphone au directeur du « Service des objets trouvés et des illusions perdues » favorisant les démarches de Maître Sancoz, avocat au barreau de Chèze, relèvent d’un intérêt national ?

Il m’explique alors, avec ce sourire entendu marquant quelque complicité entre gens « qui savent », que les scrutins ont leurs raisons que la raison ne connaît pas. Se référant à quelques jurisconsultes oubliés, il rappelle que souvent l’usage peut l’emporter sur le droit. D’ailleurs les 577 députés français n’ont-ils pas plus d’un millier de permanences ? Alors, où est le mal ?

La grande franchise de mon interlocuteur ne peut que conforter mes convictions les plus intimes. Nous nous quittons aussi cordialement que deux larrons à qui « on ne la fait pas. »

La télévision permet aujourd’hui de suivre en direct des débats parlementaires. Le plus souvent, il est loisible de constater que les voix qui se font entendre résonnent davantage que ne raisonnent les quelques députés présents. L’hémicycle évoque en effet trop souvent quelque vaste nécropole abandonnée ou encore le Stade de France un jour de match de bienfaisance entre les manchots de Saint-Lo et les terre-neuvas du Cambrésis sahélien. Mais pourquoi s’en offusquer alors même que ses pensionnaires parcourent la France profonde dans ses moindres recoins pour en appréhender toutes les spécificités qui, par leur mise en perspective, contribueront à la revitalisation d’un corpus législatif vieillissant (et voilà que je discours comme un candidat en campagne, ce doit être contagieux).

Lors du récent vote de l’article 1 de la réforme constitutionnelle portant sur l’État d’urgence, 441 députés étaient aux champs. Il faut préciser que ce vote avait lieu un lundi et que, la veille, ces élus consciencieux devaient encore consulter le peuple, à la mi-temps d’une rencontre de basket ou à l’apéritif d’un repas des anciens.

Le vote électronique fonctionne déjà. Il permet aux élus de permanence de se maintenir en forme, en courant actionner les boîtiers des petits camarades de leur groupe, absents lors du scrutin. Mais, au fait, je me suis replongé dans mes cours de droit constitutionnel. Il impose bien le vote personnel et n’admet qu’une seule délégation. Qui plus est je n’ai trouvé aucune référence de « vote de groupe » à l’Assemblée Nationale. Mais comme le dit Amédée Magaud, l’usage peut primer le droit.

Alors, pourquoi pas un vote par internet. Cela contribuerait à réduire frais de transports et d’hébergement. Il faudra que j’en parle à mon ami René, chauffeur à l’Assemblée Nationale. Il pourrait en toucher un mot à l’un de ses questeurs, des fois que…

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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