27 février 2017

Jean-Claude Rolinat et l’Europe

Par Philippe Randa

Jean-Claude Rolinat ne cesse de courir le monde, appareil photo d’une main, stylo et bloc-notes de l’autre ; journaliste dans la presse d’opinion, nostalgique de l’empire colonial français, passionné par l’Amérique du Sud et la situation au Proche-Orient, il est notamment l’auteur de nombreux livres dont Le Canada français, de Jacques Cartier au génocide tranquille (avec Rémi Tremblay) aux éditions Dualpha.

 

Jean-Claude Rolinat

Jean-Claude Rolinat

Quelle est votre position sur l’Europe ? Êtes-vous anti ou pro Européen ? Dans ce dernier cas de figure, êtes-vous pour une Europe fédérale ou une Europe de la coopération de nations souveraines, ou encore en avez-vous une autre conception ?

Je suis plutôt favorable à une union, une association d’États européens souverains déléguant une partie de leurs compétences. Mais ceci uniquement dans un premier temps, dans le cadre d’une Europe à « géographie variable » en fonction des capacités et des centres d’intérêt des pays membres. Ce serait, au départ, cette seule configuration institutionnelle. Tout le monde n’est pas obligé de souscrire aux mêmes traités. Mais plus tard, si l’intégration fonctionne, on passerait à un stade supérieur, allant de la Confédération à la Fédération, toujours par thème, c’est-à-dire une EUROPE à la CARTE. Je m’explique. Prenons le thème de la défense. Si l’Italie, L’Allemagne, le Benelux et la France veulent une intégration plus poussée de leurs appareils militaires, ils créent un organisme coopératif dont seulement ces pays seraient membres. En revanche, si une partie de ces États et d’autres, à l’extérieur de ce cercle de défense, voulaient une intégration économique poussée, existerait un autre organisme sur la base d’un traité.

Allons plus loin, il existe une Europe de l’Espace à laquelle sont associés le Canada (qui n’est Européen que par sa population, et encore !), la Suisse et la Norvège je crois, qui ne sont pas membres de l’actuelle Union européenne. Pourquoi se priver d’eux et de leur coopération sur d’autres sujets, même s’ils ne sont pas dans l’Europe de Bruxelles, et de bien d’autres pays comme la Grande-Bretagne en dépit du « Brexit », de l’Islande, d’Andorre, de Monaco, de Saint-Marin ou du Liechtenstein, même si ces derniers micro États ne pèsent pas lourd ? Ils sont les rescapés d’une histoire plus que millénaire. L’Europe ne doit pas être figée dans un traité obligatoire, avec un menu imposé, d’autant que les États membres de l’actuelle Union n’ont pas tous le même niveau de développement, tant s’en faut (voir la disparité des salaires et l’affaire du « plombier polonais » !).

Quelle que soit votre conviction, considérez-vous que rien n’arrêtera désormais la construction européenne sous sa forme actuelle ou sous une autre – que vous le déploriez ou l’espériez – ou, au contraire, que son échec est prévisible, voire même inéluctable ?

Difficile à dire. En tout état de cause, même en cas de crise grave pouvant mener à une déflagration, il y aura toujours une volonté, un besoin, une nécessité d’association, de coopération. On le voit bien avec le Royaume-Uni avec qui il faudra négocier des arrangements pratiques dans tel ou tel domaine. Ce qu’il faut, c’est ramener la folie bruxelloise dans les clous, faire retour au pragmatisme, au réalisme.

Le rôle de l’Europe n’est pas d’inonder nos ressortissants de normes, d’instructions, de contraintes, de déterminer le rayon de courbure des concombres, je n’exagère pas ! Ce qui ne peut être fait à 27 peut l’être à 6. J’en reviens toujours à mon idée de cercles par adhésion thématique. Ce qui signifie qu’il faut mettre par terre les actuelles institutions ou, à tout le moins, les remodeler et concentrer les efforts européens sur l’essentiel : la diplomatie, la défense, la monnaie. En effet « l’Europe puissance » qu’un certain nombre d’entre nous souhaite voir émerger – que pèsent le Danemark, le Luxembourg ou même l’Espagne et le Portugal, tous seuls, dans le monde ?- suppose une politique étrangère, une défense et une monnaie communes. Mais pour cela il faut une vision identique, des objectifs communs.

