27 février 2016

Où Kadhafi eût dû écouter un Blair qui ne manquait pas de flair

Par Aristide Leucate

« Si vous avez un endroit sûr où vous rendre, vous devriez y aller car ceci ne va pas se terminer sans violence ». C’est en ces termes que Tony Blair exhortait l’ancien chef de la Jamahiriya Libyenne, Mouammar Kadhafi, alors en proie aux troubles violents – essentiellement de nature tribale, du côté de la Cyrénaïque – qui secouaient son pays. À l’époque de cette conversation téléphonique entre les deux hommes, le travailliste n’était plus locataire du 10 Downing Street. Nous étions le 25 février 2011, soit trois semaines avant la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies du 17 mars 2011.

Rappelons que cette dernière (article 4) autorisait « les États Membres [des Nations-Unies] (…) à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne » En termes moins euphémisés, feu vert – bien que restreint – était explicitement donné par les tenants du NOM (Nouvel Ordre Mondial), pour bombarder la Libye.

On se souviendra, opportunément, des déclarations va-t-en-guerre du ci-devant ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé (que la pré-campagne médiatique pour 2017, s’évertue à présenter comme le perdreau de l’année, vierge et jouvenceau) pressant ses homologues de « prendre garde d’arriver trop tard, ce sera l’honneur du Conseil de sécurité d’avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la force, la démocratie sur la dictature, la liberté sur l’oppression ». On eût dit du BHL dans le texte…

On sait ce qu’il en est advenu dans les semaines qui ont suivi, du lynchage à mort du chef de l’État libyen, le 20 octobre 2011, au chaos actuel. Plus prosaïquement, « ce sont d’ailleurs les intérêts pétroliers, dissimulés (comme en Afghanistan, en Irak ou dans le Darfour…) derrière le masque du devoir d’ingérence démocratique et humanitaire, qui expliquent largement l’interventionnisme occidental », se plaît à souligner le géopolitologue Aymeric Chauprade (Chronique du choc des civilisations, 2015).

Quoi qu’il en soit, on peut gager que la précaution blairiste à l’adresse d’un Kadhafi menacé de l’intérieur, ne signifiait pas moins un désaveu de l’ancien Premier ministre britannique à l’égard de l’aventurisme occidental.

Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, Tony Blair contribua activement au rapprochement des deux pays, Tripoli ayant finalement été réhabilité par Londres en 2007, mettant ainsi fin au gel des relations diplomatiques survenu à la suite de l’attentat du vol Pan Am 103 du 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie.

Sommé de s’expliquer devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes sur la nature des relations qui l’unissait avec le défunt raïs, Blair devrait d’autant moins dévoiler un improbable dessous de cartes, que son geste s’est inscrit dans une histoire qui remonte à la IIe Guerre mondiale, lorsque la Tripolitaine et la Cyrénaïque étaient placés sous administration britannique. Le Royaume-Uni avait accompagné l’indépendance de ces deux provinces jusqu’à ce qu’elle fut officiellement reconnue par les Nations Unies en 1949.

(Source : Boulevard Voltaire, 9 janvier 2016).

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