20 juin 2018

Europa et Thanatos (III)

Par Aristide Leucate

L’Europe amorce sa phase de déclin avant sa disparition pure et simple. Mais cette lassitude dépressive qui gagne nos peuples emprunte pour beaucoup à l’indolence léthargique et émolliente du Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Les Européens semblent gagnés par l’irrépressible désir mortifère et vertigineux de s’affranchir des limites spirituelles et culturelles d’une géographie qu’ils souhaitent, désormais, ouverte aux quatre vents d’une histoire qui se construira sans eux mais avec l’Autre mythifié.

L'Enlèvement d'Europe Liberale da Verona (vers 1445-1528/1529) Paris, musée du Louvre.

L’Enlèvement d’Europe – Liberale da Verona (vers 1445-1528/1529) – Paris, musée du Louvre.

À l’origine de cette fascination nihiliste et morbide, Murray – homosexuel et athée – pointe la désubstantialisation des mythes chrétiens fondateurs de l’Europe et de la profanation de la chose sacrée qui en est résultée.

D’une part, la vague de criticisme biblique qui balaya les universités allemandes au début du XIXsiècle, conjuguée, d’autre part, au rationalisme scientiste darwinien, ont contribué à assécher spirituellement l’Europe : « on pouvait toujours trouver sagesse et sens aux Écritures, mais la Bible, au mieux, était devenue l’égale des œuvres d’Ovide ou d’Homère : elle exprimait de grandes vérités, mais elle n’était pas vraie en soi ». Nietzsche annonçait la mort de Dieu, non pour s’en réjouir ou le déplorer, mais pour montrer la place laissée vacante par l’évaporation de toute transcendance.

À sa suite, s’inspirant de Max Weber, un Marcel Gauchet, dans Le désenchantement du monde (1985) pouvait écrire que le christianisme était une religion de sortie de la religion du fait de l’autonomisation croissante de l’individu dans des sociétés de moins en moins holistes. Celui-ci acquérait une souveraineté considérable sur lui-même, sans aucune considération pour le Bien commun quand celles-ci, n’étant plus tenues par des liens de socialité noués autour d’institutions et de valeurs communes, se délitaient et se retrouvaient plongées au milieu de féroces luttes concurrentielles pour la préséance de « nous » égotistes qui avaient délibérément opté pour un communautarisme ravageur de nature sécessionniste.

Murray pose ainsi le problème : « On ne ressent jamais autant les conséquences de cette disparition de la foi qu’en s’inquiétant de ce qui va désormais fonder les valeurs européennes ».

Les droits de l’homme ont prétendu combler le vide, non pas tant directement contre le christianisme qu’en référence implicite à celui-ci en le transférant dans le monde séculier. Mais si « la culture des droits de l’homme qui, depuis l’après-guerre, se présente elle-même comme une foi, et qui est admise comme telle par ses fidèles, apparaît bien comme une tentative de mettre en place une version sécularisée de la conscience chrétienne », force est d’admettre que « c’est une religion qui sera nécessairement en porte-à-faux avec elle-même, dans la mesure où elle n’a pas d’ancrage défini ».

Par mimétisme, l’universalisme des droits de l’homme singeait, jusqu’à la caricature, l’universalité de l’Évangile, sans prendre garde, cependant, que le premier ne pouvait se réclamer de mythes fondateurs, tandis que le second était seul à se prévaloir d’un point d’ancrage historique et géographique. « Qui aurait imaginé que l’histoire tout entière, serait-elle devenue laïque, serait désormais mesurée à partir de la naissance du Christ ? » remarquait le philosophe Jean-François Mattei, qui précisait qu’« au Moyen Âge, les royaumes européens ne constituaient pas encore une communauté du nom d’‘‘Europe’’. Ils portaient le nom de Respublica christiana qui désignait l’Église catholique en tant qu’institution universelle ordonnant l’ensemble des chrétiens sous l’autorité du Pape. La Respublica christiana était donc un État de droit canon transcendant les États temporels de droit civil qui allaient progressivement se détacher de leur matrice pour préparer le règne de la sécularisation[1] ».

Dès lors, conclut Douglas Murray, « un échec aussi visible, le sentiment d’avoir perdu tout point d’ancrage peuvent constituer, pour les individus comme pour les sociétés, non seulement un motif d’inquiétude mais également un épuisant processus psychique. Là où, autrefois, on pouvait recourir à une explication surplombante (peu importent les problèmes que cela posait), il n’y a plus aujourd’hui que le surplomb de l’incertitude et du questionnement. »

Les Européens sont au bord de l’abîme, sans imaginer un seul instant que le néant de cet abîme regarde en eux comme pour les happer, tels des météorites ou des poussières d’étoiles, dans un trou noir qui les retranchera à jamais de l’histoire. Pris dans l’étau de la technique, ces derniers sont entraînés dans une improbable course de vitesse, sans but ni sens, qui les conduit à se consumer littéralement au grand brasier de l’hédonisme marchand, sans souci du lendemain, tout en ayant coupé les amarres avec ce qui le reliait à un passé où l’intériorisation des limites caractérisait un minimum de décence commune. Si Murray ne les cite pas, son propos ne peut manquer de renvoyer à Christopher Lasch et à Hartmut Rosa. On doit au premier d’avoir magistralement mis en évidence les dérèglements psychiques – jusqu’au repli sur soi narcissique des individus – consécutifs à une exposition par trop addictive et fébrile aux rayons radioactifs du fétichisme de la marchandise et de l’axiomatique du plaisir. Quant au second, il explique comment le temps, loin de se réduire seulement à une valeur économique quantifiable au sens de la critique marxiste du capitalisme, est également un vecteur d’aliénation sociale, comme si la modernité, pour se survivre à elle-même, contraignait les individus à toujours vivre en état d’accélération permanente.

S’appuyant sur Chantal Delsol et son « syndrome d’Icare » (Le Souci contemporain, Complexe, Bruxelles, 1996 ; la philosophe décrit Icare survivant à sa chute et se réfugiant, hébété, dans le confort nihiliste du plaisir), il souligne l’omniprésence de « l’industrie du divertissement » qui entretient le consensus organisé autour « du plaisir de consommer, dans l’achat récurrent d’objets qui ne durent pas, que nous remplaçons régulièrement par d’autres ». Quand les Européens sont frappés d’obsolescence programmée…

Douglas Murray, L’étrange suicide de l’Europe. Immigration, identité, islam, L’Artilleur, Paris, 2018.

[1] « Le christianisme comme religion de la sortie du monde séculier », Transversalités 2012/3 (N° 123), p. 81-92.

L'étrange suicide de l'Europe: Immigration, identité, Islam - Douglas Murray (L'Artilleur).

L’étrange suicide de l’Europe: Immigration, identité, Islam – Douglas Murray (L’Artilleur).

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