Et la puissance du feu nucléaire se partage-t-elle, doit-elle être mise dans le « panier » ? Les 27 ou 28, je ne sais plus, tellement cette Europe est celle de la porte ouverte, ont-ils cette ambition, cette volonté ? Aujourd’hui, je ne le crois pas, chacun a des intérêts à protéger, y compris la France avec, justement, l’arme atomique, et son domaine maritime, le deuxième de la planète. La somme des différences ne fait pas, bien entendu, une Union. Il faut bien constater que chacun agit en fonction de ses préoccupations nationales et, de grâce, n’ajoutons pas avec l’adhésion de la Serbie, du Monténégro, du Kosovo ou de la Macédoine des problèmes ethniques explosifs ! (Il y a déjà Chypre coupée en deux par l’occupation militaire turque, problème qui est loin d’être résolu). Une défense européenne commune, à supposer que les États baltes et la Pologne, très attachés aux États-Unis – quelque part, après des années et des années d’occupation « russo-soviétiques », on les comprend – nécessiterait, à terme, une rupture avec l’OTAN.

On risquerait d’avoir sur le continent, deux systèmes militaires, celui des Euro atlantistes qui n’auraient pas rompu avec l’oncle Sam, et les « indépendantistes » qui pourraient négocier un pacte de non-agression et de coopération avec une Russie confirmée dans ses frontières, mais dans ses seules frontières… Prenons le cas de la monnaie unique, l’Euro, un moyen efficace d’exister, une signature visible dans le monde entier. Tous ceux qui voyagent savent, vérifient, que cette monnaie aujourd’hui, est connue partout, alors que la Couronne danoise ou le Zloty polonais, bof… Mais la mise en place de cette nouvelle devise commune aurait dû être précédée d’une harmonisation fiscale, d’un alignement des taux d’intérêt ainsi que d’un audit poussé chez chaque candidat pour tester sa solvabilité, sa bonne gouvernance.

On voit ce qu’il s’est passé avec la Grèce et l’irresponsabilité de l’Italie ou de la France dans la gestion de leur dette. Comment voulez-vous faire avaler aux Allemands la pilule d’une mutualisation de ces dettes ? Ça ne marche pas et ça ne marchera pas tant que nous ne renverserons pas la table des institutions – plus de 700 députés européens, est-ce bien raisonnable ??? – et que des pays comme la Suède, la Bulgarie, les Pays-Bas ou la Croatie seront « coulés dans le même moule ». Il faudrait bâtir une Europe à plusieurs vitesses, avec des sas, des écluses en quelque sorte, afin de tenir compte des disparités économiques et sociales entre pays membres et futurs candidats à l’adhésion. Vous mettriez sur le même pied, vous, l’Albanie ou le Danemark, le Lapon et le Sicilien ? Insensé !

Que pensez-vous du Grand marché transatlantique (GMT), cette zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, actuellement en négociation ?

Un grand marché unique ? Non, merci. Ça ne tiendrait pas la route. Si certains de nos secteurs seraient avantagés, d’autres plongeraient la tête la première, déjà que notre agriculture est mal en point, alors vous pensez… Et puis, indépendamment du plaisir que nous avons eu à voir la clique des Clinton terrassée, la présidence Trump, il faut bien le reconnaître, s’annonce comme assez imprévisible en matière de politique extérieure. Il est un peu comme Macron celui-là, un jour c’est noir, le lendemain c’est blanc… La seule base d’un traité de libre-échange ne pourrait s’appliquer que dans certains secteurs où la garantie de la réciprocité, notamment dans les normes qualitatives, serait totale. Sinon gare…

 

L’avenir de l’Europe consiste-t-il à s’amarrer aux USA ou plutôt à resserrer les liens avec la Russie ? Ou aucun des deux.

L’intérêt suprême d’une Europe vraiment unie, prenant conscience d’elle-même, agissant en tant que corps autonome indépendamment de ses États membres, serait d’appliquer une politique d’indépendance, à équidistance des autres grands blocs géopolitiques. Pour cela, il faudrait négocier intelligemment la sortie de l’OTAN de façon à conserver les avantages de sa technicité, des acquis militaires et de la mutualisation des procédures, tout en mettant sur pied un système de défense propre à l’Europe.

Et, dans ce cas, il faudrait y associer la Russie (l’associer, pas l’intégrer, car elle-même est un bloc « Euro sibérien » différent de l’Europe proprement dite). Vaste programme me direz-vous, compte tenu des antagonismes et de la méfiance des uns envers les autres. Ce n’est pas pour demain ! Peut-être verrons-nous émerger des groupes géographiques au sein de cette même Europe. Il y a déjà celui de Visegrad auquel pourrait se rattacher l’Autriche – la résurrection de l’Empire austro-Hongrois ? – et, pourquoi pas, une Union latine entre l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France et la Roumanie ?

 

Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ? Un rêve ? Un cauchemar ? Une nécessité géopolitique ? L’inévitable accomplissement d’un processus historique ? La garantie d’une paix durable pour le Vieux continent ? Ou rien du tout…

Ce pourrait être un beau rêve, certains en ont fait un cauchemar : Napoléon, Hitler… L’Empire carolingien de Charlemagne pourrait être ressuscité, ce serait une bonne base de départ, un môle solide pour arrimer d’autres pays frères au fur et à mesure de leur développement.

La construction européenne, après un lent et patient cheminement avec la CECA, l’Euratom et l’UEO, est tombée dans un infernal « accélérateur de particules », un « chaudron des sorcières », à savoir la Commission, un organe technocratique, sans aucune assise populaire, composé de gens qui se connaissent trop bien, un entre soi grassement rétribué, bref une oligarchie à détruire. Lorsque l’on parle d’Europe, il ne faut jamais oublier qu’elle est composée de petites patries, de plus grandes – les nations – et que les États la composant sont, tout de même, des structures existantes avec lesquels il faut compter. Le patriotisme européen n’existe pas : pas un « Européen » ne vibre quand il entend les notes de l’hymne ou la « chaussette » bleue étoilée d’or s’élever le long d’une hampe. En revanche, quand une quelconque équipe de foot marque un but, ses supporters s’enflamment.

La Marseillaise signifie, encore, quelque chose et beaucoup de paires d’yeux sont humides lorsque l’on entend ce chant. Pas pour la (belle) symphonie de Beethoven. Le jour, disons-le, où des soldats européens mourront pour une cause réellement européenne sous les plis d’un pavillon nouveau, pour le coup, réellement enraciné et porteur des symboles de la plus grande civilisation de tous les temps, une étape sera franchie.

Pour le moment, et là je le regrette, le nationalisme chauvin ou le patriotisme étroit s’expriment bien plus aux niveaux régionalistes, dans les rangs sécessionnistes – Catalans, Basques, Ecossais – que chez les défenseurs des nations. Pour se structurer, je le répète, l’Europe doit adopter des institutions pragmatiques, laisser chacun progresser vers l’intégration à son rythme et briser les carcans de ceux qui ne les supportent plus. Et puis, et puis, enterrer la hache de guerre entre unionistes et républicains en Irlande du nord, entre Flamands et Wallons en Belgique, entre Ligue du Nord et Mezzogiorno, en Italie, entre Ukrainiens et russophones etc. Les guerres tribales, type combats menés par l’ETA au Pays basque hier ou celui du FLNC en Corse, ne devraient plus avoir leur place dans une Europe pacifiée, moderne, reconnaissant l’identité de ses composantes.

Elle est sous le coup de la plus grande menace de tous les temps : le rush, l’irruption de centaines et de centaines de milliers de miséreux, mais pas seulement, des pays du Sud, dans notre espace encore à peu près préservé. Mon dernier mot comme dirait l’autre : point de salut de notre civilisation – n’oublions pas qu’elles sont mortelles comme nous l’a enseigné Paul Valéry – sans une UNION, sous une forme ou sous une autre.

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